On dit parfois que Bruxelles est un village. C’est pas une réalité pour tout le monde. Il en faut du temps, avant de vraiment connaître cette ville. Surtout pour quelqu’un comme moi qui vient du Limbourg profond. Et même si je commence à me déplacer sans trop utiliser Google Maps, il me faudra encore un certain temps avant que je puisse qualifier cette ville de village. Comment accélérer le truc ? Traîner avec un « vrai » Brusseleir.
« Mec, là je suis en Corée du Sud, mais la semaine prochaine ça devrait le faire. » C’est ce que m’a envoyé Lefto. Ma demande initiale ? Arpenter les rues de la capitale avec le DJ et animateur radio, pour démêler la ville – et lui aussi, en tant que personne. Avec une réponse comme ça, je crois que j’avais déjà commencé à cerner le gars, du moins un peu. Lefto parle, instagramme et tourne à du 200 à l’heure. Et je l’ai accompagné dans son délire.
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Mais d’abord, j’ai effectué quelques recherches pour préparer soigneusement mes questions. J’ai lu pas mal d’interviews et j’ai une nouvelle fois regardé la série Lefto in Transit, plein de nostalgie (j’avoue qu’à l’époque, cette série m’avait pas mal donné envie de venir vivre à Bruxelles). Quid de cette recherche alors ? Inutile. En fait, Lefto a surtout fini par me parler des bâtiments de la ville, des lieux les plus cools qu’il connaît, des politiques toujours plus débiles et des quartiers gentrifiés.
C’était l’une de ces douces journées d’automne, vers 13 heures. J’arrive au Parc royal en vélo, avec des flaques sous les aisselles. C’est là que se trouve Kiosk Radio. Lefto, vêtu d’une veste sans manches The North Face, nous accueille, Jonas, le photographe, et moi. Pourquoi on s’est captés ici ? « C’est mon café, mon bar, dit-il. Quand je suis à Bruxelles, je viens tous les jours. » Pour beaucoup de gens, c’est le centre musical de la ville, c’est là que tout se rassemble. « Le cerveau, dit Lefto. D’ici, on peut aller partout. »
La question de savoir pourquoi je suis venu vivre à Bruxelles revient toujours dans les conversations que j’ai avec les gens qui ne connaissent pas la ville. Je n’ai pas de réponse toute faite à cette question, contrairement à Lefto. Lui est né et a grandi ici, et sait très bien pourquoi les gens viennent s’y installer : « Beaucoup de gens qui font les choses sont venus vivre ici parce que cette ville, c’est comme un volcan. Quelque chose se prépare constamment. C’est la seule ville de Belgique qui compte le million d’habitant·es et niveau musique c’est quelque chose. Dans d’autres capitales, t’as des gros lieux comme le Berghain à Berlin par exemple. Bruxelles n’en a pas vraiment. Avec notre bagage musical (pensez à la pre-techno ou au New Beat, NDLR), la musique devrait être notre attraction principale. Mais, nous, les Belges, on est trop discret·es, genre “Voilà, ça c’est notre truc, et si vous voulez en savoir plus, venez”. »
Il a peut-être raison. C’est peut-être la raison pour laquelle moi, avec des potes, on a plongé les yeux fermés dans cette ville qui nous était inconnue. Quelque chose se prépare ici, et c’est bien qu’on ne soit pas spécialement le nouveau Berlin. Pour reprendre les termes de Lefto : « Bientôt, ça ne sera plus une question d’essence de la musique, mais plutôt du fait que c’est cool d’être ici. En fait, Bruxelles c’est pas cool juste si on y est, c’est cool si on s’en imprègne. »
« En fait, Bruxelles c’est pas cool juste si on y est, c’est cool si on s’en imprègne. »
Du parc, on part pour un tour à travers la ville, vers le Decoratelier à Molenbeek. Là, on veut aller rendre visite aux gars du collectif Noannaos dans leur nouveau studio. Quand on sort du parc, on a une vue sur tout le centre de Bruxelles. Lefto me dit qu’il connaît la ville de fond en comble : chaque commune, chaque rue, chaque coin de rue, chaque pavé. C’est un genre de sentiment d’appartenance à 200%, qu’on ne peut pas ressentir n’importe où. Quelqu’un klaxonne parce qu’on traverse à la dernière seconde. « Eh, deux secondes quoi, à l’aise ! », balance Lefto. À l’aise, il l’est clairement ici.
