Culture

Au cœur de la prise d’assaut d’un village du Midwest par des néonazis

Le SWAT débarque dans la ville de Leith. Toutes les photos sont tirées du documentaire « Welcome to Leith »

Que se passe-t-il quand des suprémacistes blancs armés rencontrent des villageois apeurés au cœur d’une bataille pour le contrôle d’un petit village dans le Dakota du Nord ? C’est le sujet exploité par le documentaire Welcome to Leith, filmé sur une période de huit mois entre 2013 et 2014.

Réalisé par Michael Beach Nichols et Christopher K. Walker, Welcome to Leith met en scène la tentative du suprémaciste blanc Craig Cobb de prendre le contrôle du village de Leith, dans le Dakota du Nord (24 habitants, enfants inclus), en y achetant des propriétés et en exhortant ses partisans à le rejoindre, en faisant fi de quiconque se trouverait sur son chemin.

Les tensions se sont exacerbées lorsqu’une patrouille armée – menée par la tignasse blanche de Cobb et son « associé » Kynan Dutton, un vétéran d’Irak arborant une moustache hitlérienne – a fait irruption parmi les locaux. « Putain d’enfoirés de youpins », a crié Cobb, fusil d’assaut à la main. « Est-ce que je vous ai tiré dessus ? » Finalement, le bureau du shérif est intervenu et a arrêté Cobb, qui a reconnu cinq délits mineurs et le fait qu’il avait terrorisé les villageois devant le tribunal, avant d’être expulsé de Leith.

Un extrait du documentaire Welcome to Leith :

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Le documentaire commence par l’interruption des réunions du Conseil Municipal anti-suprémacistes de Cobb, puis les affrontements et les retombées pénales. Nichols et Walker nous font plonger dans un monde où suprémacistes et locaux se battent pour le contrôle d’un petit village du Midwest, avec racisme et violence armée au centre du débat. En incorporant des éléments empruntés aux westerns et aux films d’horreur, Nichols et Walker ont réalisé un documentaire poignant, esthétique et terrifiant, qui ressemble beaucoup à un film de genre – avec des moments de désolation, une narration haletante et un minimalisme bluffant.

J’ai rencontré Nichols et Walker pour leur demander ce qui les avait amenés à Leith, la rencontre du documentaire et de l’horreur et ce que ça faisait de rencontrer « l’un des racistes les plus célèbres au monde ».

Craig Cobb en train de poser avec une photo d’Adolf Hitler et deux garçons. Photo : Josh Simpson, publiée avec l’aimable autorisation de Michael Beach Nichols et Christopher K. Walker

VICE : J’ai lu quelque part que vous aviez appris ce qui se passait à Leith en lisant un article du New York Times. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans cette histoire ?
Michael Beach Nichols :
C’était une histoire très étrange, et ça se produisait dans une toute petite ville. En tant que cinéastes, ça nous a semblé être une bonne opportunité pour filmer. En plus, nous pouvions parler aux gens. Ça paraissait tellement minuscule que documenter l’intégralité du conflit semblait tout à fait réalisable.

Je suis déjà allé dans le Dakota du Sud, alors je savais à quoi la région ressemblait : c’est assez bluffant visuellement. De plus, c’est assez rare de voir un « gentil » et un « méchant » dans un documentaire. C’est ce que nous avons essayé de dépeindre de plusieurs manières différentes. Bien entendu, nous ne faisons pas seulement du manichéisme – personne n’est vraiment héros, ni méchant – mais il y a de ça dans l’histoire.

[Christopher] m’a envoyé l’article par email ; je me suis directement demandé si Cobb nous parlerait. Petit à petit, notre curiosité s’est transformée en l’envie de faire ce film – à condition qu’il accepte et qu’il y ait deux versants à cette histoire. On a tous vu des documentaires sur des mecs qui croient en la suprématie de la race blanche, mais ils sont tout le temps biaisés, et on ne les entend jamais donner leur opinion.

Christopher K. Walker : Ou bien on n’entend qu’eux.

Nichols : Ou des experts qui nous expliquent pourquoi ces mecs sont racistes. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a un peu de ça, mais il faut aussi remettre les choses dans leur contexte.

Kynan Dutton, Craig Cobb et Debra Thompson patrouillent dans « Welcome to Leith ». Photo : Gregory Bruce

Vous avez décrit Welcome to Leith comme une « sorte de western ». Le film est tellement bien structuré que j’avais l’impression qu’on se dirigeait irrémédiablement vers un conflit final, comme dans un western – ou même un film d’horreur. C’était important pour vous d’ajouter un aspect dramatique et de la tension à votre documentaire ?
Nichols :
Je crois que c’était inévitable. Pour en revenir à ce que je disais sur le fait qu’on pouvait tout documenter, quand nous sommes arrivés, les gens nous ont montré ce qu’ils avaient filmé depuis le début des événements. Ils voulaient vraiment partager ça afin de nous montrer qu’ils étaient victimes de la situation [quel que soit leur camp].

