Quand je suis allée à la projection presse de The Mountain : une odyssée américaine, je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre. Je ne connaissais pas Rick Alverson, The Mountain étant son premier long-métrage à être distribué en France. Il s’est avéré être le genre de films que j’aime beaucoup, lent, gênant, presque incompréhensible. Mais mon ressenti n’était apparemment pas partagé par tous : quelques journalistes ont quitté la salle bien avant le générique de fin.
Du coup, on s’est dit qu’on allait essayer de comprendre pourquoi. En comparant The Mountain à d’autres films qui ont, au moment de leur sortie, également dérangé et divisé les critiques.
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Rien à faire des codes
Sur la forme comme sur le fond, les films qui divisent tournent souvent le dos aux codes du moment. Selon une étude de l’université de Cornell publiée en 2010 et menée sur 15 000 films hollywoodiens, la longueur moyenne d’un plan est passée de 12 secondes en 1930 à 2,5 secondes en 2010. Le code actuel, c’est d’aller vite, de garder le spectateur impliqué en multipliant les plans.
Et dans The Mountain, au contraire, tout est lent. Les plans sont longs, l’image est fixe, la caméra ne bouge quasiment pas. On ressent presque une forme de lassitude à la fin de chaque plan. Contrairement aux films hollywoodiens classiques, The Mountain fait le pari du temps long. Mais nos yeux et notre cerveau n’y sont plus habitués.
Cette obsession du temps long, on la retrouve dans les films de Gaspar Noé par exemple, qui en plus de déranger sur le fond, dérangent aussi sur la forme. Sur le fond, Noé nous donne à voir des scènes de viols (dans Irréversible), de revenge sex et de plans à trois (dans Love). Mais surtout, il nous donne à les voir longtemps. La scène de viol du début d’Irréversible dure neuf minutes.
Parler de vrai sexe
La scène du plan à trois dans Love avait fait scandale avant même la sortie du film. Il avait suffit qu’un extrait de la scène en question soit accessible pour que les esprits s’échauffent. Deux femmes et un homme dans un lit, impossible ! Pire encore pour la scène d’éjaculation masculine en 3D, pénis face caméra, considérée désormais par certains comme du génie, par d’autres comme la scène de trop.
C’est vrai, les films qui montrent le vrai sexe ont plutôt tendance à diviser l’opinion. Exit le sexe hétérosexuel en missionnaire sous les draps, des films comme La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche qui contient une (très longue) scène de sexe lesbien (réaliste ou pas, selon les critiques), osent choquer. Le film avait fait jaser sur la Croisette mais avait pourtant remporté la Palme d’Or à Cannes en 2013. Preuve encore de l’ambiguïté des critiques sur la question.
Dans le dernier film de Rick Alverson, le thème du sexe fait son apparition très vite. On comprend dès les premières minutes qu’Andy, le personnage principal, entend – et voit parfois – les ébats de son père avec des jeunes patineuses, dans les vestiaires du club. Le Dr Fiennes, plus tard, enchaînera les conquêtes devant lui. Puis on assiste à la première fois de l’adolescent gêné, pris d’une fougue incontrôlable pour Susan. L’action maladroite est coupée sec par Fiennes, qui les prend en flagrant “délit” et leur rit au nez. Sans être aussi explicite que dans d’autres films, le sexe dans The Mountain est cru, violent, souvent transgressif. Et ajoute à la gêne, déjà bien présente.
Laisser l’audience se perdre
« C’est un film formel avant tout », écrit Rick Alverson, le réalisateur de The Mountain. Son but : qu’on s’interroge sur la forme de son film, pas vraiment sur le fond. Il n’y aurait donc rien à comprendre de ce road movie glacial et dérangeant. On pensait que c’était une quête de la mère, mais on ne la trouve jamais. On espère que le Dr Fiennes perde le duel psychologique qui s’est au fur et à mesure installé contre Andy. Raté, il lui fait même subir une lobotomie. Pourquoi le film s’appelle The Mountain? Compliqué à comprendre aussi.
C’est un peu la même sensation que quand on regarde en boucle The Tree of Life, le film de Terrence Malick, sorti en 2011, pour chercher la clé, le lien entre toutes ces époques, des dinosaures aux avenues bondées de gratte-ciels. On finit par se dire que c’est un film génial parce qu’on n’y comprend rien ou que c’est un ego-trip insupportable. Là dessus, huit ans plus tard, toujours aucun consensus possible.
Dans sa critique pour Le Monde, Thomas Sotinel pointe du doigt une scène de la dernière partie de The Mountain, où Denis Lavant, qui incarne le père de Susan, se lance dans un monologue guttural et violent sur le sens de la vie et les avantages de la folie, un long moment parsemé de mots qu’on n’a jamais cherché dans le dictionnaire. Sotinel parle d’un moment risqué, qui peut « disloquer l’équilibre du film, (…) transformer son énigme en langage à jamais indéchiffrable. » Mais n’est ce pas justement le but d’Alverson : nous faire croire qu’on peut craquer le code puis doucher nos espoirs.
The Mountain : une odysée américaine, en salles à partir du 26 juin.
Cet article est publié dans le cadre d’un partenariat avec Straydogs et a été rédigé en toute indépendance par la rédaction.
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