Alors qu’on traverse la galerie Ravenstein, Lefto s’engage dans un cours d’architecture bruxelloise rapido : « Ça fait super São Paulo, ces grandes galeries avec ces plafonds de ouf et ces méga structures en béton. À Bruxelles, t’as pas mal d’endroits et de quartiers qui me rappellent d’autres lieux dans le monde, comme Paris ou Brooklyn. Les personnes qui ont contribué à la construction de Bruxelles avaient une vision de citoyen·nes du monde. Moi par exemple, j’habite près de la tour Brusilia à Schaerbeek. Ce nom vient de la ville de Brasilia, où l’architecte brésilien a réalisé des bâtiments dingues. La tour à Bruxelles s’inspire de lui, d’où le nom. »
On sort de la gare centrale et son regard se tourne vers le Mont des Arts. Le cours d’architecture continue : « Et puis t’as le surréalisme bruxellois. L’ensemble de ce quartier, par exemple, c’était un grand parc, et au-dessus il y avait une chute d’eau. Autour, y’avait deux rues avec de belles maisons (le quartier Saint-Roch, NDLR). J’adore regarder les vieilles photos de Bruxelles. Je me dis souvent : “Si on avait gardé ça comme ça, ça aurait été incroyable.” »
Alors qu’on se déplace sur le boulevard Anspach, au cœur du centre-ville, la discussion se déplace autour de Music Mania, un disquaire qui se trouvait dans le quartier à l’époque. Lefto y a travaillé pendant une dizaine d’années et, grâce au fait qu’il était à la source-même de toute cette musique, c’est là que sa carrière de DJ et dans la radio a été lancée. Beaucoup de Bruxellois·es achetaient leurs disques chez Music Mania, et c’était aussi un lieu de rencontre central, « le Kiosk d’aujourd’hui ».
On se dirige vers le canal en traversant le quartier gentrifié de Dansaert. Au magasin de plantes Rocco Pantalòn, une fenêtre a été brisée. « Hé, il s’est passé quoi vieux ? », demande Lefto au proprio qui se tient dans l’embrasure de la porte. « Lui, c’est Ben, le mec des plantes. » Il lui explique qu’on fait un petit article sur Bruxelles (et sur lui), ainsi que sur les raisons pour lesquelles il aime sa ville, et parfois un peu moins. « Et parfois un peu moins, ouais, dit Ben en riant. Alles bien ? »
Que Lefto connaisse tout le monde à Bruxelles et tous les bâtiments, je m’y attendais. Bruxelles c’est un village, qu’on disait. « On est ici dans le quartier flamand, et tu peux le sentir », dit-il, toujours en mode visite guidée. J’ai effectivement un flash d’un café de mon village. Lefto remet : « On le sent dans la créativité qu’il y a ici, mais aussi dans le type de cafés et de restaurants. Parfois, on est assis quelque part et on se dit qu’on pourrait tout aussi bien être au cœur de la Flandre, dans un café près de la tour avec l’horloge à Leffinge ou un truc du genre. »
Ben nous raconte qu’il trouve que le mélange de nationalités est la chose la plus cool dans ce quartier. Croyez-le ou non, à part les Flamand·es, il y a aussi les Francophones, les Turc·ques, les Roumain·es et autres qui cohabitent ensemble. Ce qui, selon lui, et selon Lefto (et selon moi), est l’un des plus grands charmes de Bruxelles. « Et ça marche, dit-il fièrement. Oui, ça provoque parfois des tensions, mais ça le fait. » Lefto confirme d’un signe de tête : « Et tout le monde travaille là-dessus. »
Ben relance : « Je viens de manger une bonne boulette chez Erwin, rue du Cirque, tu connais ? Vraiment bien. Apparemment, il va fermer boutique, on devrait aller y choper un bon gros stock. » Je ris, Lefto ne réagit pas. La conversation s’achève et on bouge vers le canal.