Walker :
Le processus de postproduction a été très naturel ; tout était présenté chronologiquement, ce qui est assez rare dans un documentaire.

Nichols :
Après notre premier voyage là-bas, nous voulions utiliser une narration comme dans les films d’horreur ou les westerns, pour en faire une sorte de film de genre, car c’est comme ça qu’on le voyait. On a utilisé une glidecam, et une perspective à la Evil Dead pour la scène de patrouille, pour donner cette impression de flottement et de glissement qui fout vraiment les jetons.

Walker :
On aime beaucoup ce type de scène dans les documentaires, où l’esthétique remplace la logique. C’est bien qu’on ait pu utiliser ce genre de technique pour ce film.

Quels sont les cinéastes qui représentent ce mouvement selon vous ? Et ceux qui vous ont le plus influencé ?
Nichols :
Je pense que les films des frères Ross se rapprochent de la réalité. On aime beaucoup cette idée de la vérité sensorielle plutôt que celle où chaque fait doit être étalé devant nous. On est plus attirés par l’ambiguïté et la vérité émotionnelle que la vérité didactique.

Au début, on a essayé de bosser comme Errol Morris : en faisant des interviews où l’on peut voir tout ce qui nous entoure. Mais on n’avait aucune idée de ce à quoi nous allions aboutir. Ensuite, tout est arrivé très vite et c’est devenu un film documentaire. Mais en post prod, on s’est dit tacitement : « OK, on va le faire démarrer comme un documentaire standard, avec des interviews et des types qui expliquent. » Après une dizaine de minutes, ça s’est complètement dissous. À part, j’imagine, quand Cobb finit en prison.

L’écrivain du Southern Poverty Law Center décrit Leith comme un « endroit idéal pour filmer The Walking Dead ». L’horreur était un élément important pour vous deux sur le film ?
Nichols :
Oui, l’aspect « horreur » s’est manifesté naturellement, en particulier dans les B-roll. Ce qui a fortement contribué, c’était plus la manière dont on a filmé ce paysage désolé et abandonné. Quand on est arrivé pour la première fois, on est tombé dans un fossé alors qu’on allait interviewer le maire – on est restés bloqué au moins trois heures. On ne savait pas où on était, alors on l’a appelé pour qu’il vienne nous sortir de là. C’est comme ça qu’on a découvert qu’on pouvait très vite se retrouver dans la merde et attendre une éternité avant de se faire aider. C’est d’autant plus vrai pour les gens qui y vivent. Ils avaient l’impression que la police mettrait longtemps avant d’intervenir, il n’y avait pas beaucoup de policiers, alors ils ont pris les choses en main.

Nous voulions vraiment faire ce truc un peu 1970s, contrôlé, avec des push-ins lents, des mouvements de va-et-vient au ralenti, presque comme dans House of the Devil de Ti West. Sans oublier la glidecam, très Sam Raimi. Nous étions vraiment excités à l’idée d’essayer tout ça : c’était terrifiant parce qu’on avait cette impression de POV.

Walker : C’était une énorme part du boulot. Une fois dans le feu de l’action avec les gens, c’était réel. Quand on pouvait contrôler une situation – du moins en ce qui concerne la manière de filmer – on essayait de la rendre angoissante. Ce n’était pas difficile.

Le maire de Leith, Ryan Schock, et sa femme Michelle. Photo : Michael Beach Nichols

Il y a un moment génial, quand Craig Cobb se vante d’être « l’un des racistes les plus connus au monde ». Qu’est-ce que ça vous a fait de le rencontrer pour la première fois ?
Nichols :
Je lui ai passé un coup de fil avant qu’on se rende sur place, pour savoir s’il était prêt à nous parler. On anticipait un refus, mais au téléphone, il était très cordial. Il nous a dit qu’il allait être absent lors de notre première visite, mais il était intéressé pour nous parler plus tard. Mais une semaine après, il y a eu cette fameuse patrouille [où Kynan Dutton et lui se sont fait arrêter]. Quand nous l’avons vu pour la première fois, c’était derrière une vitre, en prison. Il paraissait choqué, faible ; il était très poli et respectueux, bizarrement.

Il était aux antipodes de la personne que nous avions connue à travers les vidéos et articles qui circulaient sur lui – ce type qui cherchait sans cesse l’affrontement et était tout le temps au front. Cette facette n’a pas été très probante quand nous l’avons interviewé en prison, mais nous en avons vu des traces une fois qu’il a été relâché.

