« La peur doit changer de camp » – un après-midi dans un cours d'autodéfense féministe
Dal, en compagnie d'une participante. Les photos sont de l'auteure

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Société

« La peur doit changer de camp » – un après-midi dans un cours d'autodéfense féministe

L'association SOS homophobie organise des ateliers non-mixtes, réservés aux femmes, personnes trans et non-binaires.

Elle, il, ou iel. En ce chaud dimanche de juin, une dizaine de personnes se retrouvent au centre LGBT Paris Île-de-France. Toutes se présentent en précisant le pronom par lequel elles souhaitent être désignées. Après un rapide échauffement, Dal – un transgenre F to X* qui a derrière lui des années de pratique des arts martiaux – montre quelques gestes sur une bénévole de SOS homophobie qui lui sert de sparring-partner. L'association est à l'initiative de ce cours, animé par Dal depuis deux ans. Par paire, les participants et participantes doivent répéter les mouvements de leur professeur. « Vous verrez, on a plus peur de donner des coups à la personne d'en face que d'en recevoir » prévient-il. Gifles, coups avec le poing, la paume ou le tranchant de la main – on apprend, sans se faire mal, à s'approprier ces gestes. L'exercice n'est pas si facile. Pour Dal, c'est une question d'éducation : « En tant que femme, on ne nous a pas appris à nous défendre. »

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La question de la violence faite aux femmes est régulièrement au cœur de l'actualité en France. Chaque année, en moyenne, on estime que 84 000 femmes âgées de 18 à 75 ans sont victimes de viol ou de tentative de viol, tandis qu'une femme décède tous les trois jours de la main de son conjoint – souvent dans le cadre d'un meurtre au couteau ou à l'arme à feu, comme le rappelle avec justesse Titiou Lecoq, sur Slate. De manière plus globale, les femmes sont régulièrement victimes de harcèlement au travail, dans la rue, les bars ou encore les transports en commun. Le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes avançait dans un rapport publié en 2015 que 100 % des femmes ont déjà été « harcelées ou agressées sexuellement » dans les transports en commun. Être capable de se défendre est donc plus que jamais nécessaire, aux yeux de certaines.

Alors que Dal propose des mises en situation, une participante lui demande : « Qu'est-ce que je fais si un mec me colle aux fesses dans le métro ? » Dal mime la scène et montre différentes manières de s'en sortir. Sifflements, insultes, conversations imposées – « T'es charmante » –, frotteurs ou agressions physiques : toutes les personnes présentes au cours ont déjà vécu l'une de ces situations dans les transports en commun. C'est d'ailleurs suite à une agression dans le métro qu'Annick, 25 ans, s'est inscrite à ce cours d'autodéfense féministe. Récemment, elle a paniqué quand un mec l'a coincée dans une rame du métro : « Il se collait à moi physiquement, je ne savais pas quoi faire, je gueulais, je donnais des coups un peu au hasard, je n'étais pas en contrôle. » Aujourd'hui, elle connaît les bons gestes et sait qu'elle ne réagirait pas de la même façon. Suivent d'autres mises en situation : Qu'est-ce que je fais si on me plaque contre un mur et qu'on essaie de m'étrangler ? Si on m'attrape par-derrière ? Si on me plaque au sol ? Pendant le cours, Dal enseigne des outils simples pour être capable de se défendre en cas d'agression, afin de se sentir plus en confiance dans l'espace public.

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« Je me suis fait beaucoup agresser en tant que meuf, j'ai été victime de violences de la part de plein d'hommes de mon entourage, lance Dal. J'ai également été violé. » S'il subit aujourd'hui moins d'agressions – ce qui a sans doute un lien avec son « physique de mec cisgenre* » –, il n'est toujours pas immunisé contre la violence d'autrui, et fait face à des situations plus violentes qu'auparavant. « Dans les bars, des mecs cisgenres blancs aiment se frotter au petit rebeu pour se prouver qu'ils sont suffisamment virils », me raconte-t-il, évoquant également les agressions transphobes ou homophobes. « On me prend pour un mec pédé parce que j'ai des mimiques », ajoute-il, avant d'évoquer qu'en tant que « mec racisé » – selon ses propres termes – il se fait aussi emmerder par la police.

Virginie, 37 ans, activiste au sein de SOS homophobie et de l'inter-LGBT, évoque quant à elle l'insécurité plus importante à laquelle doivent faire face les personnes LGBT. « On vit une discrimination supplémentaire, liée à l'orientation sexuelle, en plus du sexisme et du machisme qui sont ancrés dans notre société », me confie-t-elle. Elle évoque également, depuis 2013 et le débat entourant le mariage pour tous, une « libération de la parole LGBTphobe ».

