Quand en 2016, Instagram a lancé sa fonctionnalité « stories », le deuxième réseau social possédé par Mark Zuckerberg a pris des allures de far west virtuel. Finie l’époque bénie où l’on pouvait stalker en toute impunité : les posts se sont vus délaissés au profit de ces vidéos instantanées à la durée de vie n’excédant pas 24 heures. Le problème ? Chaque utilisateur pouvait accéder à la liste complète de ceux qui visionnaient son contenu, à l’inverse des posts publics. Puis a suivi une période de flottement, le temps que tout le monde soit mis à la page : certains se sont précipités sans réfléchir sur les stories de collègues détestés, voire d’exs auxquels ils avaient juré de ne plus jamais adresser la parole.
Si j’ai pour ma part échappé à la honte, ce ne fut pas le cas d’une ex-compagne de celui qui allait devenir mon mari. En roue libre, cette personne espionnait mes faits et gestes plusieurs fois par jour. Après l’avoir laissé se rincer l’œil quelques jours, je l’ai bloquée. Des comptes fantaisistes ont alors commencé à fleurir parmi mes abonnés : des faux profils de Diego Simeone et de la Française des jeux, pléthore de jeanmichel2019, sans photo ni abonné, et même un compte baptisé @faux.compte.tu.connais, désarmant d’insolence. Des fakes en rafale que je m’évertue encore aujourd’hui à bloquer méthodiquement, comme on chasse un insecte d’un coup de savate rageur.
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À l’heure où les stories ont définitivement pris l’ascendant sur les posts, les faux profils sont devenus légion. Dans mes ami(e)s proches et chez mes consœurs au sein des diverses rédactions avec lesquelles je collabore, le sujet n’est plus tabou : certaines et certains admettent sans détour jongler avec un ou plusieurs fakes. Dans de grands élans de solidarité féminine, certaines proposent même de les mettre à votre disposition en cas de besoin.
Leur motivation première ? Espionner leurs exs. S’offrir un shoot d’adrénaline à peu de frais, voir ce qu’ils sont devenus, Où et avec qui tu m’aimes, comme dirait Pascal Obispo dans cette chanson cafard que j’entends souvent lors de mes trajets en Uber. Les réseaux sociaux ont-ils rendu tout le monde fou ? Pour tenter de répondre à cette question, j’ai discuté avec trois femmes qui suivent chaque jour les faits et gestes de leurs exs, tapies derrière des faux profils.
Pourquoi s’en tenir uniquement à la gent féminine ? Peut-être parce que les femmes sont des prodiges de l’investigation en ligne, à en croire les memes qui les comparent à des agents du FBI. Les hommes que j’ai pu interroger à ce sujet m’ont paru plus passifs, et préfèrent idéaliser leurs relations passées sans pour autant ressentir le besoin fébrile de suivre pas à pas la vie quotidienne de leurs exs.
Mona, 34 ans
Pas la peine d’y aller par quatre chemins : mon ex m’a plaquée salement, après 7 ans de relation. La cerise sur le gâteau ? Il s’est mis en couple avec l’une des filles de notre bande de potes, celle qu’il trouvait « vulgaire » avant notre rupture. On vivait ensemble, on avait des projets d’avenir, je connais ses parents, ses tantes, sa petite sœur et chacun de ses potes. Il travaille dans la com et est assez actif sur les réseaux sociaux, alors c’était vraiment tentant de continuer à suivre sa vie.
Le souci ? Son compte est privé (pour se protéger de moi, j’imagine) alors je me suis créé un profil de bonasse mystérieuse, avec une photo de dos face à la mer pécho sur Google images. J’ai mis une bio débile genre
« Music addict, amoureuse de la vie ! #CarpeDiem » et comme c’est un mec, il n’a rien vu venir. Ça va faire un an que je suis son quotidien, ses stories de dîners romantiques avec sa nana « Happy 1 an d’amour, my love ! », ses matchs de foot du dimanche, ses beuveries avec ses collègues un peu beauf. Je n’ai même pas osé le raconter à mes amis, je sais qu’ils auraient un peu pitié de moi, vu que je suis toujours célibataire deux ans après notre rupture.
