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Le label 100% Silk ne fait rien comme les autres

Depuis sa création en 2011, 100% Silk — le sous label d’Amanda et de Britt Brown, les fondateurs de Not Not Fun Records — a sorti un paquet de morceaux hors du commun. Le label s’est d’abord fait connaître avec « Ital’s Theme », le tube de Ital, et a continué à sortir des disques mélangeant allègrement émotion et confusion.

Des artistes comme Octa Octa et Maria Minerva ont construit l’esthétique à la fois rétrograde et avant-gardiste du label. Petit à petit, 100% Silk est devenu une plateforme immanquable de la house lo-fi des années 2010 — une décennie où les concepts de retrofuturisme et de retromania se retouvent partout. L’esthétique visuelle et sonore de 100% Silk est basée sur différents critères qui échappent à la plupart des autres labels, et c’est exactement ça qui fait d’eux un label unique.

« Quand j’ai commencé à acheter de la musique, je me suis directement tourné vers des albums dont la cover ressemblait à un artwork fait maison, comme celles de K, Kill Rock Stars, ou encore les pochettes des disques Matador des années 90 » raconte Amanda Brown. « Elles avaient toutes ce côté emblème et intime, un peu comme ce qu’on retrouve sur certaines pochettes punk. » En fourrant un peu plus son nez dans les vieilleries des friperies, elle est également tombée sur du disco, de la soul et de la dance.

Sur ces pochettes, elle retrouvait la même marque de fabrique : « des filles toutes en jambes aux lèvres pulpeuses d’un rouge éclatant avec un arc en ciel en fond ». » Mais ses achats n’étaient pas uniquement dictés par le packaging : « Ce qui me poussait à acheter un disque c’était sa durée (plus c’est long, mieux c’est), son instrumentation (les synthés sont un vrai plus, les cuivres et les cordes un signal d’alerte) et le nom du label (les moins connus étant évidemment les plus attractifs). Avant eBay, même à l’Armée du Salut on trouvait de vraies pépites pour seulement 50 centimes. »

Aujourd’hui, ce qui fait la force de 100% Silk c’est cette capacité à pouvoir anticiper la couleur musicale d’un album grâce à sa pochette. Par exemple, le design de Bobby Houlian déconstruit totalement l’idée de glamour, et c’est aussi le cas des oeuvres de Spencer Longo, Rohan Newman ou encore de Jesselisa Moretti.

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Prenons la cassette Music 2 de Beat Detective. Plutôt que d’être présenté traditionnellement, l’album est enveloppé dans une sorte de pochette-hommage au roi du design softcore/noncore des années 80, Patrick Nagel. Les couleurs sont simples et sensuelles et donnent un côté glamour et nature à la fois. Le twist ? Juste à côté se retrouvent les détails technique du support : référence, titre, tracklisting. Nous ne sommes pas en présence d’un objet d’art mais bien d’un produit de consommation, prêt à l’achat. Toute l’ambivalence est là. Et c’est ce template que le label répète depuis, que l’album en question sorte sur vinyle, CD, K7 ou en MP3.

Ok pour le marketing, mais Brown met un point d’honneur à créer du beau dans tout ce qu’elle entreprend. Quand on en vient à lui parler des formats, elle est n’y va pas par quatre chemins et revendique l’importance du côté artistique, que ce soit du physique ou du digital. « Que tu achètes des disques ou que tu les télécharges parce que ça te saoule de payer pour de la musique, il y aura toujours un visuel avec. Même si tu ne possèdes aucun vrai album, tu seras toujours attiré par certaines images plus que par d’autres, car on enregistre les couleurs et les formes plus durablement que le son. »

En ce qui concerne les futures sorties de 100% Silk, Amanda rêve de quelque chose de super coloré, dans le style du collectif italien Memphis,réputé pour sa fameuse esthétique entre « Bauhaus et Fisher Price ». D’autres fantaisies lui viennent à l’esprit comme « se réapproprier certaines photos de Nan Goldin en y ajoutant une typo subtile, ou encore se servir des oeuvres de David Hockney. »

