Photo – LeAnn Mueller
Il y a beaucoup de choses à tirer de Coheed and Cambria, même si ça n’apparaît pas immédiatement. Peu importe la façon dont vous les abordez, vous réaliserez que sous les riffs heavy et les assauts répétés du groupe, il y a une histoire profonde, en lien direct avec les thèmes de science-fiction contenus dans The Amory Wars. Une histoire tentaculaire écrite par le chanteur et guitariste Claudio Sanchez qui comprend des romans, des comics et des albums abordant en vrac, 78 planètes, une galaxie intitulée Heavens Fence, le destin surnommé le Crowing, des archimages diaboliques désirant détruitre l’univers et même Claudio, en personne, à la fois auteur personnage dans l’oeuvre. Cette approche absurde des choses est ce qui caractérise Coheed and Cambria depuis 1995, et pour la première fois de leur carrière, ils ont mis tout ça de côté.
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Parce que, au centre du groupe, leur histoire raconte surtout la fuite permanente. Quatre gamins forment un groupe de rock ambitieux pour échapper à leur ville de transit, Nyack, au propre comme au figuré. 20 ans plus tard, le groupe est devenu un incontournable du rock moderne, et ses membres des adultes. Claudio Sanchez et sa femme Chondra Echert ont récemment eu leur premier enfant, Atlas. Malgré le fait que leur maison du nord de New York soit devenue une serre à marijuana pendant que les deux vivaient à Brooklyn, ils se sont adaptés à leur nouvelle vie en ville et à l’éducation d’Atlas.
Le 16 octobre, le groupe sortira son huitième album, The Color Before The Sun. Ce disque se présente comme leur plus ambitieux à ce jour, laissant derrière eux le décorum de Heavens Fence et leur narration complexe pour livrer des morceaux sur les merveilles de la vie de tous les jours. Coheed a toujours eu une face pop, qui est ici amplifiée par un single comme « You’ve Got Spirit Kid » que rien ne pourra vous interdire de blaster à fond après avoir réussi vos exams. Mais le groupe n’a rien abandonné en route, d’ailleurs, le morceau qu’on vous propose en avant-première ci-dessous, « Eraser », mélange le côté heavy de leur style habituel et les boucles catchy dont seuls eux ont le secret. Un album de Coheed and Cambria ne se fixe aucune limites, et j’ai passé un coup de fil à Claudio pour m’en assurer.
Noisey : J’ai toujours été curieux de savoir à quel moment tu avais songé à devenir écrivain ?
Claudio Sanchez : Probablement quand j’ai commencé à écrire des lyrics. J’ai toujours eu la fibre créative, j’étais assez solitaire et timide alors je la gardais pour moi. Je vivais dans ma propre tête, même quand ma femme me parlait, tout d’un coup elle lançait un truc sans aucun sens. Et je répondais « hein ? » J’étais perdu dans les méandres de mon esprit, à penser à autre chose. Elle me surprend tout le temps. Mais je pense que c’est surtout lié à ma jeunesse, quand j’essayais d’imaginer des scénarios tout le temps, peu importe les ressources que j’avais. Que ce soit avec des figurines, des dessins ou autre. J’avais toujours cette imagination liée au storytelling. Je crois que l’idée de devenir écrivain est réellement née quand j’ai commencé à chanter dans le groupe et à écrire des paroles en tentant de créer des images plus élaborées. C’était difficile d’écrire sur moi et quand je le faisais, il fallait que j’installe cette façade derrière laquelle travailler.
On dirait que depuis le début, le groupe n’a cessé d’avoir une étiquette différente. Au début vous étiez catégorisés « emo », maintenant vous faites du « prog-rock ». Ça vous convient ?
Jamais. Mais c’est OK, je m’en fous. J’ai toujours voulu que le groupe progresse et finalement, si les étiquettes ont évolué aussi, ça veut dire qu’on était peut-être sur la bonne voie. On est un groupe de rock, et on a souvent tendance à franchir les limites. Mais sinon ouais, une part de moi est à l’aise avec le fait de se dire qu’un jour, on nous étiquettera simplement comme un groupe de rock.
Dans le clip de « You Got Spirit Kid », le groupe entier retourne au lycée. Tu gardes quel souvenir de tes années lycée ?
Je me rappelle des trucs que me disaient mes parents. Et un truc en particulier, que mon père m’avait dit, et dont je me souviendrai toute ma vie tellement c’était drôle. Il le répète souvent quand ma femme et mes enfants sont dans les parages, « Je me souviens quand Claude a un jour décidé d’aller à l’école en robe. » Ce jour-là, mon père avait pris un congé et il était à la maison. Il m’avait interpellé, «Mais bordel, pourquoi tu vas à l’école en robe ?! » Et je crois que je lui avais dit un truc du type « Je vais faire bouger les choses. » [Rires] Et il avait répondu « Okay ! » Ça m’a marqué.
