Je ne me suis jamais vraiment senti comme un enfant unique, même si j’en étais un. Mes parents ne me gâtaient pas. J’ai toujours été entouré d’amis, j’étais un enfant très sociable. J’ai aussi eu l’impression pendant toute mon enfance que j’avais un frère ou une sœur quelque part. Je suppose qu’on pourrait appeler ça une intuition.
Mes parents ont divorcé quand j’avais quatre ans. Leur relation n’était pas saine. Mon père était très agressif verbalement envers ma mère et moi. Pas comme dans un duo « bon flic, mauvais flic » : mon père était un trou de cul, et ma mère était et est toujours une sainte. Entre le divorce et son décès, mon père a eu six partenaires différentes. Mais dans mon adolescence, je me fichais éperdument de qui mon père voyait.
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C’était le genre de père qui voulait que je fasse ce qu’il dit. Il voulait que je collectionne les timbres ou que je pratique les sports qu’il aimait, et ainsi de suite. Il me frappait si je me comportais mal. J’aurais aimé qu’il m’accepte comme je suis : un garçon marginal débordant d’énergie.
On a par contre eu de bons moments en plein air. On faisait des excursions dans la nature ensemble. Je me souviens d’être allé avec lui jusqu’à Squamish, où je vis maintenant. Dans la nature, il n’était pas différent, il me disait toujours quoi faire, mais il me paraissait plus relax.
Pour la fête des Pères cette année, je suis allé à un souper en mémoire du mien avec ma belle-mère et quelques-uns de leurs amis. À la fin du repas, elle m’a dit : « J’ai des nouvelles assez sérieuses. » J’ai supposé que c’était à propos de dettes ou d’impôts impayés. Mais elle a dit : « J’espère que tu ne seras pas fâché d’apprendre que tu as une sœur. » Une sœur de mon âge.
Je n’étais pas fâché. J’étais même heureux. J’aurais pu être en colère contre mon père pour nous l’avoir caché, mais ça expliquait bien des choses. Pendant tout ce temps, j’avais une demi-sœur qui connaissait mon existence et qui, après la mort de notre père, a eu le courage de me contacter.
Mon père est décédé à la fête des Pères l’année précédente. Un avis de décès a été publié dans le journal, et ma sœur l’a vu. Elle a communiqué avec la maison funéraire où il a été incinéré et c’est par leur entremise qu’elle a pu joindre la femme de mon père. Ma sœur connaissait mon existence depuis longtemps, mais à moi ou à ma mère, mon père n’avait rien dit. Même la plus jeune sœur de mon père, qui était la plus proche de lui dans notre famille, n’en avait rien su. D’ailleurs, ma sœur est la copie conforme de cette tante à son âge.
Enfant, je posais des questions. J’ai essayé sans arrêt de savoir ce que c’est d’être adulte. Mon père évitait le sujet en disant que je n’avais pas besoin de le savoir et que je le découvrirais quand je serais moi-même adulte. Je pense qu’il était mal à l’aise. Il savait qu’il cachait un gros secret. Il ne devait pas sentir qu’il était la bonne personne pour me donner des conseils.
Et je peux imaginer qu’avoir une deuxième famille complique une vie. Ma sœur est née moins d’un an après moi, alors il a probablement couché avec sa mère peu après ma naissance. Quand mon père lui rendait visite, il se faisait appeler « oncle Tony ». Ce n’est que plus tard que ma sœur a découvert la vérité.
Si mon père était encore en vie, on pourrait lui poser des questions pour comprendre pourquoi il a gardé autant de secrets et comment il a pu concevoir un enfant avec une femme, puis les abandonner.
Depuis, j’ai appris à connaître ma sœur par téléphone et par Facebook. J’ai l’impression qu’on est déjà proches. On a même des amis communs à Squamish. C’est drôle d’en apprendre sur elle grâce à quelqu’un que je connais déjà. On est très semblables, deux esprits libres. Elle est un peu rebelle et artiste. Une fille étrange, autant que moi je suis un gars étrange.
J’ai l’impression qu’on a tous les deux tourné la page, même en sachant que notre père est mort avec son secret. Je veux qu’elle sente qu’elle fait partie de la famille. Savoir qu’une nombreuse famille nous ouvre les bras aide à soigner des blessures.
Je n’ai pas vraiment de regrets au sujet de ce qui aurait pu se passer dans notre enfance. Je suis juste heureux que les choses se soient passées ainsi. Ç’aurait pu être bien pire que ça. À l’école secondaire, j’avais des amis en famille d’accueil, d’autres dans des situations familiales bien pires que la mienne.
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Je pense qu’avant que ses problèmes de santé commencent, mon père ne voulait probablement pas qu’on découvre l’existence l’un de l’autre. Mais, dans les trois ou quatre années qui ont précédé sa mort, il a peut-être commencé à chercher un sens plus profond à sa vie. À mon avis, il aurait été heureux de savoir qu’on s’est trouvés.
Et je dois admettre qu’il a été vraiment, vraiment bon pour garder un secret. Ma mère n’en avait absolument aucune idée jusqu’à ce que je lui apprenne, il y a quelques semaines. Il a vraiment consacré beaucoup d’énergie à entretenir ce mensonge. Mon père ne s’est jamais ouvert à moi. Il a dû avoir du mal à reconnaître qu’il n’était peut-être pas une très bonne personne.
J’ai appris que l’honnêteté est préventive. Vous pouvez avoir peur d’être honnête avec une personne parce que la vérité risque de faire mal, mais, en fin de compte, vous évitez que ce secret revienne vous hanter plus tard.
Même après votre mort, les gens vont finir par découvrir qui vous étiez vraiment.
Ce texte a été légèrement abrégé par souci de clarté et de concision.