Quand le portable du photographe Théo Campredon retentit, un drôle de bruit émane de sa poche : « Bép-bép-bép-béppppp ». « Tu vois, c’est ça une symphonie », sourit le jeune homme. Une « symphonie » dans le sibyllin lexique de la bikelife, c’est le bruit que fait une bécane quand on joue avec la poignée d’accélérateur avec de brefs petits à-coups, en faisant trembler son poignet. Et ce gazouillis de moteur si singulier, qui résonne d’un peu partout en France, Théo Campredon le suit à la trace.


Depuis maintenant deux ans, le photographe né en 1994 et originaire du petit village de Millas, à côté de Perpignan, sillonne le pays pour rencontrer celles et ceux qui font la bikelife à la française. Calé généralement sur la selle d’un cross, le boitier argentique dans une main, l’autre prise par son caméscope, Campredon a flanqué ces derniers mois les pilotes de Sète, Montpellier, Marseille, Toulouse et bien sûr Perpignan, lors de leurs « barodes » (comprendre, les sorties en ville avec les bécanes). Cinq villes qui seront le sujet des cinq premiers numéros de son nouveau magazine, sobrement intitulé Bécanes, dont la sortie est prévue pour ce mois de novembre.
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Si Campredon a toujours un peu baigné dans la moto – « j’ai eu ma première moto à 10 ans, un Trial Gas Gas TXT » – pour lui la moto-cross, ça se faisait sur un terrain, dans la terre. Jusqu’à ce qu’il tombe sur 12 O’Clock Boys, un documentaire mythique sur la bikelife de Baltimore, où les pilotes débaroulent en Y (à la verticale, comme l’aiguille d’une montre qui pointe midi) dans le centre de cette ville du Maryland. « À cette époque, je fais mes études d’art à Bruxelles, je découvre cette manière de faire de la moto, et le Sud me manque. Du coup, je rentre chez moi. » Retour donc dans les Pyrénées orientales, où il retrouve un ami d’enfance qui l’amène à sa première barode. « De là, ça m’a piqué. J’avais l’impression de connaître le moto-cross, mais à chaque sortie, j’apprenais un truc nouveau : comment caler un pied sur un frein pour tenir sans les mains, comment jouer du frein arrière quand tu cabres la moto, comment faire une symphonie… ».


Puis vient l’envie de saisir tout ça sur papier glacé. « Depuis que je suis petit je prends des photos, j’étais le mec qui avait trop de Skyblogs », rigole Campredon. Au lycée, il prend de manière quasi-compulsive des tas de photos avec son BlackBerry, de skate, de tags. Et chaque été, il passe son temps à Visa pour l’image, le grand festival photo du coin. Avec sa petite caméra Kodak, il suit donc les quelques représentants de la bikelife de Perpignan. Mais il veut aller plus loin, comprendre d’où tout cela vient. « C’est comme si je faisais des photos de skate et de graffitis dans les années 1990, j’avais envie de voir d’où ça venait, pour comprendre et saisir l’énergie. » Direction donc Baltimore l’été dernier.


Enfin, ça c’était le plan de départ. Mais en arrivant à New-York, stop avant de rallier le Maryland, il apprend que son contact sur place, King Twan, éminent membre de la bikelife locale, a été assassiné. « Quand je disais aux gens de New-York que j’allais quand même aller à Baltimore, tout seul, pendant trois semaines, j’ai senti que ce n’était pas une super idée. » Finalement, il décide de rester à New-York, un autre haut-lieu de la bikelife mondiale. « Les deux premiers jours, personne ne me répondait trop, puis finalement ça s’est débloqué rapidement. » Il passe alors trois semaines immergé dans la scène new-yorkaise, aux côtés des IDAB (In Da Air Boys) de Brooklyn, les BikeStars du Queens ou encore du pilote de gros quad Banshee Will, qui mène les barodes du vendredi soir – les « Friday Nights » – où des centaines de pilotes participent.


De retour en France, auréolé de cette image de celui qui a vu et vécu où ça se passait, Campredon poursuit son tour de France de la bikelife, à la rencontre des pilotes de la moitié sud de l’Hexagone. Les « Mirailderz » – du quartier du Mirail à Toulouse –, les Montpelliérains de la Paillade ou encore les Perpignanais du Bas-Vernet défilent sous son objectif. Toujours à l’argentique, et avec avec des focales fixes, ce qui nécessite de réfléchir à son placement, à la lumière, tout ça sur une moto qui file à travers le trafic. « Puis pour changer les pellicules sur le cross, ce n’est pas simple », rigole le jeune photographe. Pour Bécanes, Campredon laisse la parole à ces pilotes, dont la pratique a été quelque peu compliquée par la loi sur les « rodéos motorisés » passée à l’été 2018 et qui prévoit des peines de prison ferme et de lourdes amendes.


Il n’est pas toujours simple d’avoir un endroit où ranger son cross, impossible à homologuer pour la route. « Du coup, t’en as qui montent leurs motos chez eux. J’ai un petit là qui me demande s’il peut dormir avec sa moto dans son lit ou bien si l’essence va couler – pour te dire comme ils sont passionnés, » rigole le photographe, qui roule aussi avec sa Honda 85 CR, un des cross légendaires aux côtés des Yamaha 125 YZ.


Avant que le confinement ne vienne mettre à l’arrêt un partie du globe, le jeune photographe comptait continuer son tour du monde de la bikelife en allant voir comment on levait du côté de Manchester et Londres, puis de l’autre côté de la Méditerranée au Maroc. Mais cela devra attendre. Il peaufine alors la sortie de Bécanes, dont le premier numéro sera consacré à sa ville de Perpignan, pour présenter les pilotes du coin, des motos mythiques, des anecdotes de barodes, afin de comprendre ce qui anime tous ceux qui aiment cabrer.
Théo Campredon est sur Instagram, ainsi que son magazine Bécanes.
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