Cet article a été initialement publié sur Tonic.
C’est le mercredi que j’ai appris la nouvelle. Ma sœur m’a envoyé un texto : « Vendredi, mamie va mourir. » C’est tout. Je n’avais que quarante-huit heures pour encaisser le coup et anticiper ses derniers moments.
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L’océan Atlantique m’a séparée de ma grand-mère pendant la majeure partie de ma vie ; j’ai grandi aux États-Unis, tandis qu’elle est restée profondément attachée à ses Pays-Bas natals. Reste qu’il y a des choses à propos d’elle que je n’oublierai jamais. Elle adorait le feuilleton télévisé As the World Turns. Elle avait une armoire toujours pleine de biscuits et de crackers dans sa cuisine lorsque nous étions enfants, et si vous cherchiez assez longtemps, vous trouviez toujours une boîte de cookies au beurre quelque part. Ses cheveux étaient toujours colorés, ses tenues assorties, son maquillage fait. Et mamie adorait le champagne. Quand elle a rencontré mon copain pour la première fois, il y a cinq ans, elle a rempli sa flute encore et encore, un large sourire sur le visage – c’était sa manière à elle de traverser la barrière de la langue.
Les souvenirs les plus marquants au sujet de ma mamie sont ceux que je n’ai pas. Je ne me souviens pas de l’avoir vue fâchée, froide ou bouleversée. Je me souviens de son rire, de son humour, de sa douceur. Peut-être est-ce le deuil qui parle. Mais je pense qu’il s’agissait tout simplement de sa manière d’être.
Quand j’ai appris que deux médecins avaient approuvé sa demande d’euthanasie – un terme fièrement employé aux Pays-Bas –, mon cœur s’est brisé. Quand je l’ai vue pour la dernière fois, en avril, elle vivait encore de manière autonome dans son appartement du deuxième étage, situé au-dessus d’un restaurant, mais sa vue et son ouïe avaient diminué : elle me confondait avec mes sœurs, Libby et Indy, et n’était plus capable de tenir une conversation à table. Quatre mois plus tard, elle a été transférée dans une maison de retraite médicalisée et a demandé à plusieurs médecins de l’aider à mourir. Conformément au droit néerlandais, deux médecins ont approuvé cette demande avant de passer à l’acte. Après quoi mamie a enfin été soulagée.
Aux Pays-Bas, l’euthanasie est autorisée dans les cas où le patient fait l’objet d’une souffrance « durable et insupportable » sans espoir d’amélioration, comme l’indique la loi de 2002 qui a rendu cette pratique légale. En 2016, 6 091 décès sont survenus par assistance médicale, soit 4 pour cent de tous les décès à travers le pays. Les Hollandais ont d’ailleurs une approche très « progressiste » de la mort : il existe même une proposition législative intitulée « Voltooid Leven » ou « Vie complétée » qui donnerait à tous les plus de 75 ans le droit d’accéder à l’euthanasie s’ils estiment que leur vie est « complète », indépendamment de toute raison médicale.
Cela ne veut pas dire que l’euthanasie est une procédure laxiste. « Le processus de décision est très minutieux », déclare Annerieke Dekker, employée à Levenseindekliniek, une clinique de fin de vie qui a aidé 498 personnes à mourir en paix l’année dernière. Le patient doit être en état de souffrance, faire une demande volontaire, avoir conscience de l’impact de sa demande et ne pas avoir d’autres options de traitement. « Ce processus peut prendre des mois, surtout si le cas est compliqué. »
L’euthanasie n’est légale que dans quatre pays – la Colombie, le Luxembourg, la Belgique et les Pays-Bas – et c’est un médecin qui administre le médicament au patient, le plus souvent par injection. « Ce serait inconcevable ici », déclare Peg Sandeen, directrice de Death with Dignity, une organisation de l’Oregon qui aide les États à adopter des lois sur l’euthanasie. « D’un point de vue politique, je doute que cela se produise. J’estime que le passage à l’acte doit être sous le seul contrôle du patient. »
Aux États-Unis, l’aide au suicide, à ne pas confondre avec l’euthanasie, est légale dans cinq États, en plus de Washington DC. (L’année dernière, 30 États envisageaient d’adopter des lois similaires, selon Sandeen). Conformément au droit de mourir dans la dignité, le médecin prescrit le médicament destiné à induire la mort, et le patient est libre de le prendre selon ses propres termes : la différence avec l’euthanasie est que c’est le patient qui déclenche sa mort et non un tiers.
Dans l’Oregon, où les lois sont plus restrictives, un patient doit souffrir d’une maladie en phase terminale et avoir moins de six mois à vivre pour bénéficier de la procédure. Il doit être examiné par un médecin, faire une demande orale, attendre quinze jours, voir un deuxième médecin, faire une deuxième demande orale et une demande écrite. Si le médecin confirme que le patient satisfait à tous les critères, il peut lui prescrire une ordonnance 48 heures après la deuxième demande.