J’atais plutôt calme, ado. La musique représentait une grande partie de ma vie au lycée, je passais mon temps à jouer, en répète, etc. Avant de former Coheed, je partais à l’école avec une guitare sur le dos et un ampli dans la main et mes parents me demandaient « mais pourquoi tu vas à l’école avec ta guitare ?! » et je leur répondais « oh, c’est pour mon groupe de jazz. » Et c’était vrai. Mais un jour, j’ai bougé à Nyack, j’ai pris le bus pour Suffern, New-York. De là, j’ai pris le sentier d’Adirondack et je suis monté jusqu’à Woodstock. Et c’est là que le groupe a vraiment commenc. Parfois j’y restais une semaine. Mes parents étaient cool avec ça. On bougeait là-bas, avec un 4-pistes dans le sac et on enregistrait des démos.
Tu es une personne angoissée à la base ?
Oh que ouais. T’as pas idée ! Je suis une boule de nerfs. [Rires] Ce serait plutôt une question à poser à ma femme parce qu’elle pourrait te parler plus en détail de mon comportement. Mais ouais, je suis un mec anxieux. Je ne sais pas d’où ça vient. Moins j’ai d’interaction avec le monde, mieux je me porte.
Quand as-tu réalisé que tu étais un nerd ?
Quand on a commencé à me filer des pseudonymes je crois. Ils n’étaient pas mauvais hein, je crois qu’à l’époque on me surnommait « Spirit » parce que les gens savaient que mon truc c’était la spiritualité, etc. Je n’ai jamais pris ça comme un truc négatif. Bon, parfois, je me regarde dans la glace et je me dis « je ressemble à un monstre ! » C’était déjà le cas à 15 ans. [Rires] L’étiquette nerd ne m’a jamais dérangé, je pense que les gens avaient juste peur de moi, mon look était tellement freak. J’ai 37 ans et quand je vais dans un Toys R’Us, c’était le cas même avant d’avoir mons fils, je m’assure toujours que ma femme soit avec moi. Pourquoi ? Parce que je me dis toujours que sinon, quelqu’un va penser que je suis là pour voler leur enfant. Mais maintenant que j’en ai un, je peux y aller sans problème ! [Rires]
T’étais angoissé sur scène au début, ou est-ce que ça t’a finalement aidé d’être devant des gens ?
Tu sais, c’est plutôt marrant. J’étais nerveux c’est sûr et il y avait toujours cette électricité dans l’air. Voilà pourquoi j’aime avoir les cheveux longs, parce que ça me couvre le visage. Jusqu’au point où je ne vois rien d’autre que mes propres cheveux, c’est un rideau. Donc au début, quand j’avais les cheveux courts, il y avait cette nervosité et en même temps ce sentiment de confiance, d’être face aux gens. Tout semblait fictif pour moi. J’étais bien plus à l’aise sur scène que dans la vie de tous les jours. C’était mon moment, j’étais seul, même si j’étais accompagné de mes amis, je ressentais cette sensation d’être déconnecté et c’était une manifestation physique de mon imagination. Sur scène, je peux être qui je veux, je peux penser ce que je veux. Mais je ne peux pas échapper à l’oeil du public, et j’interagis avec eux jusqu’à un certain degré.
Je n’arrive pas à m’imaginer, à ce point de ta carrière, le moment où tu te demandes encore si toutes ces foules sont bien réelles.
Ouais, je préfère être devant beaucoup de gens que quelques uns, pour tout avouer. Parce quand il y en a peu, tu commences à déceler les personnalotés, dans les maniérismes que tu vois, et alors ça devient intime. Alors que quand tu joues devant une foule, tout devient un bruit de fond. Rien ne dépasse. Et je ne dis pas ça négativement, je ne veux pas que les fans ressentent ça. Mais leur énergie est ce qui nous nourrit, leur amour est cette sorte de puissance qui ondule, comme un battement de coeur, ça englobe tout et c’est de là qu’on tire notre force. Plus cette énergie se déploie, plus j’ai l’impression d’être puissant et vivant.
Qui était le Coheed pour toi quand t’étais ado ?
