Confinement retour à la vie
Photo avec l'aimable autorisation des personnes interrogées. 
Life

À la fin du confinement, l'étrange retour à la vie

« Je n’avais plus l’habitude de porter des chaussures et de croiser des inconnus. »

En juin 2020, après des mois de confinement strict, le gouvernement argentin a annoncé un assouplissement des restrictions à Buenos Aires, où je vis. Tout d’un coup, nous avons eu le droit de nous déplacer dans un rayon de 500 mètres autour de chez nous.

Ce jour-là, j'ai enfilé les bottes que je n'avais pas portées depuis des mois et je me suis aventurée dehors, pleine d'espoir. Mais au bout de quelques pâtés de maisons, mes jambes se sont tendues. Je n’avais plus l’habitude de porter des chaussures et de croiser des inconnus. Je me suis dégonflée et j’ai fait demi-tour.

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En fait, le confinement me saoule

Il est difficile d'imaginer de devoir réapprendre des choses pourtant élémentaires comme les marques d’affections et les sorties entre amis. Voici les histoires de quatre personnes qui ont été surprises par leur corps alors qu'elles se trouvaient dans des situations autrefois ordinaires.

Pedro, le foot

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Le foot manquait à Pedro, mais il avait peur de retourner sur le terrain.

En temps normal, Pedro adore jouer au foot. Il participe à des compétitions tous les week-ends, s'entraîne souvent avec ses amis et annule n’importe quoi pour un match. Et le plus important : il marque des buts.

Mais lorsque le confinement est arrivé, la promenade au supermarché tous les quelques jours est devenue sa seule activité. Il n'avait jamais passé autant de temps hors du terrain, et lorsque les premières invitations timides sont arrivées pour reprendre les matchs, il a flippé. Pas parce qu’il avait peur du Covid, mais parce qu’il avait peur de se ridiculiser.

Lors de son premier match de retour, il était anxieux. « Mon corps connaissait les mouvements et s'en souvenait. Mais j'ai dû faire de mon mieux pour ne pas courir comme un chiot sur le terrain pendant les premières minutes. J'ai demandé le ballon, j'ai pivoté, j'ai eu quelques bleus et j'ai même marqué un but en début de match », dit-il.

Mais dix minutes plus tard, il ne pouvait plus respirer. Le fait d'être si longtemps sans bouger avait causé des dégâts et ses poumons ne pouvaient pas supporter l'effort. En l'absence de remplaçants, il a décidé de finir le match en marchant et a quand même réussi à marquer quelques buts. 

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En s'étirant par la suite, il a demandé à un coéquipier qui ne semblait pas essoufflé si son premier match de retour avait été aussi mauvais que le sien. « C’était pareil, voire pire, lui a-t-il répondu. Avec le temps, tu vas retrouver ton souffle, ne t'inquiète pas. » Pedro n’en doute pas, mais il n'est toujours pas retourné sur le terrain.

Catalina, les relations sexuelles

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Le confinement de Catalina a été marqué par la frustration sexuelle.

Catalina vit seule dans le centre de Buenos Aires. Avant la pandémie, elle passait la plupart de son temps libre à se balader et aller à des fêtes avec des amis ou des amants. Après quelques semaines de confinement, elle a remarqué qu'elle avait une envie folle de sexe. Au fil du temps, la situation s'est aggravée et elle a eu l’impression de devenir folle.

Désespérément en manque de contact physique, elle a commencé à fantasmer sur les quelques hommes qu’elle avait croisés. D'abord, il y a eu le type qui est venu réparer son Internet. Ensuite, celui qui l'a servie au supermarché.

« Tous les deux ou trois jours, je descendais au magasin et il était là, dit-elle. Ce n’est pourtant pas quelqu’un que j'aurais regardé avec un quelconque intérêt sexuel en temps normal. »

Lorsque les restrictions ont été assouplies, Catalina a rouvert son compte Tinder. Après quelques tentatives infructueuses, elle a rencontré un mec qu'elle aimait bien. Mais quand le moment de conclure est arrivé, elle s'est sentie désorientée. Elle avait oublié comment on faisait.

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« J'ai compris que ce n'était pas d'un orgasme dont j'avais besoin, parce que je peux me faire jouir toute seule, mais d'un million de baisers et de caresses », dit-elle.

Paula, la scène

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Paula Maffía a dû annuler tous ses concerts. Photo : Fer García (@phfergarcia).

Paula avait prévu de donner une vingtaine de concerts le mois où le confinement a été mis en place. Forcée de tout annuler, la musicienne a décidé de tenter sa chance sur Instagram Live, mais comme beaucoup d'expériences de quarantaine, cela n'a pas duré longtemps. En janvier 2021, les restrictions ayant été assouplies, elle a organisé son tout premier concert sur un terrain de football.

« Nous, les musiciens, nous sommes un peu comme des athlètes : nous faisons travailler toutes sortes de muscles et nous pouvons avoir des crampes, des engourdissements ou des blocages », dit-elle.

Elle a essayé de rééduquer son corps avec des vocalises et des exercices pour délier les doigts à la guitare. Ses doigts avaient perdu leurs callosités et l'avant-bras qui lui servait à tenir l'instrument contre son corps s'était affaibli. 

« Le jour de la représentation, la peau de mes doigts pelait, se souvient-elle. J'avais perdu cette proximité quotidienne que vous créez avec l'instrument. »

Maintenant qu'elle se prépare pour une tournée, elle essaie de renforcer ses doigts en limant la peau, dans l'espoir d'encourager les callosités à repousser. 

Karen, les massages

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Karen a soulagé plus que les douleurs physiques de ses clients lorsqu'elle a repris le travail.

Dans un contexte de pandémie, être touché est devenu un privilège que certaines personnes n'avaient pas connu depuis des mois. Karen le savait lorsqu'elle a rouvert son salon de massage, mais elle a tout de même été choquée par l'état de ses clients à leur retour. Pâles, raides et terriblement endoloris, avec des omoplates enflées et surélevées à force d’être assis devant l'ordinateur toute la journée. « C’était comme si leur corps était suspendu à un cintre », dit-elle.

Selon Karen, le massage ne cible pas seulement la douleur physique, il explore ce que notre corps essaie de nous dire. Et la pandémie n’a pas seulement affecté notre posture. La peur, les nerfs, la fatigue et l'ennui ont tous trouvé des recoins où s'installer. En se massant à nouveau, Karen a commencé à ressentir cela dans son propre corps également.

« J'ai commencé à avoir des crampes et à ressentir plus de douleur. Mais encore plus surprenant : je perds beaucoup d’eau, dit-elle, ajoutant que la sueur est un moyen de libérer les blocages émotionnels. Je pleure et je transpire énormément. C'est vrai aussi pour mes clients. Depuis que je suis de retour au travail, presque tous mes patients pleurent au premier contact. »

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