« Un jour, les proches de Pándy ont étrangement disparu. »
Sur le pont qui lie le centre-ville à Molenbeek, on s’arrête un moment. On s’intéresse à cet espace intermédiaire, entre l’eau et la ville, où les graffitis sont omniprésents. Pour Lefto, ça montre que la ville est vivante. Imaginez si ce mur était blanc. Ce serait effectivement bizarre. « Tu vois ce terrain vague au coin de la rue ?, demande Lefto en pointant du doigt. C’est là qu’András Pándy vivait avec sa famille. Pour le savoir, il faut vraiment être d’ici. Un jour, les proches de Pándy ont étrangement disparu, poursuit Lefto. Et des choses étranges se sont produites autour de la maison : des odeurs étranges, des chiens qui grattaient les murs. Il s’est avéré qu’il avait tué tous ses proches et il les avait mis dans les murs et dans le sous-sol de la maison. Quand ils ont découvert ça, ils ont décidé de raser le bâtiment. Il fallait que ça parte. » (Pándy a violé plusieurs membres de sa famille, les a assassinés et a dissous les corps dans de l’acide. Des restes d’os et de dents ont été trouvés dans du béton, NDLR.)
Le long du canal, il y a beaucoup de nouvelles startups, de bâtiments rénovés, des musées… On pourrait penser que les politiques bruxellois·es ont une vision claire de la direction qu’ils veulent donner à la ville. Malheureusement, Lefto voit les choses différemment : « Des politiques ont eu des idées différentes pour la ville, bonnes ou mauvaises. Au Sablon, près de la place de la Chapelle, il y avait par exemple un bâtiment Horta, notre Niemeyer (la Maison du Peuple, détruite en 1965 pour faire place à une tour de bureaux de 26 étages, NDLR) ! Ils l’ont rasé. Je me demande pourquoi. Parfois, je me demande si les politiques aiment vraiment leur ville. Vous voulez en faire quelque chose ou vous agissez purement par intérêt ? »
Au cours de notre balade, j’ai la plupart du temps entendu Lefto débiter des éloges sans réserve sur Bruxelles, mais comme toute métropole, la ville a aussi ses problèmes. Lefto décrit cette relation comme une relation d’amour-haine que de beaucoup de gens entretiennent avec la capitale : « L’amour c’est pour son charme, la haine parce qu’il s’y passe des choses qui ne devraient pas arriver. Mais en fin de compte, on veut pas l’échanger pour une autre ville. Même si certaines paraissent beaucoup plus “parfaites”, comme Tokyo ou en Scandinavie par exemple, une ville doit pouvoir être ce qu’elle est, avec ses imperfections et ses possibilités d’amélioration. »
Traverser Bruxelles avec Lefto sans parler de musique, ça fait presque bizarre. Comme on est sur le point de rencontrer le collectif Noannaos et que Pippin est sur la tracklist de l’un de ses nouveaux albums, je ne peux m’empêcher de lui poser des questions à ce sujet. On parle de la compil’ The Beauty is Inside, sorti sur le label britannique BBE, sur lequel figurent aussi des noms internationaux comme Iman Houssein.
Lefto a largement dépassé la quarantaine et est un artiste établi, mais il trouve encore le temps et l’énergie de mettre en place des projets comme celui-ci et de soutenir de jeunes artistes. Est-ce une responsabilité que les DJs et les artistes qui travaillent en radio portent avec eux ? Il acquiesce : « Si je vois que les gens apprécient un certain disque, je pense aussi qu’il mérite d’être exposé. C’est un peu mon travail en tant que radiomaker. On peut pas nier l’impact de compilations comme celle-ci. Quand certain·es artistes signent sur des labels après une release, c’est une pure satisfaction. C’est un peu comme si un coach expliquait une tactique à son équipe, et que ça marchait à fond. »
Notre conversation prend fin quand on prend la rue de Manchester, à Molenbeek. Ici, trois importants lieux culturels bruxellois sont situés à un jet de pierre l’un de l’autre : le VK, le Recyclart et le Decoratelier. Lefto aperçoit Susobrino au loin. Il vient de faire un show et décharge du matos de sa voiture. « Suso, Suso ! On entre avec vous », crie Lefto depuis l’autre côté de la rue.
Noannaos est un jeune collectif d’artistes bruxellois composé de Pippin, Ashley Morgan et Susobrino. Récemment, ils ont eu la chance de s’installer temporairement au Decoratelier, un lieu insolite, fondé par le dramaturge Jozef Wouters, où l’accent est mis sur l’espace et la manière de l’utiliser de manière créative. On aide Suso avec son matériel. Dans la cour, on tombe sur Pippin. En traversant le magnifique bâtiment du Decoratelier, on entre dans le studio de Noannaos. Ashley et Dushime sont en train de travailler sur un nouveau single. Tout le monde se salue et on s’installe.