Si je devais choisir un artiste, déjà de deux choses : j’aime beaucoup sa musique et ça va être une réponse très classic rock et je ne veux pas qu’on se dise que Coheed est cette sorte de « classic rock bla bla bla »… mais je dirais Jimmy Hrendrix. Jusqu’à ce jour, j’ai singé tous ses gimmicks de scène. Le deuxième nom de mon fils est Hendrix, il y a un truc autour de lui, une connexion. Je ne sais pas de quelle teneur elle est exactement, mais j’ai l’impression que ça va bien au-delà de la musique. Et l’autre réponse serait les Beatles. J’aimais vraiment cette espèce de mythologie qui les entourait. Tout d’un coup, leurs albums avaient un double sens, comme la plaque d’immatriculation sur Abbey Road qui indique « 28If » qui était l’âge de Paul McCartney à l’époque. Et sur Sgt. Pepper, quand tu inverses la pochette, toutes ces petites parties qui n’ont peut-être rien à voir ensemble donnent un caractère mystique au truc, des idées et des concepts dignes des comics. Parce que tout ce qu’on trouve dans Coheed en termes de concept a aussi un double sens. De petites choses, comme l’idée que Heaven’s Fence est composée de 78 planètes. 1978 est mon année de naissance. Il y a des choses cryptiques comme ça et si tu fouines, tu peux reconstituer une vraie personne.
Hendrix est un choix évident. C’est marrant parce que durant une période où mon père voulait dévouvrir de nouveaux sons, je lui avais suggéré d’écouter Coheed & Cambria. On est allés à un concert sur la tournée Burning Star IV, et je lui avais dit « j’espère que ça te fera revivre un peu le truc » et après, il m’avait avoué « c’était exactement ça ! »
Oh, wow. Putain, ça m’en met la chair de poule. C’est le meilleur compliment possible. Ma découverte de Jimi Hendrix a eu lieu dans la voiture de mon père, sur le morceau « All Along The Watchtower », avec l’effet wah-wah sur le solo. J’étais là, « mais c’est quoi ce truc brodel ? » A cette époque, je ne voulais pas du tout monter de groupe. J’étais jeune. Mais ça m’avait suffisamment intrigué pour me poser la question, qui avait obtenu ou pas une réponse, peu importe. Depuis ce jour, je me réfère à lui, et tout ce que je fais sur scène est un hommage. Ok, on peut dire que je le copie ou le plagie, mais c’est vraiment dans l’espoir qu’un fan s’engage sur cette voix et établisse la connexion.
Est-ce que vivre à Park Slope, dans un appartement beaucoup plus petit que celui que tu avais à Upstate, a joué sur la composition de ce nouvel album ?
Un peu. « Island » est certainement un témoignage de cette nouvelle vie. J’ai en quelque sorte fixé une limite dans mon songwriting, sans la voir venir. Genre « Coheed doit écrire de cette manière ». Voilà pourquoi le disque est si différent des autres. J’ai réalisé le fait que mes voisins pouvaient m’entendre, et ça s’est infiltré dans ma cosncience, dans les textes et dans l’album en général. Je le considère comme un album solo, même si ce n’est pas ce que représente Coheed. Mais au bout d’un moment, ton environnement transpire forcément dans ce que tu fais. Le disque débute par le son du train Q qui arrive à Brooklyn, celui qu’on prend pour rejoindre Union Square ou aller à des rendez-vous dans le centre-ville. J’adore ce son. C’est ça le truc, je lutte tellement pour continuer à vivre dans cette ville que je l’aime encore plus. Je viens d’une ville de banlieue, je n’aime pas conduire. J’aime marcher, beaucoup, je marche toute la journée. Je marche du Manhattan Bridge à Central Park, juste pour avoir les idées claires. J’aime expérimenter la vie. C’est dur de sortir, de se confronter à l’énergie de la vie humaine et ça se reflète forcément dans la musique.
Tu aurais imaginé un jour écrire une chanson sur toi enfant ?
Tous les albums de Coheed sont très intimes, très cryptiques. Ils contiennent tous un point d’accroche dans la réalité et je les conçois comme ces éléments de fictions relatifs aux comics. Ils se transforment en expériences de la vie quotidienne, dès que j’écris sur quelqu’un de nouveau. Ma femme et moi collaborons sur toutes sortes de choses, on fait des comics ensemble, etc. Et on collabore dans la vie surtout.
La collaboration ultime !
Absolument, et peut-être que j’en ferai à nouveau l’expérience avec un second enfant, mais pour l’instant c’est le premier. Mon être est en métamorphose complète. Je veux que les gens sâchent où en est ma vie actuellement. Il est tellement génial, j’ai écrit « Atlas » avant qu’il naisse. J’avais déjà une idée à l’époque de ma future existence, je laissais ma femme et ma famille derrière moi pour partir en tournée, avec ce sentiment que ce que s’évader signifiait vraiment. Si j’étais sur la route avec ma femme, je n’aurais pas la sensation d’être parti. La maison voyage avec eux. Ils sont ma maison. Donc on peut aller n’importe où ensemble, je me sentirai toujours en sécurité et chez moi.
The Color Before The Sun sortira le 16 octobre sur 300 Entertainment et vous pouvez le pré-commander ici.
John Hill l’a fait, parce qu’il y croit. Il est sur Twitter – @JohnXHill