Malgré les galères de départ, Brown est bien déterminée à continuer à mettre en avant l’esthétique en laquelle elle croit. « J’adore les récentes covers d’Andra Fox : ‘Embassy Cafe’, ‘Cafe Romantica’ et celle de l’album Overworld. Ces pochettes sont classiques et intemporelles, comme si elles existaient depuis toujours mais que les gens venaient de les découvrir. » En plus d’avoir l’oeil pour dégoter les bons artistes, elle garde aussi une oreille sur les musiciens. « Le dernier truc qui m’a plu, je crois que c’est ECM. Son élégance est une vraie force. Ceci étant dit, il y a une différence entre l’intention et le son en lui-même. Il y a des tas de labels comme 1080p, Ecstasy, Rush Hour, Mood Hut, dont j’adore le travail même si je ne suis pas folle de tous leurs morceaux. Mais je garde une vision globale des choses. »

Si la singularité esthétique joue un rôle primordial dans le catalogue de 100% Silk, la musique arrive ex-aequo. « Ce que je recherche c’est une synthèse entre la jubilation et la mélancolie. Je vais plus m’attarder sur mon ressenti que sur le morceau en lui-même. Je cherche une atmosphère assez intime. » Et cette intimité, on la retrouve dans les relations qu’elle entretient avec ses artistes. « Parfois c’est eux qui viennent à moi. Un grand nombre de gens que j’ai signé sont aujourd’hui mes amis, ou des amis d’amis. Mais au début, la plupart étaient des étrangers, ou des fans, qui sont venus vers moi et notre intérêt mutuel pour la musique nous a conduit à bosser ensemble. J’aime cette méthode de travail, même si la plupart des labels s’en moquent ou méprisent ce style de pratique. »

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Brown ajoute que gérer Not Not Fun ne lui a pas simplement appris des choses sur le monde de la dance music. « J’ai l’impression de fonctionner comme les groupes hip-hop de l’époque. C’était l’artiste qui était mis en avant et le nom des labels et des managers était écrits entre parenthèses, avant d’apparaître quelques années plus tard en gros sur les pochettes. Si gros, que la plupart du temps, quand un artiste sort un album sur un label plus ou moins semblable à 100% Silk, on ne pourra plus bosser avec lui car c’est comme dans les partis politiques, l’artiste sera étiquetté et affilié à tel label. Ca me rappelle le lycée, où on avait tous une étiquette, voulue ou non. Quand tu sortais de la norme tu étais soit un frimeur, soit un marginal. C’est quelque chose qui ne me dérange plus aujourd’hui, j’y suis habitué, mais je ne savais pas que même le monde de la musique fonctionnait comme ça. »



Pour terminer, on a demandé à Amanda ce que lui avait appris 100% Silk sur la house music : « Beaucoup de choses. Je me suis rendu compte que les artistes qui cherchaient à se recycler étaient mal vus, comme s’ils étaient nés pour faire un style de musique et qu’ils n’avaient pas le droit de jouer autre chose ou ailleurs. J’ai aussi constaté que si les gens écoutent un ou deux morceaux du label et que ces titres ne leur plaisent pas, alors ils ne vont pas prendre le temps d’écouter le reste et vont faire l’impasse sur toute la production. J’ai aussi pris conscience que tout ce qui est classique est souvent considéré comme ‘rétro’ — à moins que l’oeuvre n’ai été réalisée par une ‘légende’. Et que les gens utilisaient le mot ‘branché’ comme si c’était une insulte. Mais la bonne musique est toujours ‘hip’, c’est comme ça, c’est juste un terme inutile balancé par des gens qui n’ont rien à dire. »

« Pour moi, la dance est un art folklorique qui acordera toujours plus d’importance au morceau qu’à l’artiste. Bien sûr, le producteur est investi dans le processus et aura sa part de gloire, mais ce qui importe le plus c’est le rythme, l’inventivité et la couleur du son au moment où on l’écoute. Il ne faut pas se lancer dans des comparaisons interminables, mais juste le savourer sur l’instant et dans son ensemble. C’est pour ça que même sur un disque house réalisé avec peu de moyens par un mec encore inconnu, on peut tomber sur une face B transcendante au point de nous faire oublier l’anonymat du mec. C’est de la musique qui peut être faite par tout le monde, découverte par tout le monde, et appréciée par tout le monde, sans besoin d’explications. Le reste, c’est juste de la flambe. »

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Josh Baines est sur Twitter.


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