Life

Le confinement m’a rappelé à quel point je suis un gros flemmard

Depuis un an, je n’ai rien accompli de particulier et je repousse tous mes projets à une date ultérieure où je n’aurai sans doute ni le temps ni l’envie.
Paul Douard
Paris, FR
confinement fainéantise
THE BIG LEBOWSKI - Ronald Grant Archive / Alamy Stock Photo

Cela va bientôt faire un an que, comme vous, je suis enfermé chez moi à intervalles réguliers pour assurer la pérennité de notre civilisation qui tolère les trottinettes électriques et les chèques au supermarché. Un an, donc, que je dispose d’un temps libre infini pour enfin accomplir des choses qui d’ordinaire se diluent dans l’exercice d’une vie quelconque : l'administratif, le travail présentiel en open space et la réservation de billets TGV pour Arcachon. N’étant ni parent ni pauvre, tout m’était servi sur un plateau pour que je succombe aux sirènes de la productivité. S’amuser était devenu interdit, prendre l’air autorisé sous dérogation et le télétravail permettait de faire semblant de bosser. Tel Julien Sorel dans Le Rouge et le noir qui s’extasie de la vue depuis sa cellule, je devais moi aussi me réjouir de cette ambiance monacale propice à l’écriture de livres d’épanouissement personnel, au travail du corps et à la création de podcast que personne n’écoutera. Motivé par le dérèglement du monde, j’avais mis la barre très haut. 

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Mon premier objectif était de faire du sport tous les matins afin de ne pas voir mon corps se transformer en une flaque de vomi dégoulinante sur une plaque d'égout. Étant accro aux vidéos LinkedIn d’entrepreneurs qui pratiquent « l’animal flow » au lever du soleil pour “lancer leur journée”, j’avais moi aussi choisi le matin bien démarrer. Quand je dis “sport à domicile”, comprenez par-là quelques maigres pompes sur un tapis Decathlon sous les bâillements de mon chat. Au bout de trois sessions matinales dans la froideur d’un appartement mal isolé, les yeux collés et les membres engourdis par une insupportable douleur psychologique inhérente à l’effort, j’optais finalement pour le soir. Certains startuppers préconisent d’ailleurs ce rythme pour créer un “sas de décompression" entre vie pro et vie privée. Après une journée de travail éreintante articulée autour d’un management training sur Zoom, d’un déjeuner seul devant une vidéo “Ultimate 2020 desk setup” et d’un article sur le squirting à corriger, je décidais de « prioriser » mes tâches en allouant cette énergie ailleurs. 

Écrire est, d’une certaine manière, plus important que d’avoir un corps de rêve. Le corps vieillit au fil des années et finit par disparaître, alors que le livre peut quant à lui traverser les âges et se réincarner en compte Tik Tok. Le visage plat face à mon document Word d’un blanc immaculé, je regardais par la fenêtre et constatais qu’il ne s’y passait pas grand-chose. Je compris alors que l’inspiration n'était pas sur commande et que j’étais sans aucun doute encore dans ma phase d’« incubation » propre à tout cerveau créatif comme l’expliquait Graham Wallas dans ses travaux publiés en 1926. Obligé d’attendre la phase 3, celle de l’« illumination », je glissais ainsi doucement vers un replay de Recherche Appartement spécial “espaces atypiques”. Pour accélérer la transition entre ces deux phases, j’avais émis l’idée de voir mes amis qui trop souvent restent de simples pseudos sur une discussion Messenger faite de vidéos bizarres. Mais la simple image d’une balade dans une ville morte où boire une gorgée d’eau au soleil peut vous valoir 135 euros d’amende et un séminaire d’infantilisation, je préférais rester assis sur mon canapé à « incuber », attendant l’« illumination ». 

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En fait, j’ai surtout eu la flemme de tout.

Je suis né feignant. Mes parents ont pu le constater très jeune, à l’âge de cinq ans, lorsque je poussais mon premier soupir à la suite d’une demande officielle de débarrasser la table. Aujourd’hui encore, je ne suis jamais le dernier à partir du boulot et je feinte de devoir aller aux toilettes lorsqu’il faut ranger une maison après un weekend. Je fais partie de ces gens qui laissent tomber quasiment 99% de ce qu’ils entreprennent. Davantage par habitude que par choix. À chaque nouvelle idée ou projet, tout devient une épreuve mentale, une montagne qui surpasse l’hypothétique exaltation d’un accomplissement quelconque. Je suis l’inverse d’un entrepreneur, je suis passé maître dans l’art du renoncement et de l'oubli. Et si jusqu’à présent ma vie sociale, mon travail et mon souhait de ne pas finir ma vie seul avaient pu me pousser à entrevoir quelques activités peu risquées (boire entre amis, sport et un travail), c’était bien l’arbre qui cachait la forêt. 

En fait, le confinement me saoule

Chez moi, tout ce qui est une opportunité devient une excuse. Plus j’ai de temps, moins j’en fait. Je suis pieds et poings liés par l'inépuisable “Ça va, on a le temps” qui résonne dans ma tête, comme si mon existence était éternelle. De même qu’avoir plusieurs projets en même temps me donnera l’impression que c’est trop, et qu’il n’est pas nécessaire d’en faire autant au risque de se noyer. C’est une position aussi réconfortante que déprimante. Quand on a la flemme, les choses se déroulent à vitesse réduite. On a ainsi le sentiment d’avoir toujours le temps devant soi, tout en étant submergé par ce dernier qui s’écoule inexorablement sous nos yeux. Cette posture peut durer un certain temps. Je suis devenu esclave de ce temps long que je ne sais pas utiliser autrement qu’en repoussant les choses, qu’en refusant de m’engager. Sous couvre feu, mon temps libre est devenu une prison, un truc qui n’est ni bien ni mal, juste un aspirateur à mouvement. 

