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Société

Le lendemain de l’apocalypse : que font les prophètes de fin du monde quand le monde ne finit pas?

Que font les prophètes de fin du monde quand le monde ne finit pas?

On a vraiment de la chance. Dans le dernier siècle seulement, on a survécu à 20 fins du monde. La dernière en date a eu lieu l'an passé : le 7 octobre, le monde devait être détruit par les flammes et la majorité de l'humanité réduite en cendres.

Ce joyeux message d'intérêt public avait été livré par Chris McCann, chef d'un groupe religieux de Philadelphie, eBible Fellowship. « D'après ce que dit la Bible, il semble que le septième jour d'octobre soit le jour dont nous avait parlé Dieu, le jour où le monde disparaîtra », avait-il prophétisé au Guardian.

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Bien sûr, le 7 octobre a été une journée normale : pas de feux de l'enfer qui carbonisent la Terre, pas d'antéchrist qui passe chercher les mauvaises âmes pour les jeter en enfer, température dans les normales de saison.

Pour beaucoup, ces prédictions ratées sont parfaites pour alimenter le fil Twitter ou Facebook : des milliers de personnes blaguent, passent à autre chose, oublient. Mais pour ceux qui ont fait leurs adieux à leurs proches et se sont ensuite rendu compte que le jour où le Seigneur les rappelait enfin à lui n'était pas encore arrivé, ce n'est pas aussi simple d'oublier. Qu'arrive-t-il à ces croyants? Comment vivent-ils à la suite d'une prédiction très publique ratée?

Le retour du Christ, comme tout bon party, exige beaucoup de préparation. D'abord, il faut l'annoncer. En 2011, le prédicateur Harold Camping s'est servi de sa station de radio, Family Radio, pour annoncer la date de la prochaine fin du monde : le 21 mai. Puis l'a changée pour le 21 octobre. Jour où, encore, les feux de l'enfer ont brillé par leur absence.

Ensuite, selon la volonté du prédicateur, il y a un exercice de fin du monde. David Berg, fondateur du mouvement religieux Children of God (marque de commerce changée pour The Family International après une série de controverses et d'allégations de mauvais traitements à l'endroit d'enfants de la secte), s'est beaucoup investi pour préparer ses fidèles aux différents événements apocalyptiques qu'il avait prévus.

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Flor Edwards, quand, enfant, elle faisait partie du mouvement Children of God

Flor Edwards a grandi avec les Children of God dans les années 80 et 90. Je lui ai écrit peu après la prédiction ratée de Chris McCann pour l'interroger sur la vie avant et après une fausse prophétie. Elle m'a qu'au cours de la préparation pour la fin du monde, les hommes du camp où elle vivait se glissaient dans sa chambre pendant la nuit.

« L'établissement du Royaume de Dieu serait précédé des Derniers Jours. Les hommes qui entraient dans ma chambre faisaient partie de l'armée de l'antéchrist », pense-t-elle, expliquant que ces hommes armés de bâtons et d'armes à feu imitaient cette supposée armée.

Je lui ai dit que la perspective de mourir si jeune devait avoir été terrifiante. « Bien entendu, c'était terrifiant. Nous pensions que nous allions être sauvées, mais avant nous devions franchir la mort, et peut-être que nous allions faire face à un destin de martyrs. Quand le jour est venu [en 1993, année de l'apocalypse attendue], j'étais une préadolescente. Je n'avais plus peur de la mort. »

Inévitablement, un groupe qui se réveille au lendemain d'une prophétie ratée doit affronter plusieurs obstacles : en priorité, parler de l'éléphant apocalyptique dans la pièce. On doit cependant se souvenir que Dieu ne se trompe jamais : une erreur de date de fin du monde est seulement une erreur humaine. (Deutéronome 18:21-22 : Comment connaîtrons-nous la parole que l'Éternel n'aura point dite? Quand ce que dira le prophète n'aura pas lieu et n'arrivera pas, ce sera une parole que l'Éternel n'aura point dite. C'est par audace que le prophète l'aura dite : n'aie pas peur de lui.)

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Ça ressemble à une excuse facile, mais il ne s'agit que d'une erreur du prophète, qui doit retourner à sa Bible et trouver d'autres indices qui lui révéleront la vraie date de la fin du monde. Même si beaucoup — dont l'apôtre Matthieu, qui ouvre le Nouveau Testament — assurent qu'il vaut mieux ne pas s'y risquer. (Matthieu 24:36-44 : Quant au jour et à l'heure, personne ne les connaît, pas même les anges du ciel, ni même le Fils : mon Père seul les connaît.)

