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Un nombre peut-il être illégal ?

Il existe des nombres pour tout. Parce que leur taille est illimitée, leur potentiel descriptif est énorme.
Image: CobraCZ/Shutterstock

Si la diffusion d'une information peut être illégale, alors la diffusion d'un nombre peut être illégale. Cette idée semble assez évidente dans la mesure où un nombre est, par définition, une information. Pourtant, rien n'est si simple, puisque la question de la propriété et de la communicabilité des nombres est extrêmement épineuse. Elle tourmente d'ailleurs les journalistes, les philosophes, les informaticiens et les juristes depuis 2001, lorsque le chercheur en informatique Phil Carmody avait découvert et publié un nombre premier ridiculement long ; ce nombre représentait une section du code informatique d'un logiciel internet capable de décrypter le contenu d'un DVD chiffré à l'aide du système de brouillage du contenu.

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Il y a un nombre pour tout. Certains sont très grands, d'autres très petits, d'autres encore sont définis de manière arbitraire, mais parce qu'il n'y a aucune limite quant à la taille d'un nombre donné, nous pouvons être certains qu'il existe pour chacun d'entre nous un nombre personnel capable de coder l'ensemble de nos caractéristiques en tant que personne. Il existe même un nombre capable de décrire chaque cellule de notre corps, et enfin un nombre capable de décrire toute notre histoire en tant qu'organisme.

En bref, l'information est capable de nous décrire, et cette information peut être encodée de manière binaire, numérique, ou autre. Le fonctionnement de systèmes simples et déterministes comme les programmes informatiques est d'ailleurs entièrement décrit par un nombre qui emprunte la forme d'un code binaire.

Ce code n'est pas tenu de ressembler à un langage machine, par ailleurs. Les ordinateurs ne comprennent que les nombres, et la norme ASCII nous permet de représenter un texte sous forme de nombre de manière standardisée. Cependant, le message pourrait très facilement être converti en nombre grâce à une conversion ASCII directe permettant de transformer les mots du langage naturel en symboles mathématiques, comme c'est le cas pour les programmes informatiques écrits dans un langage de haut niveau, comme JavaScript.

Il existe différentes façons de représenter des choses sous forme de nombres. ASCII est un système d'encodage dans lequel l'information lisible par l'homme sous la forme de caractères et de symboles est simplement troquée contre des nombres. La majuscule « A », par exemple, correspond à 65 en ASCII. Mais le code informatique peut également être compilé en langage machine, à savoir un agencement de données réorganisées de manière fondamentale de telle sorte qu'elles puissent être lues dans un langage propre à la machine en question.

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Cette distinction est importante, surtout quand on considère le sujet des nombres premiers illégaux, c'est-à-dire les nombres premiers qui représentent une information que l'on n'est pas autorisé à posséder. Le cas d'école est le nombre produit par Carmody en 2001, qui contient l'information nécessaire pour programmer un logiciel de décryptage de contenu protégé par Copyright. Plus précisément, ce nombre correspond à la représentation binaire dudit programme, écrit en C, une fois qu'il a été compressé (gzip'd).

Le nombre premier de Carmody a été dans le cadre de la série de « protestations créatives » contre l'acte d'accusation du créateur de DeCSS, Jon Lech Johansen qui à l'époque avait comparu devant un tribunal norvégien. Carmody a également créé un t-shirt sur lequel était imprimé le code C de DeCSS par Copyleft LLC. Lui-même serait finalement trainé devant les tribunaux par la Motion Picture Association of America (MPAA) qui souhaiter empêcher la publication du code de DeCSS. « En bref, je crois que le code source, qui est selon moi de l'information pure, ne peut pas et ne doit pas être illégal », écrit Carmody. « L'interdiction des T-shirts Copyleft est absurde. Je voulais simplement que les données soient reproduites sous une autre forme, et spécifiquement une forme qui ne pouvait pas être considérée comme illégale. »

"Ce n'est pas parce que mon nombre premier est illégal qu'il a été archivé. C'est simplement qu'il est très volumineux, rien de plus."

La « forme » dont parle Carmody, c'est donc celle d'un énorme nombre premier. Nous ne nous appesantirons pas sur la méthode, extrêmement complexe, qui permet de produire un nombre premier représentant le code d'un programme informatique ; mais retenons que le nombre premier produit était tellement grand qu'il est rentré directement dans le top 20 des plus grands nombres premiers connus. Or, cette caractéristique seule a suffi a ce qu'il soit diffusé publiquement.

« Mon plan initial était de m'assurer que les bits, les données brutes du code de DeCSS, étaient archivés sur un support où ils seraient hors de portée de la réglementation », explique Carmody. « J'avais donc besoin de trouver un moyen de présenter les données de manière à la fois archivable et légale. »

Carmody allait plus tard découvrir un moyen de rendre son nom premier lisible (c'est-à-dire, exécutable) par une machine. À cette fin, il a développé ce qui est sans doute le code exécutable le plus petit possible pouvant être représenté par un nombre premier. Il se compose d'une seule instruction renvoyant à un registre de processeur vide représenté par le numéro 9923. A titre de comparaison, la première représentation du code de DeCSS était de 1 905 chiffres. Depuis 2001, les tribunaux n'ont pas beaucoup avancé sur l'affaire des nombres premiers illégaux. Il faut sans doute leur en proposer de nouveaux, pour le sport.