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Fange vient plomber l’ambiance

Pour bien commencer la semaine, les rois du sludge-game nous ont filé en exclu « Cour martiale », premier titre extrait de Purge, le successeur de Poisse (oui, parfaitement), dont la sortie est prévue à la rentrée. Et il s’agit tout simplement de la mandale la plus épaisse jamais enregistrée sur l’échelle du phat depuis la création du sous-accordage de guitare. Pour ce faire, Benjamin Moreau, le guitariste et chef d’orchestre du caterpillar rennais, s’est adjoint les services d’un nouveau batteur et de Matthias Jungbluth au chant, rien de moins que le boss de Throatruiner Records et la gorge attitrée de Calvaiire. Ça s’écoute juste en dessous, le temps de lire ce que Benjamin et Matthias nous disent de la naissance de ce monument d’infra-basses et de mépris du genre humain.

Noisey : Matthias, tu es responsable du chant sur l’album à venir. C’est une intégration permanente ou un featuring option de luxe ? Comment t’es-tu retrouvé dans ce merdier ?
Ben
: Quand Jyb (Jean-Baptiste, chanteur sur Poisse ndlr) nous a annoncé vouloir faire une pause j’ai tout de suite pensé à Matthias pour prendre le micro vu qu’on avait déjà joué ensemble et que ça s’était très bien passé. Il apporte une énergie bestiale et du muscle aux compos, ce qui sied parfaitement à l’idée que je me faisais de ce disque en le composant. On est super contents des voix sur ce disque en tout cas, avec le retour prochain de Jyb et le mélange de nos trois timbres on aura vraiment plus d’impact pour crier nos insanités.

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Matthias : Ben m’avait déjà proposé de rejoindre Fange lorsqu’il a monté le groupe, mais étant donné que ça tombait au moment de la sortie de l’album de Calvaiire, j’avais ni le temps ni l’énergie pour me consacrer pleinement au truc. Tout le contraire lorsqu’il m’en a reparlé il y a quelques mois, et vu que j’étais en train de rouiller musicalement parlant je ne me suis pas fait prier.

Je te demandais ça parce que je sais que le line-up du groupe a été assez fluctuant et que c’est avant tout le projet de Benjamin. Tu t’es investi dans l’écriture des textes également ? Le travail sur le traitement des voix est vraiment capital sur Purge je trouve.
Ben
: Après la tournée avec Rvines fin 2014 on a eu quelques mois un peu compliqués, mais ça m’a permis de composer pour retranscrire cette frustration et au final on s’en sort plutôt bien. On avait déjà écrit tous les textes avec Jean-Baptiste avant que Matthias n’arrive en fait mais j’ai trouvé ça pertinent qu’il veuille vraiment inscrire sa patte sur le projet vu que la musique était déjà composée. Une preuve d’investissement de sa part qui nous a permis de voir qu’il était vraiment motivé par le projet sur le long terme !

Matthias : Au final je me suis occupé de toutes les paroles même si les gars avaient déjà gratté des trucs en amont. J’avais accumulé pas mal de textes ces derniers mois et je ressentais le besoin pressant de les « fixer » sur des titres, d’autant plus qu’interpréter d’autres textes c’est pas forcément ce qui me stimule le plus. Niveau contenu je reste dans des thématiques de babtou fragile hein, heureusement je rentabilise mon dictionnaire de synonymes pour pas que ça soit trop flagrant.

Pour les voix, je voulais tout sauf un truc trop bateau; dans les musiques extrêmes le chant est quand même souvent traité par dessus la jambe, comparé aux autres instruments et amène rarement quelque chose aux compos sinon une agression très linéaire, qui perd donc vite en impact. A ce niveau-là mes grosses références, c’est Starkweather, Khanate et les clodos devant les Monoprix (des trois, probablement l’influence qui s’entendra le plus), et poser sur des instrus plus lentes et moins déstructurées qu’à mon habitude était idéal pour développer ça. Même si on a quand même gardé plein de prises foireuses, aussi bien volontairement que par la force des choses – je tiens pas plus de deux prises par titre – mais ça sert très bien le propos.

Vous avez aussi intégré un nouveau batteur depuis…
Ben
: Boris a apporté énormément musicalement et humainement depuis son arrivée au printemps 2015. Autant son background plus hardcore a donné beaucoup d’impact au jeu mais sa sensibilité aux musiques improvisées et au jazz a au contraire permis beaucoup de versatilité et de subtilité dans l’approche rythmique de notre musique. Il nous permet clairement de sortir des carcans stylistiques grâce à ce toucher. Et comme il le dit si bien « on est des fans de hip-hop qui ne savent pas faire autre chose que du rock », on s’est plutôt bien trouvés.