Lefto nous présente Dushime. L’été dernier, je l’ai vue à Couleur Café en concert avec Niveau4. Elle était accompagnée par le groupe de jazz/electro ECHT!, et elle m’avait complètement bluffé avec sa voix à couper le souffle, j’ai cru rêver pendant un moment. Je lâche : « Euh ouais, je t’ai déjà vue en concert, héhé. » Lefto présente : « Dushime fait plus que de la musique. Quand on la voit en live, on le ressent. On est aspiré dans son univers. »
Spontanément, Lefto commence à poser des questions. Ici aussi, parmi ces jeunes artistes, il se sent chez lui. On parle de l’arrivée de Dushime à Bruxelles, de sa rencontre avec Noannaos et du fait qu’elle n’avait jamais une connexion musicale aussi forte avant de rencontrer Pippin. Les deux travaillent ensemble sur son EP. On parle aussi de ses origines rwandaises, sur ce que c’est que de découvrir progressivement ses racines dans et à travers sa musique. « En matière de musique, j’emporte beaucoup de choses de chez moi, confie Dushime. Il y a quelque chose dans mon ADN, je commence de plus en plus à trouver la source de mon son maintenant. »
Lefto lui demande si elle rencontre des difficultés en tant que fille d’origine rwandaise à Bruxelles. Une réponse franche mais douloureuse suit : « C’est un euphémisme, on s’y habitue un peu. Je me sens plus chez moi ici qu’à Gand, par exemple. En fait, je suis toujours à la recherche de mon vrai chez-moi, mais j’aime bien ça. Le monde est si grand putain, et il y a encore tellement à découvrir en termes d’odeurs, de couleurs, de personnes et d’âmes. Mais c’est plutôt agréable d’avoir un point d’ancrage ici. » Susobrino enchaîne : « Je le sens aussi, c’est vraiment une phase de notre vie, je nous vois tou·tes nous disperser après. Bruxelles c’est comme un pont vers un truc plus vaste. »
Lefto demande aussi à Susobrino comment il se sent à Bruxelles avec ses origines boliviennes, et s’il y a des endroits où il va pour trouver des choses boliviennes. Il dit encore découvrir la ville et avoue honnêtement que parfois il n’ose pas encore s’aventurer partout. « C’est intimidant pour moi, dit-il en riant. Je suis assez discret, mais y’a des gens et des cultures qui sont plus désinhibées, ouvertes, franches. C’est cool pour eux. »
La conversation se poursuit à propos d’une page Instagram de mères boliviennes à Bruxelles et sur le caractère typique de la ville. Lefto nous raconte aussi l’histoire d’une soirée Strictly Niceness de DJ Kwak à la Bodega. Au même moment, une autre fête avait lieu : « J’avais du mal à croire ce que je voyais : une méga piste de danse pleine de gens d’origines latino-américaines. Au milieu, il y avait deux épaves de voitures, sur lesquelles tous les gens dansaient. Au moins deux ou trois mille personnes ! »
« Le jazz et Bruxelles, ça va ensemble ! »
Du Covid et des vidéos de rassemblements illégaux, on en arrive à parler du chaos absolu de l’architecture bruxelloise. Lefto explique qu’il a vécu à Gand pendant un certain temps, mais qu’il a rapidement voulu revenir à Bruxelles, à Schaerbeek. « C’est ton endroit préféré ? », lui demande Pippin. Lefto confirme que près du parc Josaphat, c’est un bonheur. « Parfois, j’ai envie de vivre à nouveau en hauteur. La hauteur me procure une certaine tranquillité. Au-dessus d’un certain niveau, tu n’entends plus de sons distincts, juste un bruit de fond. Le Brusilia, chez nous, fait 35 étages. À partir du quinzième, on entend seulement “Hooooo” et on voit toute la ville, “Bam” ! »
Ashley et Dushime travaillaient sur le nouvel EP de Dushime et proposent de nous faire écouter une petite partie. L’ordi portable surchargé d’Ashley peine à le supporter, mais on écoute ce qu’il joue, et les couches de voix de Dushime sont magiques. Lefto pose ses mains sur les épaules d’Ashley comme un coach tout fier, il écoute avec concentration, et il sent que c’est du bon. Il y a un avenir là-dedans. C’est un thème récurrent dans mes conversations avec Lefto : prendre les talents émergents sous son aile et les pousser à faire plus, mieux et plus grand.