Pendant que vous faisiez ce film, y a-t-il eu des choses qui vous ont surpris concernant Cobb, son état d’esprit et ses partisans ?
Je crois que nous ne nous attendions pas à cette victimisation. On dirait que les mouvements suprémacistes sont construits autour de l’idée que la culture blanche est progressivement remplacée, jusqu’à ne plus être majoritaire. Ils veulent protéger leur culture. C’était intéressant, parce que je m’attendais à entendre la même vieille rengaine sur l’esclavage et la soumission aux blancs, mais à la place, j’ai entendu ce truc défensif.

Je pense qu’ils réussissent à rameuter plus de gens en utilisant cette approche qui dit : « Non, nous ne sommes pas animés par la haine – nous sommes un mouvement civil blanc. Nous voulons juste protéger nos familles et être séparés des minorités. » Le truc fascinant à propos du séparatisme, c’est qu’ils veulent qu’on les appelle « séparatistes blancs », pas « suprémacistes blancs ».

N’avez-vous pas eu peur que les habitants de Leith comme Lee Cook et le maire Ryan Schock soient pris pour cibles par Craig Cobb, Kynan Dutton et leurs sympathisants ?
Nichols :
Ryan est venu avec sa famille à Sundance [Festival] et Lee Cook et sa famille ont aussi vu le film. Sur Internet, ils se sont effectivement faits insulter par des suprémacistes blancs, juste parce que Cobb a été arrêté puis jeté en prison. Après, est-ce que le film les a exposés à plus d’abus ? Je pense que oui. Malheureusement, je pense qu’il existe des suprémacistes dans le pays qui n’ont pas entendu parler de cette histoire. Ça a pris tellement d’ampleur que je m’attendais à ce que tout le monde en ait entendu parler, mais je suis sûr que le film va influencer des gens qui n’ont peut-être pas entendu parler de l’histoire, et ils seront contrariés par ce qui s’est passé.

Ça fait toujours peur de montrer le film à des gens qui y figurent. Cobb ne l’a toujours pas vu, ni Kynan d’ailleurs. Ça arrivera éventuellement, quand nous retournerons à Bismarck pour montrer le film.

Comment pensez-vous que ça se passera ?
Nichols :
Je suis certain que des gens seront frustrés à cause du temps accordé à Cobb et à Dutton dans le film. Je pense que ça va déclencher une réaction de la part des locaux qui ont vécu ça. Ils n’auraient pas tort de nous accuser de lui offrir une plate-forme pour s’exprimer. Nous, on voit plutôt ça de la manière suivante : « Vous devez savoir qu’il existe des types comme ça et ce qu’ils pensent. » L’information est bien plus puissante que la stigmatisation idéologique. Aussi, ça amplifie l’expérience des locaux, ce qu’ils ont vécu.

Vous pensez que Cobb et Kynan aimeront ce film ?
Nichols :
Oui, je le pense. Ils seront reconnaissants que nous les ayons laissés parler. Beaucoup de cinéastes n’auraient pas fait ça. On a fait de notre mieux pour ne pas utiliser de musique flippante et sinistre, au risque d’effacer le naturel du discours de Cobb et Kynan. Visuellement et idéologiquement parlant, c’était déjà assez terrifiant.

Ce film est quand même en phase avec l’actualité, non seulement à cause du massacre de Charleston et de la violence des suprémacistes blancs, mais aussi parce que les citoyens n’hésitent pas à filmer avec leurs portables, tablettes et ordinateurs. En quoi l’accès à la technologie a-t-il influencé votre procédé ?
Walker :
Nous n’aurions pas pu faire ce film sans, tout simplement. Ce n’est pas quelque chose que nous recherchons en particulier, mais ça nous aide beaucoup à combler les trous…

Nichols : Chris et moi sommes seulement deux. Nous allons quelque part et filmons. Bien entendu, les gens ne sont pas assez naïfs pour penser que tout se passe comme si nous n’étions pas là. On influence ce que l’on filme. Quand les gens documentent eux-mêmes, ce qui est devenu constant, l’influence est moindre, puisque l’on s’y est habitué. Ce type d’amateurisme est ce qu’il y a de plus proche de la réalité. C’est pourquoi les « found footages » des films d’horreur sont terrifiants. Vous visionnez des trucs qui sont clairement faits dans le feu de l’instant et avec peu de moyens : ça paraît plus réel. C’est aussi plus flippant, d’une certaine manière. Ça nous a permis d’obtenir des scènes qui, si nous les avions faites nous-mêmes, auraient été impossibles à filmer.

C’est une question un peu idiote, mais que pensez-vous que vous auriez fait si vous aviez dû les filmer ?
Nichols :
Je suis content que nous n’ayons pas eu à prendre cette décision. Nous aurions filmé, mais nous aurions sûrement été mal à l’aise, tant par les événements que par le processus de postproduction. Nous nous serions questionnés en filmant un truc comme ça. Serions-nous devenus de simples accessoires ? Heureusement, tout ça a été filmé pour nous.

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