Les textes de Fange ont toujours évoqué le monstrueux, la difformité, la maladie, le rituel tordu… mais dans un registre de langue qui se situe plus du côté de Georges Bernanos que de la google trad. de Cannibal Corpse. Il y a une résonance un peu avec les textes de Calvaiire ?
Ben : Pour moi c’est l’exutoire ce projet, autant musicalement que dans les textes, c’est un gros « va mourir » à la gueule de qui croisera mon chemin. Notre avantage c’est qu’on a (Jyb, Matthias et moi) un style d’écriture différent mais qui traite sur le fond des mêmes ressentis ou des mêmes sujets. Le travail d’écriture croisé pour les prochains morceaux sera vraiment intéressant de ce point de vue, le choix d’écrire en français facilitera à mon avis ce processus- justement pour ne pas tomber dans ce côté gore série B dont tu parles en citant Cannibal Corpse.

Matthias : En fait j’avais déjà écrit une bonne partie des textes de l’album avant mon intégration et ils auraient aussi bien pu servir pour Calvaiire, vu que je gratte indifféremment pour des projets. Même si là ça collait très bien puisqu’on a des approches quand même pas trop éloignées.

Concernant les conditions d’écriture, en gros tout s’est étalé sur l’année passée. Période où tout ce que j’avais échafaudé depuis des années pour m’éviter les combats de regard avec un certain grand vide intérieur s’est bien ramassé la gueule. Au final, il y a une sorte de trame de fond qui se dégage, et qui fonctionne parfaitement avec le titre de l’album et la pochette – déjà fixés avant mon arrivée – c’est ce rapport au corps aussi bien comme prison que comme dernier refuge. Dans les faits, et pour les éléments qui ont indirectement beaucoup teinté les textes, je me suis fait aider et je me suis mis à courir suffisamment pour m’abrutir. Rejoindre Daesh était une option plus fendarde mais j’avais personne pour faire garder mon chat.

C’est quoi ta ballade préférée de François Villon ?
Ben
: Je suis plus Yves Bonnefoy perso.

Matthias, tu participes aux textures harsh-noise du groupe, qui étaient gérées par Jyb auparavant ?
Ben

Matthias : Pas impossible dans le futur, même si je mets un point d’honneur à être totalement inapte avec un instrument entre les mains.

Benjamin, tu as toujours un pied dans le drone, l’ambient et l’abstrait avec Hendiadys ?
Ben
: Toujours oui, comme sur les précédents enregistrements, on a composé et enregistré la noise du disque tous les deux. On a testé une approche différente dans les dynamiques des textures et des impacts sonores vu qu’on n’était pas sûrs de pouvoir tout reproduire en live le temps qu’il revienne activement dans le groupe. Sur Purge la noise est peut-être plus subtilement amenée pour renforcer la musique, mais on sent un manque sur scène quand il n’y en a pas, ne serait-ce qu’à cause de son influence sur notre jeu pendant les temps morts. La prochaine étape sera de véritablement composer à partir de cet élément, de faire rentrer tout ça dans le processus de composition et pas en bout de chaîne. Même si je pense toujours à des passages où la noise aura une importance de taille dans l’appréhension de certains passages dans les morceaux quand je les compose, il serait intéressant qu’on place la noise au centre de l’écriture plutôt que le riff par moments.

Matthias, tu tiens comment, à gérer seul un label qui prend de l’envergure (Throatruiner est devenu officiellement l’antenne européenne de Deathwish il y a peu si j’ai tout suivi), et autant de projets musicaux ? Tu as un secret minceur ?
Matthias :
J’en chie, mais j’ai pas trop le choix si je veux prétendre à la médaille de Meilleur Ouvrier du Hard Rock français. Et j’ai quand même l’immense privilège de pouvoir faire des trucs suffisamment mortels pour être content de pas trop voir la lumière du jour. Niveau forme, je commence à expérimenter le programme Übermensch, qui consiste à avoir une alimentation composée exclusivement de beurre de cacahuète et à faire des tractions en écoutant très fort Public Castration des Swans.

Purge sortira le 2 septembre, et vous pouvez le pré-commander ici ou là.

Iris de Saint-Aubin-d’Aubigny claudique dans la fange loin de Twitter.