Société

2020, la génération dont personne ne veut

Des jeunes diplômés qui ne trouvent un premier emploi aux élèves de primaire qui ne savent pas lire, l'année 2020 est-elle un sceau de la malédiction qui les hantera pour toujours ?
Justine  Reix
Paris, FR
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Campus de Tolbiac, Paris. CHRISTOPHE SIMON / AFP

« Mon stage de fin d’étude est tombé pile durant la crise de la Covid-19, on m’a dit que je devais être embauché à la fin, ce n’est jamais arrivé », raconte Louis, 24 ans, tout juste diplômé d’une école de management avec une spécialité mode et luxe. Comme beaucoup de jeunes en ce moment, Louis a de grandes difficultés à trouver un premier emploi. Malgré un stage dans une très grande maison de luxe, les offres dans son domaine sont inexistantes en ce moment.

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Telle une tempête, la Covid-19 a tout emporté sur son passage, y compris la promesse d’embauche de Louis. Ce dernier compte chercher jusqu’en janvier un CDD ou un CDI. Autrement, l’ancien étudiant envisage de partir à l’étranger dans l’espoir d’avoir un avenir un peu plus radieux qu’en France. Pourtant, dans d’autres pays, l’heure n’est pas non plus à l’embauche mais plutôt aux licenciements massifs. Rares sont les entreprises qui ne sont pas touchées par cette crise qui marque au fer rouge l’année 2020 du sceau de la malédiction. Pour la plupart des jeunes diplômés, la galère ne fait que commencer et pour ceux qui ont choisi les secteurs les plus « bouchés », la situation est intenable.

En juin dernier, Agnès* a terminé un master dans la médiation culturelle à la Sorbonne. Ce diplôme très sélectif ne lui permet pas de trouver un travail. Depuis la fin de ses études, elle travaille en tant que caissière pour continuer à payer son loyer tout en cherchant des offres d’emploi le matin, lors de ses pauses et le soir : « Je suis abonnée à toutes les alertes possibles et inimaginables pour essayer d’au moins de décrocher un entretien. Sur les offres on demande toujours au minimum deux ans d’expérience. Ça nous disqualifie d’avance. » À force de scanner des produits à longueur de journée, Agnès a déjà pris la décision de se réorienter.

« Si j’avais eu des parents fortunés, j’aurais pu me permettre d’attendre des jours meilleurs mais je ne peux pas » – Agnès

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Pour avoir la garantie d’un emploi stable, Agnès a choisi de devenir fonctionnaire. En 2021, elle passera les concours de l’enseignement en candidat libre même si elle garde toujours le mince espoir de trouver un travail dans sa branche. « C’est triste de devoir changer complètement de voie juste parce que ça tombe au moment de la crise. Si j’avais eu des parents fortunés, j’aurais pu me permettre d’attendre des jours meilleurs mais je ne peux pas. » Si Agnès peine à décrocher un entretien, ce n’est pas qu’une impression, les recrutements sont en chute libre. La France enregistre en ce moment une baisse de 38% des offres d’emploi.

Mais au delà des jeunes diplômés, cette année 2020 aura-t-elle des conséquences sur le long terme et sur leur avenir professionnel ? Ceux qui ont l’année 2020 sur leur CV vont-il être stigmatisés ou jugés plus sévèrement par les recruteurs ? Une chargée des ressources humaines d’une grande multinationale française a accepté de nous répondre anonymement. Si aucun mot ordre ne lui a été donné par ses supérieurs hiérarchiques concernant les jeunes diplômées, cette RH affirme qu’elle sera attentive à ce genre de profils : « Il est hors de question de faire de la discrimination, si je vois un bon profil, il sera convoqué pour un premier entretien mais il est certain qu’il sera plus mis à l’épreuve que d’autres. Beaucoup manqueront d’expériences, n’auront pas fait de stage de fin d’études ou l’auront passé en télétravail, ils seront forcément désavantagés par rapport aux autres. »

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« On voit bien que même les plus grandes écoles comme Sciences Po font presque tous les cours à distance. Il va manquer un point essentiel à ces jeunes : la communication » – une chargée de ressources humaines dans une multinationale française

Si les cours à distance se poursuivent, cette chargée des ressources humaines pense créer une nouvelle étape de sélection pour les diplômés des années 2020 et 2021. « On voit bien que même plus grandes écoles comme Sciences Po font presque tous les cours à distance. Il va manquer un point essentiel à ces jeunes : la communication. C’est déjà un critère de sélection mais ce sera encore plus important si on se retrouve face à des diplômés de formations à distance. » De quoi inquiéter les jeunes diplômés pour qui l’année 2020 sera gravée à jamais sur leur CV. Mais espérons qu’une fois le premier poste décroché, il leur sera moins dur pour eux d’évoluer dans le monde du travail.

