Cet article a été initialement publié sur VICE US.
Bienvenue dans notre nouvelle colonne, « Le pire, sinon rien », dans laquelle des artistes nous parlent du pire projet de leur carrière.
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En 2003, avant même que le principe de mème ne pullule sur ce qui n’était alors qu’un réseau 1.0, Warner Bros donnait naissance à un film qui aurait sans doute eu droit à des milliers de reprises calamiteuses sur 4chan et Twitter : Kangourou Jack. Avec Jerry O’Connell et Anthony Anderson dans les rôles principaux, le film raconte l’histoire de deux copains de longue date qui fuient la mafia new-yorkaise et se réfugient dans le désert australien. On retrouve également au casting Christopher Walken et Michael Shannon ainsi que, pour une raison qui nous échappe encore, un kangourou en images de synthèse qui chante « Rapper’s Delight ».
Je me suis entretenu avec Jerry O’Connell, un acteur habitué à parler des grands classiques de sa carrière comme Jerry Maguire ou Stand by Me, pour lui demander ses impressions sur le tournage de Kangourou Jack – un film que Nathan Rabin du A.V. Club a décrit comme « les plus longues 90 minutes de l’histoire du cinéma ».
VICE : Salut Jerry ! Quand vous a-t-on parlé de Kangourou Jack pour la dernière fois ?
Jerry O’Connell : C’était hier ! Les jeunes me parlent toujours de ce film. S’ils ont 20 ans, ils viennent me voir et évoquent Kangourou Jack. Ils avaient le DVD quand ils étaient enfants, à tous les coups. J’ai des enfants moi-même, et je sais à quel point ils peuvent être obsédés par un film, jusqu’à le regarder en boucle. Un jour, alors que j’étais à la salle de sport, un type n’arrêtait pas de me fixer, et ça n’avait rien à voir avec de la drague. Je me suis redressé, j’ai enlevé mes écouteurs, et il m’a montré du doigt en disant : « Kangourou Jack. »
Mais, pour être honnête, personne ne me parle vraiment de Kangourou Jack. En général, j’en entends juste parler sur les réseaux sociaux, quand quelqu’un cite ce film pour se moquer de moi, genre : « Oh, tu veux parler du mec qui a joué dans Kangourou Jack ? » C’est ça qui me fait marrer. Je comprends les gens qui ont envie de discuter de Jerry Maguire, et je suis plus que partant lorsqu’il s’agit de parler de Stand by Me, mais personne n’a jamais voulu m’interviewer pour Kangourou Jack. Et si ça se trouve, je crève d’envie d’en parler !
Comment vous êtes-vous retrouvé à bosser sur ce film ?
Au début, j’ai reçu ce scénario étrange et très sombre – intitulé à l’époque Down and Under. Ça parlait de ces deux mafieux merdiques qui se retrouvent dans le désert australien. Il y avait beaucoup d’insultes, beaucoup de sexe et ça me faisait bien marrer.
Puis Jerry Bruckheimer est arrivé sur le projet et, comme tous les gens qui s’y connaissent niveau thunes dans le milieu, il nous a dit qu’il fallait rendre tout ça un peu plus lisse, et plus familial.
Est-ce que vous vous êtes rendu compte, à un moment précis, que le film devenait un peu n’importe quoi ?
On a terminé le tournage, ils ont fait des projections tests et ça n’a pas du tout marché. J’ai pensé : « Fais chier, ça devait être mon gros film avec Bruckheimer, ma percée. Mais c’est l’histoire de ma vie : retour à la case départ. Le gamin obèse de Stand by Me doit encore trouver sa voie. »
Et puis, un peu plus tard, quelqu’un m’a appelé pour me dire : « Je crois qu’ils vont en faire un film pour enfants, avec un kangourou en images de synthèse. »
Dans ce business, tout change en permanence. Vous ne pouvez pas vous accrocher à l’idée que vous vous faites d’un film, car des centaines de personnes travaillent dessus. Si vous lisez un scénario en vous disant « le résultat final va être comme ça », ça ne va jamais être comme ça. Du coup, vous venez sur le lieu de tournage, vous faites votre job et ensuite les autres font le leur.
Je me rappelle avoir pensé « Attends, t’as pas prévu d’être dans un film pour enfants à l’origine », et au début ça m’a inquiété mais pour être honnête je m’en suis vite foutu. Je suis toujours très ami avec Bruckheimer et certains des producteurs, d’ailleurs. Après, Jerry m’a dit de ne jamais lire de critiques du film, du coup je ne sais pas comment il a été reçu dans le monde.
Il a une note de 8 % sur Rotten Tomatoes…
Huit ?! Alors que Logan est à 93 % ? Outch. C’est quoi l’avis général ?
Les critiques disent que c’est un film confus, et qu’il y a trop de sexe et de violence pour un film pour enfants mais pas assez pour un film d’action interdit aux moins de 12 ans.
