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Le Twitch français est-il de droite ?

« J’écoutais Jiraya se plaindre de l’URSSAF, je regardais Sardoche remettre en cause le principe même des retraites, je scrutais Maxildan nous montrer sa réussite financière au travers de sa nouvelle Tesla. »

Twitch et moi, c’est une histoire qui a commencé il y a quelques années. Au début, pour regarder de l’esport comme les majors sur CS:GO, puis pour découvrir certains jeux vidéo de manière plus ludique que le sacro-saint test ou « Let’s Play » sur YouTube. J’en suis venu à m’attacher à certaines personnalités de la plateforme de streaming qui proposaient un contenu différent et authentique. À l’image d’un ZeratoR qui arrivait à me faire apprécier ce mélange entre esport et entertainment (ZLAN, Fight For Sub) ou d’un Kameto qui me rappelait l’ambiance de mes soirées PES entre potes. Assez vite, une pensée a germé en moi. J’écoutais Jiraya se plaindre de l’URSSAF, je regardais Sardoche remettre en cause le principe même des retraites, je scrutais Maxildan nous montrer sa réussite financière au travers de sa nouvelle Tesla. Et si les têtes d’affiche du Twitch français étaient de droite ?

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Cette supposée tendance n’est pas forcément bien vue. Notamment du côté de Twitter où ils sont nombreux à condamner certains propos et à établir des tier lists catégorisant politiquement certains streameurs. L’axe du mal étant bien entendu, la droite. Alors que reproche-t-on à certains de ces streameurs ? Certaines paroles, « qui prônent l’individualisme, l’autoritarisme, la misogynie ou l’homophobie, qui se retrouvent plus fréquemment dans la droite libérale autoritaire que la gauche progressiste », selon Jean Massiet, le fondateur de la chaîne politique Accropolis. Cible numéro un de ces critiques, Sardoche. Pour lui, « le simple fait d’avoir des propos connotés à droite fait sortir du lot celui qui les tient. On te prend alors pour un facho ». Ses anciens threads envers certaines communautés LGBTQ, qu’il regrette aujourd’hui, feraient de lui un électeur d’extrême droite selon ses adversaires. « Aujourd’hui, je m’exprime devant des personnes qui ont ma vision erronée de l’époque et j’essaie de les faire évoluer sur la transphobie en leur faisant comprendre ce sujet complexe ». Pourtant, si sa « recette du bonheur se trouve dans un ratio effort-récompense équilibré et exclut de facto un concept comme la discrimination positive », ancrée à gauche, il n’estime pas rentrer dans une case politique.

L'esport doit lui aussi faire face au dopage

Il est important de ne pas se focaliser sur des cas individuels, mais plutôt de chercher d’autres explications du côté des profils sociologiques des streameurs. Ici ce n’est pas la diversité qui domine : homme, entre 20 et 30 ans, blanc, souvent issu de la province. Bref, un bon résumé de l’électeur de droite n'est-ce pas ? Sauf que l’échantillon de streameurs est bien trop faible, la méthode aussi scientifique que pertinente et le constat un peu simplet. On n’a toujours pas réglé le débat entre Boudon et Bourdieu sur la reproduction sociale, ce n’est pas ici que nous commencerons celui sur la filiation politique.

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Qui dit profil peut nous renvoyer à la catégorie professionnelle. Pour Maxildan, qui officie sur la web TV LeStream du groupe Webedia, « la quasi-totalité des streameurs sont des entrepreneurs, les CDI ne dépassent pas la dizaine. Ils ne comptent pas leurs heures pour réussir, à l’opposé de la mentalité attentiste des gens de gauche. » Un avis tranché, qui peut être valable pour les têtes d’affiche qu’on peut assimiler à des chefs d’entreprises connaissant le succès. Mais l’entrepreneur sur Twitch n’est-il pas plus souvent un précaire à l’image d’un chauffeur Uber ? Quand un streameur du top 10 français arrive à se dégager facilement un revenu à cinq chiffres chaque mois, l’écrasante majorité ne parvient tout simplement pas à en vivre ou à simplement couvrir les frais de matériel.

