Dire non à la drogue a foutu ma vie en l'air
Illustration : Pierre Thyss

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La vie, ça va passer

Dire non à la drogue a foutu ma vie en l'air

Je ne suis plus qu’une ombre qui arpente la vie à vitesse normale pendant que les autres jouissent, rigolent et vomissent, tout en glissant sur des dunes de cocaïne.
Paul Douard
Paris, FR

Prendre de la drogue peut vous niquer le cerveau. C'est d'ailleurs pour ça que les gens en prennent. Mais ce que n’expliquent pas les petits posters moches qui ornent les murs de la salle d’attente de votre généraliste, c’est que refuser d’en prendre peut tout aussi bien niquer votre vie sociale et sexuelle. Je n’ai pas dit non à la drogue parce que « j’ai des principes », mais parce que je n’en ai jamais tiré un plaisir particulier. Il faut dire que la dernière fois où j’ai collé ma narine droite sur le rebord d’une table Ikea pour y aspirer 80 euros en quelques secondes, il ne s’est strictement rien passé. J’étais toujours au milieu d’une soirée nulle, entouré de gens qui finissent systématiquement par se déshabiller sans raison. Si cet épisode commençait déjà à faire naître en moi une certaine prise de conscience, tout a basculé le jour où un pote m’a de nouveau proposé une ligne tout en me crachant dessus. À cet instant, je me suis simplement fait la réflexion que je voulais me lever tôt le lendemain pour profiter de ma journée et du soleil. Il était minuit trente et j’avais les jambes lourdes. J’ai donc refusé pour de bon. Ca été le début d’un désastre qui a complètement foutu ma vie en l’air.

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Dire non à la drogue, c’est le début d’une spirale autodestructrice dans laquelle sexualité et vie sociale disparaissent dans un ouragan de néant communément appelé « Contrat à durée indéterminé ». On commence par se réveiller le matin, tôt, puis on va faire du sport. Bien sûr au départ on ne voit rien venir, on se dit que tout va bien et qu’on garde un certain contrôle. Évidemment, je me voilais la face. J’ai commencé à me poser des questions sur mon comportement lorsque j’ai refusé d’aller en after sur les coups de quatre heures du matin – alors que s’entasser dans un appartement froid et insalubre au milieu de la nuit avec des gens qui grincent des dents est un truc relativement « cool ». À cet instant, j’ai vu dans le regard de mes amis qu’ils ne me reconnaissaient plus. Quelque chose s’était brisé. Mais j’étais persuadé que le problème venait des autres. Encore une fois, je me trompais. Le coup de massue a été lorsque je suis arrivé au boulot avant dix heures un lundi matin, en forme. À cet instant j’ai compris que quelque chose ne tournait pas rond chez moi. Alors que tous mes collègues s’amassaient autour de l’unique cafetière du boulot tels des sans-abris autour d’un feu de fortune pour y vanter leur soirée thème « Grèce Antique » dans un entrepôt désaffecté de Montreuil, je ne pouvais quant à moi que jalouser leur visage buriné par un weekend de fête interminable.

Virginie Despentes disait que « La cocaïne, ça fait juste des cons arrogants, bavards, très sûrs d'eux, agressifs, paranos, certainement pas géniaux (…) » Peut-être, mais ce qu’elle ne disait pas, c’est que cela permet aussi de baiser. Ma vie sexuelle n’est plus qu’une lente marée descendante sur laquelle je tente de surfer, en vain. Refuser la drogue m’a clairement éloigné de possibles expériences extraordinaires. Ne pas me droguer, c’est me retrouver souvent seul au milieu d’une soirée, assis sur une chaise avec les pieds recroquevillés pendant que les autres « dansent » – si gesticuler tel des corps inertes tombant d’un pont peut s’apparenter à danser. Les gens me parlent un dialecte que je ne comprends pas, accompagné de quelques crachats involontaires et d’une proximité physique assez déstabilisante mêlant sueur et haleine fétide. Bien souvent, je suis obligé de sourire bêtement, puisque peut importe ce que je dis, mon interlocutrice me répondra : « Ha ouais ? Ça défonce mec ! ». Si, tel un anthropologue des temps modernes, je tente de feinter une certaine défonce pour m’intégrer à la masse, la suite s’apparente à un véritable cauchemar éveillé. Mes dernières partenaires sexuelles nocturnes, noyées sous les buvards de synthèse, voyaient notre échange de fluides comme une magnifique poésie où tous les sens sont en éveils. Pour moi, cela revenait plutôt à coucher avec une personne schizophrène à mobilité réduite – ce qui n’est pas mon truc.

Je ne sais plus quoi faire. Dire non à la drogue m’a exclu socialement. Je ne suis plus qu’une ombre qui arpente la vie à vitesse normale pendant que les autres jouissent, rigolent et vomissent, tout en glissant sur des dunes de cocaïne gracieusement financées par la Caisse aux Affaires Familiales. Je ne me souviens même plus de la dernière fois où je n’ai pas vu le jour pendant au moins 24 heures, ou de la dernière fois où j’ai couché avec quelqu’un qui ne me plaisait pas. De fait, plus personne ne me respecte. J’ai bien essayé de me faire arrêter par les flics une fois afin d’avoir une aventure nocturne à raconter, mais ces derniers m’avaient simplement gratifié d’une amende de 280 euros pour avoir uriné sur une affiche de Marine Le Pen. Les gens ne savent pas qu’à une heure du matin, nous autres avons les jambes lourdes et qu’écouter de la « house » en boucle donne envie de s’accrocher derrière un tramway pour attendre que la mort nous emporte. Aujourd’hui, il existe des centaines d’associations qui viennent en aide aux junkies. Pourtant, aucune ne vient en aide à nous autres qui voyons notre vie basculer après avoir refusé un joint devant Las Vegas Parano. Aujourd’hui, j’ai un travail sympa, des amis et je suis en parfaite santé. Je ne sais pas comment m’en sortir. Aidez-moi.

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