Après, c'est l'heure des relations publiques. Comme admettre qu'on s'est royalement planté mettrait en péril le groupe, de nombreux prophètes choisissent de simplement remettre le jugement dernier à plus tard, tout en prenant bien soin de rester vague sur la date. Selon Flor, quand 1993 s'est terminée sans une seule fin du monde, le fondateur de Children of God, David Berg, a envoyé aux fidèles une infolettre avec un titre plutôt imprécis : « Ce pourrait être cette année ».

J'ai demandé à Flor si ce moment-là a marqué le début de la fin pour le groupe. « C'était certainement le début de la fin. On se sentait un peu humiliés parce que les prédictions du prophète ne se réalisaient jamais. C'était la pilule la plus difficile à avaler pour la plupart des fidèles. »

C'est là que des familles, comme celles de Flor, abandonnent. Après 1993, David Berg a insisté pour partir de Thaïlande, où le groupe s'était installé, et retourner aux États-Unis, pour continuer d'évangéliser. Mais ils en ont eu assez. « Vous devez comprendre que le père David n'a pas révélé ses idées aux fidèles dès le début. Au commencement, c'était une sorte de mouvement hippie un peu naïf avec des gens qui veulent bâtir un monde meilleur. »

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Mais, si certains décident de partir, il y en a toujours plus qui restent. Les fidèles ne perdent pas facilement la foi. Comme Abraham, beaucoup d'entre eux croient que Dieu les met à l'épreuve. Chaque échec est une occasion de montrer leur loyauté. Alors ils continuent : porte-à-porte, prosélytisme et prières avec encore plus d'intensité. Il y aura toujours une nouvelle date de l'établissement du Royaume de Dieu, car s'il n'y a rien à espérer le mouvement s'effondre. Le moindre espoir, aussi vague soit-il, permet au prophète de continuer sans trop problème.

Harold Camping en est un exemple : il a annoncé six fins du monde sans qu'on l'accuse d'être un imposteur, et même après sa mort sa Family Radio continue de diffuser.

Chris McCann est lui-même un de ceux qui ont suivi les enseignements de Harold Camping. Son eBible Fellowship — qui selon lui n'est pas une Église, mais une organisation en ligne (même s'il y a des rassemblements mensuels) — a conservé un grand nombre de fidèles après la mauvaise prédiction.

Le eBible Fellowship n'a pas accepté de me parler pour cet article. J'ai demandé par courriel ce qui se passe quand le monde ne finit pas et on m'a répondu : « J'ai bien peur que nous ne soyons d'aucun intérêt pour votre article. Nous nous tournons simplement vers la parole de Dieu, la Bible, et nous continuons à étudier. C'est tout. »

Les Quatre Cavaliers de l'Apocalypse de Viktor Vasnetsov. Source : Wikipedia

Par contre, on peut lire sur leur site Web, oct7thlastday.com : « eBible Fellowship a commis une erreur en ce qui a trait à la date précise de la fin, mais nous ne commettons pas d'erreur quand nous annonçons que la fin arrivera bientôt. Le monde voit dans une erreur de date une sorte de victoire et célèbre comme s'il n'y aurait jamais de fin. Pourtant, la vérité, c'est que le monde agonise. C'est seulement une question de temps. » À ce jour, le taux de réussite des prédictions de la date de la fin du monde est de zéro pour cent. Mais, comme me l'explique Lorenzo DiTommaso, professeur de théologie à l'Université Concordia, ces prophètes de la fin des temps n'ont pas simplement eu une illumination : c'est une vision du monde ancrée profondément en eux. « Une personne ne change pas de croyance comme on achète un fruit à l'épicerie. » La relation entre une personne et sa religion est complexe et tend à perdurer. D'autres dates de fin du monde seront annoncées et acceptées. Bien qu'il soit facile de juger ceux qui croient avec tant de ferveur, même devant tant d'antagonisme social, peu d'entre nous peuvent affirmer ne jamais avoir cru à une absurdité : j'ai déjà dépensé 27 $ pour quelques affiches de Kony 2012, pensant contribuer à influencer les décisions d'un groupe de guérilleros ougandais. Embarrassant après coup, mais j'ai survécu. Et malgré toutes les prédictions de fin du monde de ces prophètes, il semble que leurs fidèles, eux aussi, survivront.

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