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J’étais végétarienne – et puis j’ai découvert l’andouille de Guémené

Je n’ai jamais aimé la viande saignante, ni les abats, ni la bouffe qui dégouline. Et ce, depuis ma plus tendre enfance. Je me revois petite alors que mes parents insistaient pour que j’en consomme. Le dimanche midi, j’avais interdiction de sortir de table tant que l’assiette n’était pas terminée. Je restais alors enfermée dans la cuisine, parfois jusqu’à 16 heures. Mon chien restait de l’autre côté de la porte et c’était impossible pour moi de lui refiler les restes.

L’année de mes 17 ans, j’ai servi comme bénévole dans un parc d’attractions en Bretagne. On dormait à la belle étoile, il y avait beaucoup d’animaux en liberté, dont deux cochons nains : Préfixe et Suffixe. Ils étaient vraiment à croquer…sans mauvais jeu de mot. Lorsque j’ai demandé si je pourrais revenir les voir, l’année suivante, on m’a répondu : « Ils terminent la saison et on les zigouille pour en faire du saucisson ! ». On m’a sûrement dit ça sur le ton de la provocation mais moi, je l’ai pris carrément au premier degré. Ce qu’il s’est passé ce jour de juillet 1999 a été un élément déclencheur : j’ai décidé de ne plus jamais manger de viande. Comme si je réalisais, à ce moment précis, que manger de la viande équivalait à ingérer des animaux vivants. Soudainement, manger n’importe quel animal, c’était comme si je décidais de manger mon chien. Par un hasard incroyable, c’est aussi en Bretagne que j’allais mettre fin à mon végétarisme, 15 ans plus tard. L’objet du délit : une spécialité charcutière locale que l’on trouve du côté de Guémené-sur-Scorff, dans le Morbihan.

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Pour mes parents, ma décision de devenir végétarienne relevait du « n’importe quoi » – une lubie d’adolescent. Ça allait me passer, ils en étaient convaincus. Inconsciemment, je leur ai peut-être tenu ce discours pour m’affirmer. Ma grand-mère, qui avait connu les deux Guerres, ne comprenait pas qu’on puisse refuser un aliment à moins d’y être allergique. C’était pourtant une évidence pour moi. J’étais passée de l’état de dégoût à la défense d’une vraie conviction pour la cause animale.

Avec le recul, ce qui me fait marrer, c’est de quitter le végétarisme au moment où c’est devenu à la mode – il y en a partout, même chez Mc Do.

À l’époque (à la fin des années quatre-vingt-dix), être végétarien, c’était totalement à contre-courant. Pour certains, mon choix était forcément motivé par un régime amincissant – et il était voué à l’échec. D’autres faisaient des amalgames entre végétarisme et végétalisme. Pourtant, pas une seule fois je n’ai pensé à faire un écart. Les années passaient et j’avais même oublié le goût que pouvaient avoir le poulet, le bœuf ou le saucisson.

Alors oui, j’ai fini par faire une entorse à mon régime, mais ce n’était pas prémédité. Un jour, j’ai mangé de la viande accidentellement, au travail. Un petit salé aux lentilles s’était glissé dans ma commande de plats préparés végétariens. J’avais tellement faim – et si peu de temps pour manger entre deux rendez-vous – que je me suis littéralement jetée dessus. C’est là que j’ai commencé à me poser des questions.

Si j’avais craqué pour un morceau de pintade à la place, imaginez la tristesse.

Le week-end suivant, à Rennes, j’allais finalement succomber à l’andouillette de Guémené. Mon compagnon, qui plaisante souvent sur le fait que lui et moi sommes « en coloc’ alimentaire », n’en croyait pas ses yeux. En fait, la façon dont ça s’est passé était complètement idyllique. Un restaurant minuscule que l’on découvre au gré d’une promenade. Un déjeuner en amoureux à siroter du pinot noir. Le feu qui crépitait dans la cheminée. La chair à la fois tendre et fumée que j’ai découpée avec un couteau parfaitement aiguisé. L’intestin grêle – ou menu – de bœuf qui entourait cette charcuterie et donnait à sa peau couleur marron cigare un côté croquant. En bouche, j’ai découvert un goût hors du commun, tout simplement imbattable. Mon andouillette avait été dorée au feu de bois, tout comme les pommes de terre grenaille qui l’accompagnaient. Rien que d’en parler, j’ai envie de m’en faire une… Je l’ai prise en photo pour l’envoyer à mes proches. Ils ont halluciné. Si j’avais craqué pour un morceau de pintade à la place, imaginez la tristesse.

Tous les bons mangeurs de Guémené le savent : l’andouille a des cercles concentriques dans sa chair et se mange froide. L’andouillette, elle, est plus petite et se mange chaude. Autre différence de taille : la matière première, une enfilade d’intestins – ou chaudins – de porc, sera cuite deux fois (au lieu d’une pour l’andouillette) ; elle sera hachée et agrémentée d’épices, de moutarde, d’échalote, de persil et de viandes mixées. Bon, il faut dire ce qui est : la Guémené, ça pue. C’est ce qui lui donne sa saveur si particulière, limite indéfinissable. La première fois que j’en ai remangé depuis l’enfance, ça m’a vraiment marqué : c’est comme si l’odeur m’avait suivi jusqu’à l’intérieur de mon corps. Un conseil : n’en cuisinez jamais directement dans votre cuisine, mais plutôt en barbecue, à l’extérieur. Aujourd’hui, je mange à nouveau presque tout – comme avant de devenir végétarienne –, sauf le steak tartare. Je remange du porc, de l’agneau et de la charcuterie. Avec le temps, je l’admets, je suis devenue moins regardante sur la cause animale, les conditions d’élevage. Je ne regrette pas pour autant cette période de ma vie. Ma famille non plus : selon elle, je vais enfin manger à ma faim quand elle m’invitera à dîner.

Pourtant, je n’ai jamais forcé personne à cuisiner quelque chose de différent spécialement pour moi : je reprenais deux fois des légumes et ça me suffisait. Avec le recul, ce qui me fait marrer, c’est de quitter le végétarisme au moment où c’est devenu à la mode – il y en a partout, même chez Mc Do.