C’est un plaisir masochiste, ça le maintient dans ma vie, c’est une façon de ne pas couper totalement le lien sans pour autant m’exposer ni m’abaisser à revenir vers lui en mon nom. Cela m’apaise sur le moment. Je me dis souvent que ça cessera le jour où moi aussi je rencontrerai à nouveau quelqu’un.
Romane, 32 ans
J’ai un riche background en ce qui concerne les fakes. Je suis pour ainsi dire une spécialiste. Pour chacun de mes exs que je souhaite épier, je crée un fake qui tient la route : amicale des supporters de son club de foot fétiche, restaurant de quartier dont il a déjà posté des photos, page bidon de sneakers addicts, mon imagination ne connaît pas de limite.
Tout a commencé il y a près de dix ans, à cette lointaine époque où on utilisait encore tous Facebook. C’était plus compliqué que sur Instagram où il est toléré de suivre des gens qu’on ne connaît pas dans la vraie vie, il fallait être créatif. Une de mes meilleures amies avait bricolé un faux profil de génie qu’on se refilait toutes au sein de notre bande de copines, on était 5 ou 6 à avoir le mot de passe. Elle avait récupéré les photos d’un mannequin New-Yorkais sublime, et on ajoutait tous nos exs qui tombaient dans le panneau comme des pigeons sans se demander ce qu’une bombe pareille pourrait bien leur vouloir.
Le profil est vite devenu hors de contrôle, il nous servait de défouloir : il y a eu des anecdotes géniales, avec le (vrai) profil certifié d’un acteur français insupportable qui a proposé en message privé une invitation à son avant-première, et qui a pété un plomb quand la supposée belle blonde lui a dit tout le mal qu’elle pensait de ses navets. La « dénicheuse de talents » d’une célèbre chaîne télé nous a proposé de la rencontrer en vue d’un poste de chroniqueuse dans l’une de ses émissions ; la pauvre a perdu ses moyens quand on lui a fait remarquer que c’était étrange de recruter des non-journalistes sur la simple foi de leurs photos sexy. C’était une vraie récréation, on likait les photos de nos exs et on mettait des commentaires super limite sous leurs photos, on savait que leurs nouvelles meufs allaient criser (certaines nous ont même écrit), c’était jouissif. Mystère de l’Algorithme : on a un jour reçu un message vénère du mannequin dont on utilisait les photos. On s’est excusées platement, et on a supprimé le compte, hyper penaudes.
Daphné, 28 ans
Mon histoire est un peu particulière. Il y a deux ans, je me suis lancée dans une relation avec un mec marié. Je sais, c’est mal et ça ne mène nulle part, mais la chair est parfois faible, pour citer ma grand-mère. Ce qui aurait du rester un simple plan cul s’est éternisé, je me suis attachée, le piège classique. Quand je l’interrogeais, il me disait aimer encore sa femme et mère de son fils, il en parlait avec du respect et ne manquait pas une occasion de dire à quel point elle était extraordinaire. Moi qui n’ai jamais été possessive, j’ai commencé à être obsédée par cette femme, à imaginer sa vie avec lui. Je l’ai retrouvée en deux clics sur Facebook et Insta. Rien à voir avec ce que j’avais imaginé : j’ai découvert une nana niaise et fade au possible, qui passe sa vie à se plaindre du trafic sur le RER et de l’enseignante de son enfant, qui partage des chaînes virales « à envoyer à 10 amis sinon un malheur se produira » et des citations déprimantes qu’elle trouve sur des groupes de « mom-entrepreneur ».
Ça m’a peu à peu déprimé d’avoir une loupe sur leur quotidien, leurs « shootings » de famille avec photographe professionnel et le détail de leurs vacances. Bien qu’on ait depuis rompu à mon initiative, je continue de regarder l’envers du décor, la face B de ce mec que j’ai côtoyé, l’autre visage qu’il a une fois qu’il réintègre sa famille. Je remonte sur ses posts de l’époque où on couchait ensemble à la recherche d’indices, de réponses. C’est hyper malsain, mais ça a quelque chose d’addictif.
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