Société

Votre feed flatte votre égo et vous mène à ne pas vous remettre en question

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Dans la vraie vie, je m’entoure instinctivement de personnes qui partagent plus ou moins mes idées et avec qui je peux avoir des discussions constructives. Du coup, je tombe toujours un peu des nues quand j’ai une conversation avec un·e pote d’enfance avec qui nos routes se sont éloignées et qui me sort des « Oui mais bon, si Adil a fui la police, c’est qu’il avait quelque chose à se reprocher », des « Oui mais bon, les féministes elles exagèrent maintenant », ou le classique « Oui mais bon, on ne peut plus rien dire. »

Sur les réseaux, c’est pareil. Mon feed est principalement constitué de publications féministes, anti-racistes, puis pas mal de conneries et de trucs de teuf aussi. Et je tombe tout autant des nues quand je perds mon temps à lire les commentaires des internautes dont l’avis semble si important qu’il doit être exprimé à tout prix. Dix ans après que l’activiste Eli Pariser ait parlé pour la première fois de « la bulle de filtres », ses prévisions semblent s’être concrétisées.

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Les réseaux divisent

On vit dans des bulles, des utopies numériques où tout le monde partage la même opinion, et où l’information ne fait que confirmer ce qu’on savait déjà. C’est le résultat d’un processus invisible de filtrage algorithmique des informations basé sur le un profil parallèle que les sites Web, les réseaux sociaux et les moteurs de recherche ont construit sur vous.

La bulle de filtres a pour conséquence que nous n’entrons plus en contact avec les opinions de personnes issues de bulles complètement différentes, ce qui ne fait que rendre notre société plus polarisée et extrême.

On vit dans des bulles, des utopies numériques où tout le monde partage la même opinion, et où l’information ne fait que confirmer ce qu’on savait déjà.

Les bulles de filtre et les réseaux sociaux seraient directement responsables du grand désordre dans lequel on se trouve aujourd’hui (pensez à la montée des discours à la Trump ou aux climatosceptiques), d’autant plus que la technologie, les données et l’intelligence artificielle gagnent en importance au sein de nos systèmes sociaux, technologiques et économiques.

Mais ce lien est-il vraiment justifié ? La polarisation et la radicalisation de la société sont-elles effectivement dues aux nouvelles technologies de communication ? Ou est-ce qu’on se complaît tout simplement de nos bulles prédéfinies ?

Les bulles de filtres ne sont que des symptômes de la réalité

Des études récentes montrent que l’effet de la « bulle de filtres » de Pariser est en réalité surestimé. Un article de Levi Boxell, Matthew Gentzkow et Jesse Shapiro paru cette année indique par exemple que la polarisation est plus faible dans les pays où l’utilisation d’Internet est élevée. De plus, l’augmentation de la polarisation dans un pays comme les États-Unis est antérieure à l’introduction des médias numériques, et concerne principalement un groupe de population plus âgée qui utilise davantage l’analogique.

Alors pourquoi sommes-nous toujours surpris·es de voir que le Vlaams Belang obtient de plus en plus de voix ? Tout le monde est pourtant de gauche, féministe et antiraciste dans notre bulle.

Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, tout le monde peut trouver une audience pour n’importe quelle opinion.

Judith Möller, chercheuse en communication à l’université d’Amsterdam, explique qu’on est passé·es d’une « spirale du silence » à un « silence du bruit » via les réseaux sociaux. Avant internet, les gens qui avaient des opinions susceptibles d’être mal vues par les autres les gardaient pour eux. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, tout le monde peut trouver une audience pour n’importe quelle opinion, ce qui a bénéficié à la visibilité de mouvements tels que Black Lives Matter, mais aussi à des théories du complot absurdes sur le Covid.

La bulle des filtres ne serait donc pas la cause, mais un symptôme d’une société qui a longtemps été en désaccord avec les idées dominantes.

Internet n’est que le reflet du chaos de notre société

Créez un compte Twitter et vous serez instantanément au courant des discours les plus absurdes d’Elon Musk et du pape François. Creusez un peu plus, et vous trouverez une anthologie presque poétique de commentaires provenant de tous les groupes de la population. Visitez le forum 4chan, la plateforme alternative Are.na ou les médias d’information New Models et vous serez soudainement confronté·es à des opinions et des idées complètement éloignées de la pensée dominante.

Ce que ces dernières plateformes ont en commun dans leur modèle, c’est l’absence de peur de sortir de la bulle de filtres. Comme le dit la fondatrice de New Models, Lil Internet, dans le podcast de New Models, rien dans ce monde n’est statique ou simple: « Cherchez la vérité de manière active et honnête, et vous vous retrouvez dans le chaos. Un chaos souvent beau et tragique, mais surtout impossible à déchiffrer. »

Quand on utilise Internet dans sa forme la plus pure, au-delà de l’algorithme, Google et les réseaux sociaux nous donnent accès à une mer d’opinions. Cette beauté initiale et chaotique d’Internet est assez effrayante, car personne ne la contrôle et on doit se forger notre propre opinion sur ce qu’on lit et regarde. Cela implique que du contenu nous mette en colère, nous fasse rire de par son absurdité, ou nous apporte simplement une information à laquelle on n’aurait jamais eu accès par nous-même. Et n’est-ce pas exactement ce dont la bulle de filtres nous a protégé·es tout ce temps ?

Dans le confort de notre bulle

Des tas d’articles ont été écrits sur les moyens pour sortir de la bulle des filtres, mais ces méthodes ne permettent pas pour autant de briser la bulle dans laquelle nous vivons.

Les bulles de filtres répondent à l’une de nos plus grandes faiblesses : notre besoin d’avoir raison.

C’est logique, car les bulles de filtres répondent à l’une de nos plus grandes faiblesses : notre besoin d’avoir raison. Dès l’enfance, on nous apprend qu’il y a toujours une « bonne » et une « mauvaise » réponse à une question, et le système éducatif juge notre faculté à produire les bonnes réponses afin de gagner des bons points et réussir notre vie. « Avoir raison » renforce notre estime de soi, et on se sent souvent insulté·e lorsque l’autre personne n’est pas en accord avec nous.

Au final, on éprouve un amour caché pour cette bulle de filtres. Elle nous permet de mener une existence fantastique et confortable, même si elle mène vers une société qui préfère conserver ses propres idées et faire l’autruche que de faire face à une réalité complexe.

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