L’origine sociale pourrait en tout cas expliquer certains comportements qu’on caractérise plus à droite comme le fait de partager sa richesse publiquement. « Montrer mon bonheur matériel, ce n’est pas par vanité. Je suis juste fier, car je viens d’une famille modeste et jamais je n’aurais imaginé cette vie durant mon enfance », nous précise Maxildan. Cette transparence très américaine est directement liée à Twitch, qui appartient à la galaxie Amazon. Le format utilisé sur la plateforme (les lives), l’interactivité (le chat) et la proximité inégalée brisent les barrières entre le streameur et son audience. « Le streameur parle de ce qui le touche, et aujourd’hui c’est le coronavirus. Discuter des masques est anodin, mais voilà comment un streameur qui n’avait pas l’intention de parler politique, discute de l’actualité en mettant en avant ses opinions personnelles », ajoute Jean Massiet.

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Twitch n’est pas YouTube. Sur ce dernier, le propos est maitrisé grâce au montage et vous ne verrez jamais les grandes figures comme Cyprien ou Mister V prendre position. Sur Twitch, impossible de faire le « démago comme Amixem qui indique qu’il se paie 3000 euros par mois, mais qui oublie de préciser que sa boite génère quatre vingt fois plus », ajoute Sardoche. Sous peine de se prendre le courroux de ses vieweurs qui ne sont pas dupes. Il y a même un devoir « de partager son bonheur, certes matériel, avec ceux qui ont rendu ça possible » pour Maxildan. L’hypocrisie ne serait-elle pas possible sur Twitch ? Difficile de répondre par l’affirmative, l’absence de maîtrise complète sur des discussions qui durent des heures permet bien évidemment à Twitch d’être plus diversifié politiquement et d’offrir un espace à tous les courants. Droite comprise donc.

Mais est-ce que Twitch ne pousserait-elle pas à ces propos connotés à droite ? Le modèle économique de la plateforme qui favorise une infime proportion de streameurs à gagner très bien leur vie et le reste à galérer, la dictature des chiffres d’audience, la culture du clash autorisée par Twitch qui ne sanctionne que très rarement ceux qui franchissent la ligne sont autant de raisons de croire en son influence sur ses principaux acteurs. Pour réussir sur Twitch, ne faut-il pas des caractéristiques qu’on assimile à la droite ? Sardoche, baptisé “roi du sel” par tout l’écosystème, ne cache pas son « égo, sa compétitivité et son désir de mettre un taquet à ceux qui disent de la merde ». Des caractéristiques partagées par de nombreux streameurs qui viennent des scènes compétitives comme League Of Legends ou CS:GO où la confiance en soi et les clashs/taunts sont communs.

Impossible de promouvoir des valeurs à gauche sur Twitch ? Non. De nombreux streameurs font très souvent la promotion de causes progressistes comme le féminisme dans l’univers vidéoludique à l’image d’Aayley ou de Zul’Zorander. D’autres font preuve de bienveillance, qu’on assimile souvent à la gauche traditionnelle. Je pense notamment au ZEvent, l’événement caritatif porté par ZeratoR, qui est une parfaite vitrine pour le streaming français. Certains pourront rétorquer qu’il est compliqué d’avoir ce type de propos à cause du chat, rempli de trolls racistes et misogynes. Mais, il est malhonnête d’envisager « le public de Twitch comme un et indivisible, chaque chaîne possède sa propre audience » pour le fondateur d’Accropolis. Pour lui, « on a le chat qu’on mérite. C’est par notre comportement, nos règles et notre absence de réaction face aux trolls que cet espace deviendra sain. »

Tout n’est pas rose bien entendu, cet entre-soi masculin y est pour beaucoup. Les problèmes gravissimes de sexisme sont légion et peu de streameurs masculins s’engagent comme Julien Paniac ou Jean Massiet. Certains se cachant derrière la neutralité et cet argument de vouloir donner la parole à tout le monde. S’engager, c’est risquer de perdre une partie de son audience. Résumer Twitch à une plateforme de droite, c’est malgré tout « faire peu de cas d’une majorité de streameurs qui ont des idéaux à gauche, mais qui préfèrent ne pas en parler » pour Jean Massiet. C’est peut-être ça le principal enseignement, Twitch reste une plateforme pour se divertir et pour regarder des lives sur des jeux vidéo. Des piliers comme Zerator, MV ou Gotaga s’éloignent de toutes discussions polémiques, car ils veulent juste que leur communauté passe un bon moment.

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