Dans les années 1980, on a diagnostiqué le VIH au mari de Sandeen. Ce dernier lui a demandé de l’aider à mourir, bien avant que les lois sur la mort assistée ne fassent l’objet d’un débat politique. « Le voir dans cet état de souffrance et de mort prolongée m’a poussée à m’engager pleinement dans la défense du droit de mourir dans la dignité, explique-t-elle. Dès lors que vous faites l’expérience d’une mort dans la souffrance, vous faites en sorte que personne n’ait plus à subir ça. »
Quarante-huit heures : c’est tout le temps qui me restait pour me préparer à la mort de ma mamie. En tout cas, c’est comme ça que je l’ai vu. Mais pour elle, cette fin imminente et définie mêlait sans doute douceur et amertume : plus que deux jours avant que sa souffrance ne cesse. Et ne vaut-il pas mieux suivre cet échéancier plutôt que de se demander Combien de temps cela va-t-il encore durer ? Après avoir appris à quel point ma mamie était en paix après que sa demande a été approuvée, j’ai réalisé plus que jamais la beauté de cette option pour les personnes souffrantes. La mort ne doit pas être un événement effrayant, intimidant et douloureux. Certes, il est contradictoire d’envisager la mort comme une bonne chose, mais dans certains cas, il s’agit vraiment de la meilleure option.
« Je pense que cela apporte une tranquillité d’esprit, déclare Sandeen. Cette tranquillité d’esprit aide les gens à aborder la mort de manière plus confortable ». Deux jours avant sa mort, mamie a eu son dernier dîner d’adieu en famille. Quand elle a su que le personnel de Hamdorff, son restaurant préféré, lui offrait le repas, elle a plaisanté, disant qu’elle aurait dû faire ça – mourir – plus souvent. Parce qu’elle était soulagée, elle arrivait à en rire.
Les lois portant sur la mort dans la dignité ont de gros impacts au niveau individuel, mais ces effets se répercutent sur l’ensemble du système de soins. « L’accent est soudainement porté sur la façon dont nous mourrons, déclare Sandeen. En particulier dans l’Oregon et à Washington, où nous avons observé des améliorations dans les soins de fin de vie à tous les niveaux. » En 2013, près des deux tiers des personnes décédées dans l’Oregon sont mortes à leur domicile, contre moins de 40 pour cent dans d’autres États, selon un rapport publié en mars dans le New England Journal of Medicine. Et dans l’Oregon et à Washington, plus que dans tout autre État, les patients ont été moins nombreux à être admis en soins intensifs au cours des 30 derniers jours de leur vie et plus nombreux à être renvoyés chez eux avant de mourir.
Selon un sondage Gallup réalisé en 2017, 73 pour cent des Américains estiment que lorsqu’« une personne a une maladie qui ne peut être guérie », un médecin devrait être autorisé par la loi à mettre fin, sans douleur, à la vie du patient si celui-ci le demande. Il y a eu une hausse de 37 pour cent depuis le premier sondage réalisé sur la question, en 1947. Les Américains sont 67 pour cent à soutenir la mort assistée par un médecin. Ce taux est beaucoup plus faible (55 pour cent) chez les croyants pratiquants que chez les personnes ayant peu de liens avec la religion (89 pour cent). « C’est profondément culturel, et la dernière chose que nous voulons faire, c’est de forcer les gens », déclare Thomas Preston, conseiller médical ayant aidé à faire passer la loi sur la mort dans la dignité à Washington en 2008. « Tout le monde a le droit de dire, Je ne veux pas mourir comme ça. Je trouve que c’est mal. »
Même dans les États où la loi autorise la mort assistée par un médecin, les médecins ne sont pas tenus d’accepter de le faire et les pharmaciens ne sont pas tenus de remplir les ordonnances, mais ils peuvent rediriger les patients vers un professionnel de santé qui le fera. Les détracteurs de cette loi emploient souvent le mot « suicide » pour décrire la pratique – aide au suicide, suicide assisté ou suicide assisté par un médecin. Mais le suicide est un scénario complètement différent, selon Preston, souvent avec une composante de santé mentale, et habituellement réalisé en secret, sans que les proches n’aient la moindre chance de dire au revoir.
« Les gens qui ressentent des souffrances intolérables et inutiles viennent à Levenseindekliniek pour demander de l’aide, non pas parce qu’ils veulent mourir, mais parce qu’ils ne supportent plus la vie, déclare Dekker. Ils viennent souvent en dernier recours. » Quand je pense à la mort de ma mamie, mon cœur se serre et s’emballe à la fois. Elle est partie. Mais elle n’avait pas à continuer de vivre chaque jour en étant confuse, seule et souffrante. Je suis contente que mamie ait pu prendre cette belle décision pour elle-même.
Aux Pays-Bas, l’euthanasie se fait en deux étapes, m’explique Dekker : d’abord, le patient boit une forte solution de barbiturique et plonge dans le coma. Si le barbiturique n’est pas suffisant, le médecin procède alors à deux injections : un anesthésiant et un relaxant musculaire.
Le 1er septembre, mon père et ses trois sœurs sont allés voir mamie à la maison de retraite. Le médecin a préparé une aiguille au cas où l’injection s’avérerait nécessaire. Mamie a passé la matinée avec ses enfants à parler, rire et siroter – what else ? – du champagne. Après quelques heures, elle s’est allongée dans son lit et a bu le barbiturique. « Quelle boisson délicieuse », ont été ses derniers mots. Trente secondes plus tard, ses yeux se sont fermés. Deux minutes plus tard, son cœur s’est arrêté. Elle était enfin en paix.
Dans son discours, ma sœur Libby l’a bien formulé : « Jusqu’à la fin, mamie a été douce. Elle a été heureuse, positive et drôle jusque dans ses derniers moments. C’était sa personnalité. Une personnalité à célébrer. Une vie à célébrer. »