S’il est actuellement très difficile pour les étudiants de trouver une alternance ou un stage et un emploi pour les diplômés, la crise que nous vivons aura peut-être un impact encore plus important sur les générations à venir. Certains enseignants de primaire estiment avoir accumulé du retard notamment avec les CP et CE1. Puisque le redoublement n’existe plus en France, tous les élèves de CP sont donc passés en CE1 en septembre, même ceux qui n’avaient pas encore totalement acquis la lecture et l’écriture. Guillaume* est enseignant en primaire dans un réseau d’éducation prioritaire depuis une dizaine d’années. Pour l’année 2019-2020, il s’est vu confier une classe de CP et est particulièrement inquiet de l’avenir de ses anciens élèves. « On ne peut pas apprendre à lire et à écrire à travers un ordinateur, il faut vraiment que les parents travaillent avec l’enfant et on sait que ce n’est pas toujours possible. J’ai envoyé deux élèves en CE1 qui ne savent pas encore bien lire ou écrire. Je me sens coupable mais j’ai fait tout ce que je pouvais », assure Guillaume.

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Fracture numérique ou encore parents dans l’incapacité de suivre les devoirs des enfants… L’école a la maison a été vecteur d’inégalités pour les enfants venant de milieux défavorisés. S’il est encore beaucoup trop tôt pour imaginer et calculer une légère hausse d’analphabétisme dans les années à venir à cause de cette crise, certains enseignants remarquent déjà des problèmes. Cyrille Tosch, secrétaire national du syndicat général de l’Éducation nationale de la CFDT, a constaté des difficultés à réécrire chez certains élèves : « Pour certains, c’est beaucoup plus compliqué de se remettre à l’écrit après avoir passé plusieurs mois sur l’ordinateur. »

Mais le syndicaliste félicite les enseignants pour leur travail et leur engagement durant la période de confinement et tient à mettre en avant les points positifs qu’a apportés le confinement plutôt que souligner ces problèmes. Pour lui, il est hors de question de parler de retard à rattraper.
« Ce ne sont que quelques mois de coupure et en ce qui concerne les CP ou CE1, il s’agit de compétences à évaluer sur trois ans et non une seule année. » Cyrille Tosch craint avant tout un reconfinement dans les mêmes conditions qu’en mars dernier où ni les familles, ni les enseignants n’étaient prêts pour un enseignement à domicile aussi bien sur la méthode qu’en matière d’équipements.

« Le dernier trimestre, celui qui a manqué aux élèves, est le plus important pour consolider les appris comme l’écriture comme la lecture »

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Du côté du Snuipp Fsu, le premier syndicat de l’enseignement du premier degré, sa secrétaire générale, Guislaine David, est beaucoup plus inquiète. Dès cette rentrée, ses collègues ont remarqué une plus grande hétérogénéité chez les enfants. « Il y a toujours une différence de niveau chez les élèves mais là c’est plus que d’habitude. On voit cette différence surtout au niveau du savoir vivre et des capacités d’attention. » La classe à la maison n’a pas nécessité la même concentration qu’une journée entière à l’école. Guislaine David, de son côté, n’a pas peur de parler d’un retard à combler. Pour elle, le dernier trimestre, celui qui a manqué aux élèves, est le plus important pour consolider les connaissances : « On voit qu’il y a vraiment des manques au niveau de la lecture et l’écriture chez les élèves. Tous les enseignants travaillent en ce moment pour rattraper ce retard mais il peut s’accumuler. Les enfants apprennent à leur rythme et certains sont moins rapides que d’autres. »

Comme pour les jeunes diplômés, les élèves issus de milieux défavorisés ont plus de risques d’accumuler du retard puisqu’ils ont été les premiers à être absents de l’école à distance car victimes de la fracture numérique. Fin septembre, tous les enfants scolarisés en CE1 ont été évalués en français et mathématiques pour estimer leur niveau. Leurs résultats seront déterminants pour évaluer les conséquences de la crise de la Covid-19 sur la scolarité inédite des CP en 2020. Une dernière évaluation pour constater les dégâts de cette année sur le long terme.

*Par souci d’anonymat, ces prénom ont été modifiés.

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