À ce titre, dans son rapport annuel sur l'homophobie 2017, SOS homophobie précise avoir noté une hausse de 19,5 % des témoignages reçus par l'association en 2016. Après deux années consécutives (2014 et 2015) de baisse – liée à l'explosion du nombre de témoignages reçus entre 2012 et 2014 – les chiffres semblent de nouveau en progression. Le rapport évoque également la forte hausse de témoignages provenant de personnes trans. Pour SOS homophobie, le constat est donc sans équivoque : « La haine envers les personnes LGBT persiste, s'amplifie et s'ancre toujours aussi profondément dans notre société. »

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« Pourquoi, quand tu es une fille et que tu dis que tu t'es déjà battue, les gens sont-ils étonnés, alors que pour les mecs c'est normal ? Il faut apprendre aux filles qu'il n'y a pas de honte à ça. » – Annick

Virginie vit à Montreuil et ne se sent véritablement en sécurité à Paris que dans le quartier du Marais, où elle passe tous ses week-ends. Elle regrette la situation et déplore que seule une petite parcelle de la capitale française accueille sans jugement deux personnes de même sexe en train de se tenir la main. Pourtant, grâce aux cours d'autodéfense, Virginie semble ne plus appréhender le passage dans certains quartiers le soir : « Si quelque chose se passe, je sais comment réagir », m'explique-t-elle, avant de poursuivre. « Donner des coups, c'est loin d'être mon naturel, j'en ai trop subi et je ne veux pas en faire subir aux autres. » Dal l'a beaucoup accompagnée et l'a convaincue qu'elle était capable de se défendre et de rendre les coups. « Beaucoup de femmes auraient besoin d'entendre ça, assume Virginie. Il est important de montrer qu'on peut s'en sortir et se libérer toutes seules. » Elle lie cette recherche d'indépendance à l'interdiction pour les hommes de se rendre à ce cours d'autodéfense.

Pour Dal, cette non-mixité est également une nécessité. Selon lui, la majorité des agressions commises sur des femmes et les personnes transgenres sont du fait des hommes cisgenres. « On veut libérer la parole et on ne peut pas montrer les techniques qu'on va utiliser pour se défendre à des types qui sont de potentiels agresseurs. »

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Cet atelier, c'est aussi une manière de panser les plaies, ajoute-t-il. À la fin du cours, gants de boxe aux mains, c'est combat libre. « Ça arrive souvent que les personnes craquent la première fois. Dans ce moment de défoulement, elles évacuent toute cette haine et repensent aux moments où elles auraient aimé mettre un coup. En même temps, elles se rendent compte de quoi elles sont capables. »

Dal regrette que les pouvoirs publics laissent le travail aux associations. Il va plus loin et mentionne un manque de soutien de leur part. Il a d'ailleurs connu plusieurs mauvaises expériences avec la police : « Une fois, je suis allé au commissariat du troisième arrondissement pour porter plainte parce que j'avais été victime de transphobie. Les flics m'ont regardé et m'ont dit : "Ah non, mais ça ne se voit pas." » Même chose pour Virginie, qui en voulant aller déposer une main courante au commissariat, s'est retrouvée face à un policier qui lui a affirmé que la biphobie n'existait pas. Rien d'étonnant aux yeux d'Annick : « Ça m'arrive de passer devant des groupes de policiers, ils me regardent de la même façon que le pervers du métro qui me mate de haut en bas. »

Virginie a beau être satisfaite par son apprentissage de l'autodéfense, elle insiste avant tout sur la nécessité d'éduquer la population : « Il faut qu'on apprenne aux mecs à ne pas agresser les gens », résume-t-elle. Annick s'interroge : « Pourquoi, quand tu es une fille et que tu dis que tu t'es déjà battue, les gens sont-ils étonnés, alors que pour les mecs c'est normal ? Il faut apprendre aux filles qu'il n'y a pas de honte à ça. » Dans les bars, quand la jeune métisse se fait agresser, elle n'hésite pas à répliquer : « Sous couvert de drague, des mecs blancs tiennent des propos racistes. Ils me comparent souvent à un animal, du style "t'es une gazelle, une panthère", ou ils me touchent les cheveux. » Pour elle, ces contacts physiques constituent les agressions les plus violentes : « Les mecs vont vouloir t'attraper le bras, ils s'en foutent de ton consentement, ils se sentent autorisés. »

Dès qu'on lui impose un contact physique, Annick tape, m'explique-t-elle. « Mettre un coup de poing, c'est assez satisfaisant, même si sur le moment tu te dis "merde, je vais me faire défoncer". » Dal encourage d'autres filles à en faire de même : « Plus les agresseurs se feront casser la gueule quand ils agressent, moins ils le feront. » « La peur doit changer de camp, la honte doit changer de camp », conclut-il.

* Personne assignée femme à la naissance, qui se définit aujourd'hui comme n'étant ni homme ni femme.

** Dont l'identité de genre correspond au sexe assigné à la naissance.