L’auteur durant son enfance.
L’adolescence constitue cette courte période de l’existence où chacun découvre à sa manière le sexe, les premières virées nocturnes et toutes sortes de désirs contradictoires. Me concernant, ce fut aussi l’occasion de constater que j’avais échappé de peu au destin de tueur en série qui me tendait les bras. Du moins, selon les théories de John Marshall MacDonald, un psychiatre néo-zélandais du 20 e siècle qui a consacré une grande partie de son travail à l’étude des sociopathes.
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Au début des années 1960, ce scientifique a développé le concept controversé de triade de sociopathie, aujourd’hui plus connu sous le nom de triade Macdonald. Le principe est simple : trois caractéristiques permettent d’identifier les futurs tueurs en série alors qu’ils ne sont encore que des morveux accrochés aux jupes de leur mère. Il s’agit d’actes de cruauté répétés envers les animaux, d’une obsession pour le déclenchement du feu, et le fait d’uriner au lit passé l’âge de cinq ans. J’avais 16 ans lorsque j’ai découvert cette théorie, au hasard de mes errances sur Internet. Parmi les trois critères que je vous ai énoncés, je répondais aux deux premiers.
Comme je vivais en internat pendant la semaine, mon premier réflexe fut bien sûr d’annoncer cette découverte à mes camarades de chambre. Nous avons dès lors passé plusieurs soirées à imaginer toutes sortes de scénarios – dans lesquels je finissais implacablement par les planter durant leur sommeil à l’aide de tout objet tranchant disponible au sein du lycée. Vous n’imaginez pas à quel point on a pu se marrer. Pour être honnête, même si je me traînais une réputation de freak, je n’inspirais pas vraiment la crainte.
Mais cette découverte a eu le mérite de me faire replonger en enfance, une période dont je ne gardais que très peu de souvenirs. D’ailleurs, les maigres images qui y sont liées se manifestent toujours dans mon esprit sous la forme de petites séquences d’animations en rotoscopie (si vous ne voyez pas de quoi je parle, regardez les films Waking Life et A Scanner Darkly du réalisateur Richard Linklater, ce sont de très bons exemples d’utilisation de cette technique). Comme si les événements qui se sont déroulés jusqu’à mes onze ans n’avaient qu’en partie existé.
Dès mes six ans, je suis allé chez un psychologue à Paris, où je vivais alors. Mes parents étaient en plein divorce, et je suppose qu’il s’agissait pour eux d’anticiper d’éventuelles séquelles sur mon comportement. Ils n’avaient pas tort. En revoyant des films de famille qu’ils avaient tournés à l’époque, j’ai été surpris par mes attitudes effacées, mon manque d’expression et de communication. Mes rendez-vous hebdomadaires avec le psy se sont par ailleurs étendus jusqu’à mes dix ans.
Suite au divorce de mes parents, je partais régulièrement en vacances avec mon père, dans une maison de famille située à Plouharnel en Bretagne. Comme je suis fils unique et que je n’ai que très peu de cousins de mon âge, ces moments constituaient souvent des périodes d’ennui mortel marqués par la solitude. Je ne pouvais pas emmener de jouets avec moi, et encore moins de jeux vidéo (dont j’étais de toute façon privé). C’est là que mes expériences sur les animaux ont démarré.
Je découvrais un sentiment de toute-puissance, comme si j’étais Dieu. Du haut de mon mètre dix, je détenais le droit de vie ou de mort et j’assistais à ce spectacle avec fascination. »
Je ne m’en prenais pas aux chiens ou aux chats. D’abord parce qu’ils pouvaient se retourner contre moi par l’intermédiaire de leurs griffes ou de leurs crocs, ensuite parce que je les identifiais déjà comme des êtres vivants. Ce qui n’était pas le cas des petites espèces comme les lézards, les grenouilles ou les escargots. À mes yeux, ceux-là étaient seulement des jouets doués de mouvement, à l’instar des automates. Je les enfermais sous une cloche à fromage ou dans une boîte pour les observer cohabiter malgré leurs différences. Et lorsque cette phase d’observation m’ennuyait, je passais à la phase de destruction.
J’arrachais leurs membres ou les brûlais vivants à l’aide d’allumettes – mon père m’avait appris à en craquer. C’était un véritable feu de joie qui se présentait sous mes yeux, une apocalypse réduite au petit monde que j’avais créé. À ma façon, je découvrais un sentiment de toute-puissance, comme si j’étais Dieu. Le psychanalyste Ernest Bornemann a inventé un terme pour décrire cela : le zoosadisme. Du haut de mon mètre dix, je détenais le droit de vie ou de mort et j’étais fasciné par ce spectacle, malgré les odeurs nauséabondes et les sifflements infernaux qui me parvenaient des créatures dévorées par les flammes. Plus tard, j’allais directement m’approvisionner en pétards au bar-tabac du village pour faire exploser mes petites victimes avec jubilation.
J’ignore si mon père connaissait mes jeux macabres ou s’il s’en foutait, mais je n’ai jamais reçu d’engueulade pour cela. En revanche, je me rappelle de ma grand-mère me filant une rouste et m’expliquant qu’on ne pouvait pas torturer ainsi les êtres vivants. Idem pour mon grand-père, qui m’a un jour surpris en train d’embrocher des crapauds à l’aide d’un sabre décoratif (que j’avais déniché je ne sais où). Au mieux, mes grands-parents s’imaginaient que j’étais totalement débile, au pire dangereusement cruel. Avec du recul, je pense que ne parvenais même pas à mesurer la portée sadique de mes actes.
Moins qu’une véritable passion pour la violence ou la destruction, c’est l’ennui d’une enfance coupée des autres qui m’a conduit à agir de la sorte.
À côté de cela, je fabriquais aussi de petites constructions à partir d’allumettes collées entre elles. Une activité innocente, si celle-ci n’incluait pas de devoir brûler l’une de leurs extrémités pour les maintenir. L’occasion pour moi encore de contempler les flammes que je faisais naître et de manquer à de nombreuses reprises de mettre le feu aux lieux où je me trouvais, y compris dans des appartements.
Avec l’âge, j’ai fini par laisser ces jeux de côté. Je me suis fait des amis, ai gagné en indépendance et je suis entré dans une adolescence relativement normale (entendez par là similaire à celle que la plupart des gens connaissent). Moins qu’une véritable passion pour la violence ou la destruction, c’est l’ennui d’une enfance coupée des autres qui m’a conduit à agir de la sorte. Si j’avais eu un grand frère ou une grande sœur pour me dire quelles conduites je ne pouvais pas adopter, je n’aurais peut-être pas commis ces actes. Enfin, mon imagination et ma soif d’expérimentations étaient également débordants. Il me fallait trouver un moyen de les canaliser. Adolescent, j’ai commencé à jouer de la musique, réaliser des petits films qui m’ont permis de m’exprimer pleinement. Aujourd’hui, mon métier est pleinement axé autour de la créativité.
Et lorsque je vois dans les journaux ou à la télévision des types mettre le feu à des voitures ou se déchaîner dans la violence, je ne les perçois pas non plus comme des sociopathes. J’imagine qu’eux aussi s’emmerdent. À un tel niveau que foutre le bordel devient leur seul moyen d’exister.
Le prénom de l’auteur a été modifié.
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