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À cette époque, je n’avais pas de question à me poser quant au futur ou à des projets à lancer, simplement à ce que j’allais faire le lendemain entre 10h et 18h

Tantôt confiné, tantôt assigné à résidence entre 18 heures et 7 heures du matin, je me vois aujourd’hui renvoyé vers ma vie d’adolescent de province (pardon, de région) à travers un vortex temporel ennuyeux. Me voici de nouveau à une époque où mon quotidien se limitait à une suite de balades mélancoliques structurées autour d’un triptyque banale : tours dans les rayons de disques de la FNAC de la rue de la République, kebab entre potes dans la rue piétonne puis sitting sur les marches de l'église le mercredi après-midi, jusqu’à ce que, ne sachant plus trop quoi faire, il soit l’heure de rentrer. À cette époque, je n’avais pas de question à me poser quant au futur ou à des projets à lancer, simplement à ce que j’allais faire le lendemain entre 10h et 18h, avant de rentrer chez moi dormir, ou jouer à la console. À ceci près qu’aujourd’hui, l’épidémie m’a petit à petit fait oublier l’existence de mes amis, où la simple possibilité de se voir semble avoir été supprimée de mon esprit. Me laissant ainsi seul, avec du temps, beaucoup de temps.

Les chercheurs Boris Cheval, Matthieu Boisgontier et Philippe Sarrazin ont mis en évidence dans une étude de 2019 que notre cerveau se divise entre raison et émotion. Le premier, par exemple, nous rappelle que faire du sport est bien. Le second, quant à lui, rappelle que ne rien foutre dans un canapé est aussi fort agréable. Et bien souvent, le second l’emporte sur le premier. Mais cette paresse n'est pas honteuse : elle serait inscrite dans nos gènes et dans nos neurones grâce à la sélection naturelle. En fait, 30 % de notre tendance à ne rien foutre serait imputable à nos gènes. Ce n’est donc pas de ma faute en somme. Une étude 2013 relayée par Science & Vie affirme même que pour sortir d’un canapé, il faut activer deux zones cérébrales supplémentaires afin de contrer nos émotions. C’est beaucoup trop.

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« Ce peut être la peur de l’échec, la peur du changement, la peur de ne pas être à la hauteur » – Saverio Tomasella

Malgré cette excellente nouvelle, les remords viennent toujours à un moment ou un autre. D’abord après avoir traîné sur les réseaux sociaux où certains ne semblent pas avoir dormi pendant cette année 2020, multipliant les autobiographies romanesques, les chaînes Twitch copiées et les enfants qui hurlent. Puis en marchant dans les couloirs pleins à craquer du métro parisien où trônent les affiches d’un nouveau bouquin de développement personnel sobrement intitulé, « Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n'en as qu'une ». À côté de mon existence qui prend parfois la forme d’une pile de projets avortés, il m’arrive de m’enfoncer dans l’angoisse de cette question universelle dont il n’existe aucune réponse : « Suis-je en train de passer à côté de ma vie ? ». Pour Saverio Tomasella, psychanalyste, « Ce peut être la peur de l’échec, la peur du changement, la peur de ne pas être à la hauteur. » Ou les trois. Mais il arrive aussi que ces angoisses soient profondes et inconscientes, liées à des expériences douloureuses. « Certaines sont issues d’un traumatisme depuis longtemps oublié. » Et c’est alors que la fainéantise devient une sécurité, une zone de confort ou rien de grave ne peut arriver, puisque rien ne va arriver.

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L’étape suivante de cet abandon systématique est la solitude. Dans un monde où chacun doit réussir et prouver son utilité, chaque message resté sans réponse devient un coup de couteau, chaque moment de vie inutilisé un fardeau et chaque projet abandonné une source infinie de tristesse. Le tout, confirmant son propre échec et son inutilité. Il m’arrive d’avoir peur que rien ne change, que ma flemme qui se matérialise en isolement – tantôt souhaitée, tantôt subie – ne prenne le contrôle de toute ma vie et ne me laisse comme autre destinée qu’une suite de regrets. J’y pense quelques instants, avant de lancer un épisode de Industry

On dit que cette période de pandémie est un accélérateur : elle a provoqué la fin de Donald Trump, des cinémas à 14 euros la séance et même de l’Olympique de Marseille. Elle a donc sans doute mis en lumière certains traits de ma personnalité qui jusque-là étaient bien cachés derrière des stories Instagram et quelques tweets humoristiques que j’avais effacé et édité dix sept fois avant de les publier. Pour pallier ça, chacun développe ses méthodes. Pour moi, il s’agit parfois d’écrire ce que je vais faire, comme si matérialiser ma volonté suffisait à me mettre la pression. Mais la plupart du temps, je ne cherche plus. Alors en attendant de retrouver une vie normale où le quotidien me fera croire que la vie peut être autre chose qu’une compilation de succès, je continue de rêver de ces projets lorsque je ne trouve pas le sommeil, quelque part en début de semaine, loin du vendredi, avant de me réveiller avec la gorge sèche et des poubelles à descendre. 

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