Intéressant. Je me rappelle avoir pensé qu’il y avait beaucoup de blagues sur les nichons en effet.
Est-ce que ce film a eu un impact négatif sur votre carrière ?
Non, je pense que la plupart des gens ne connaissent même pas le film pour être honnête. Comme j’ai joué le gros gamin dans Stand by Me, les gens pensent d’abord à ça avant de penser à Kangourou Jack.
En parlant de Stand by Me, qu’est ce que votre personnage, Verne Tessio, penserait du film Kangourou Jack ?
Oh, il en serait fan. Il ne verrait pas les défauts qu’on y voit vous et moi. Il aurait le DVD, il regarderait les bonus et, un jour, il viendrait me voir à la salle de gym pour me pointer du doigt et me dire : « Kangourou Jack ! »
Combien de temps êtes-vous resté en Australie, pour le tournage ?
On y est resté six mois, et on a beaucoup fait la fête. J’avais 28 ans et avec Anthony, on sortait tous les soirs. Il y avait un casino en ville, j’ai beaucoup parié. Et au final j’ai gagné pas mal de thunes !
Est-ce que vous avez ramené d’autres souvenirs d’Australie ?
J’ai ramené un didgeridoo. Ça vous donne une idée d’à quel point j’étais bête et Américain. Imaginez-moi en train de transporter ce truc à travers tout l’aéroport. Je crois que j’ai acheté un faiseur de pluie aussi.
Comment c’était de travailler avec Michael Shannon avant que le monde ne le découvre ?
J’ai remarqué très rapidement que Michael avait un immense talent. J’étais fan de lui dès le premier jour. C’était très intéressant de le voir interagir avec Christopher Walken, parce que ce dernier m’intimidait énormément. Michael était très à l’aise avec lui. Ils étaient l’un en face de l’autre et on pouvait déjà voir que Michael allait faire de grandes choses plus tard.
Votre personnage, Charlie, voit sa virilité remise en question dans le film : il est souvent comparé à une femme car il est coiffeur, et se plaint. En tant qu’acteur connu pour avoir cassé les clichés du genre en choisissant de vous éloigner de Hollywood pour être père au foyer, que pensez-vous, avec le recul, de la représentation de la masculinité dans ce film ?
Je pense que ça prouve à quel point ce film est démodé. Ça me fait un petit choc d’entendre à nouveau ces répliques. J’ai honte d’avouer qu’à l’époque, ça ne me paraissait pas choquant du tout. Mais c’était il y a 15 ans.
Dans une autre scène, le personnage d’Anthony Anderson se vante d’avoir battu des ados taïwanais lors d’un championnat de baseball. Après ça, le « peuple d’Asie » l’aurait surnommé « Sun Luc Dong », ce qu’il traduit par « grand homme noir qui prétend avoir 12 ans ».
Oh, merde. J’aimerais vous dire que j’ai protesté contre cette scène, mais en réalité je suis juste arrivé sur le plateau et j’ai dit mes répliques comme elles étaient écrites, en essayant de les rendre aussi inoffensives que possible. J’étais pas du genre à remettre en cause le scénario.
Il y a sans aucun doute quelques moments éducatifs dans ce film, notamment sur la notion de consentement : à un moment, votre personnage saute dans l’eau pour rejoindre une femme, alors qu’elle demande à se baigner seule et en toute intimité.
Wow, c’est vrai ! À nouveau, c’était une autre époque… Mais quand même. Je me rappelle qu’il y a aussi un gag où j’attrape les seins d’Estella Warren, je les presse et je lui dis à quel point ils ont l’air vrais.
Ça, ça passe, parce qu’à ce moment-là votre personnage est persuadé qu’elle est une hallucination et non pas une vraie personne.
Je me rappelle que c’était hyper gênant pour moi de devoir toucher sa poitrine dans cette scène. Je lui ai même demandé si elle voulait que je fasse sembler de toucher ses seins.
Je sais qu’on a fait quelques faux pas dans Kangourou Jack mais je me rappelle m’être mis en quatre pour être sûr qu’Estella soit à l’aise dans la scène où je la tripote.
En parlant de scènes gênantes, à un moment, comme ça, votre personnage se met à faire du beatbox. C’est parce que vous aviez ce talent et que les producteurs voulaient l’ajouter au film, peu importe comment ?
Je viens de New York, j’ai grandi avec De La Soul et Tribe, et je suis fan du rap de la côte est depuis toujours. Lors du tournage, quand on était dans la voiture et que la caméra tournait sans arrêt, on tuait le temps avec Anthony en jouant aux rappeurs et aux beatboxers. Les producteurs ont choisi de garder tout ça, ce qui leur a permis de transformer le film en un vaste divertissement pour enfants, faisant la part belle à un kangourou qui rappe.
Savez-vous toujours faire du beatbox ?
Merci beaucoup, Jerry.