On sort et le soleil tape bien. « Bel endroit, hein », me lance Lefto quand on se retrouve à nouveau seuls. « Je suis content qu’on y soit allés, et qu’on ait vu Marie aussi (la programmatrice et coordinatrice du Decoratelier, NDLR). Elle tient vraiment le truc. Des endroits comme celui-ci sont cruciaux pour la ville. Mais ouais, chacun·e a sa propre histoire et sa propre vision de Bruxelles. Mais si y’a une chose que tout le monde a en commun… quand le soleil brille, il brille pour tout le monde », dit-il en levant les yeux vers le ciel.
En plus de l’album qu’il a curaté sur BBE, Lefto a sorti un autre projet plus tôt cette année : Jazz Cats, Volume 2, sur le label belge Sdban Records. Pour ce projet, il a réuni des groupes de jazz belges jeunes et non conventionnels, la nouvelle scène en quelque sorte. Je suis moi-même un gros fan de ce genre de jeunes groupes en devenir. Ils ont du cran et mélangent harmonieusement le jazz avec le hip-hop, la musique électronique et tout ce qui se trouve entre les deux. Je pense que le public est aussi ouvert d’esprit et désireux de découvrir ce genre de trucs. Lefto est également de cet avis : « Le jazz c’est vraiment devenu un genre branché. Quand on leur demande ce qui les a inspiré, beaucoup de groupes de jazz répondent “Badbadnotgood”, par exemple. »
Coïncidence ou pas, on passe devant l’Archiduc, un club de jazz légendaire situé près de la Bourse. Miles Davis et Jacques Brel y ont déjà joué, Lefto balance : « Le jazz et Bruxelles, ça va ensemble ! » Pendant que je préparais cet article, j’ai vu une vidéo dans laquelle Lefto parlait de spiritual jazz. L’un des artistes les plus emblématiques du genre, Pharaoh Sanders, est décédé en septembre. « C’était l’un des big poppas !, enchaîne Lefto. Le genre de personnes qui te fait réaliser qu’il y a tellement de choses liées à la musique. On sent le lien entre la musique et la terre. Certaines fréquences vous touchent d’une manière différente. » Il fait un pont avec l’ambient, avec lequel il éprouve parfois le même sentiment, par exemple avec des artistes comme Roméo Poirier ou Jan Jelinek : « Ils vont très loin dans les sons et les fréquences émotionnelles. Ils me touchent de la même façon. »
On regagne le centre et on passe devant la Bourse, toujours avec ses échafaudages. Lefto ne peut réprimer son virus du guide touristique et se remet à parler. C’est apparemment Napoléon qui en a ordonné la construction. Tout d’un coup, Lefto se souvient : « Une fois, j’ai fait une visite guidée de la ville avec un mégaphone, pour 80 personnes du monde de la musique. » Ça explique pas mal de choses.
« Viens, on va à la Galerie Agora. J’y allais souvent quand j’étais gosse. » Pour les gens qui ne connaissent pas l’Agora, imaginez un dédale de petites boutiques débordant de valises, de casseroles et de vestes en cuir. Lefto explique que les choses y étaient différentes avant. « Il y avait plusieurs disquaires spécialisés en hip-hop ici. C’était notre endroit, notre lieu de détente. Big shot, un crew de Bruxelles, avait un magasin ici avec beaucoup de vinyles importés des États-Unis. En face, il y avait un autre magasin qui ne proposait que du vrai hip-hop US, de la vraie dope de New York. C’était le bon vieux temps. »
Sous la chaleur toujours étouffante de cette journée d’automne, on retourne vers le Parc royal, légèrement en sueur et le vent de face. On parle un peu plus de labels, de la structure de son époque et de la vitesse à laquelle tout va en 2022. Lefto lance : « J’ai trop envie d’un Club Mate au Kiosk là. Et de chips. »
Au Kiosk, on boit le Club Mate ensemble. Il fait défiler son téléphone portable et tourne son écran vers nous. Sa boîte mail et son Instagram débordent de messages, venant notamment d’artistes qui lui envoient des sons. « Ça c’est quand je suis pas sur mon phone pendant un moment. » Il en rit. Quelques potes le rejoignent. Je prends une dernière gorgée, je capte Jonas du regard, et on bouge. Bruxelles, un jour tu deviendras aussi mon village.
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