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Bruce Pavitt n’a pas besoin de lire les bouquins pénibles sur le grunge : il y était



Vous ne connaissez pas forcément Bruce Pavitt, mais vous connaissez fatalement Sub Pop, le label qu’il a créé dans les années 90, et qui -faut-il vraiment le rappeller- a hébergé des groupes tels que Soundgarden, Mudhoney, Tad et Nirvana. Bruce ne s’occupe désormais plus de Sub Pop à plein temps, mais il a signé en novembre dernier un livre de photos intitulé Experiencing Nirvana : Grunge in Europe 1989, publié par Bazillion Points, Le livre suit Nirvana, Tad et Mudhoney sur leur première tournée européenne, et si vous suivez régulièrement Noisey, vous avez sûrement vu les photos que nous avons publié quelques semaines avant la sortie du livre.

J’ai appelé Bruce pour lui demander le pourquoi de ce livre à cet instant très précis, et accessoirement, parler de musique et des années 90, vu que c’est un type atrocement cool.

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Noisey : Salut Bruce. Tout d’abord, pourquoi avoir fait ce livre ?
Bruce Pavitt : La fin des années 80 était une période incroyable pour la scène de Seattle. Le niveau d’intensité émotionnelle que les groupes exprimaient était incroyable. Je trouvais que c’était le moment de partager ces souvenirs.

T’as pensé quoi de The Oral History of Grunge ?
Pour être tout à fait franc, je ne l’ai pas lu.

Vraiment ? En même temps, je ne vois pas trop ce que ça t’apporterait, vu que tu y étais.
Exactement. Et puis j’ai pris pas mal de recul avec tout ça après la mort de Kurt. Ce n’est que depuis l’année dernière que j’ai commencé à revisiter cette époque.

Qu’est-ce qui t’a fait y revenir ?
Je regardais de vieilles photos avec Dan Burke, un vieux pote à moi, et on s’est rendu compte qu’il y avait une histoire là dedans. Et en partant de là, tout s’est très vite emboîté. Ce n’est pas juste une simple collection de photos.

Tu penses quoi de toutes les biographies, rééditions, et documentaires sur Kurt Cobain ?
Kurt et moi étions amis. Tout cette bande de losers de Seattle qui a conquis le monde et l’a retourné, on était tous potes. C’était une grande famille, une communauté. On est sortis de nulle part et on a changé le visage de la musique populaire. Le talent de Kurt a explosé de façon exponentielle. Je pense qu’aucun des livres qui ont été publiés sur le sujet ne capture vraiment la camaraderie, la sincérité ou l’innocence qui sont à la base des années pré-célébrité de Nirvana.

C’est à ça que tu voulais remédier avec Experiencing Nirvana ?
Oui. Ce livre montre un monde de petits clubs, de vans pourris, de showcases devant 3 ou 4 personnes, de discussions avec les fans, de conneries avec le crew. Tout était déjà là, mais ce n’était pas encore scruté au microscope par les médias.

Oui, tu n’as pas une thune, mais au moins tu n’as personne sur le dos. C’est une telle liberté.
Putain, ouais. Et puis tu te réveilles un jour et tu es la rock star la plus célèbre du monde. Ta vie telle que tu la connaissais est terminée.

Comment Kurt a géré la célébrité ?
Même s’il s’énervait pas mal sur scène, Kurt était un type très sensible. Rien à voir avec le chanteur de Skid Row et son T shirt « AIDS Kills Fags Dead » Bien sûr, avec la célébrité, son public est devenu plus mainstream. Mais je pense que Nirvana a aidé à changer pas mal de choses dans la culture rock. À la fin du livre, il y a une interview de Kurt pour Rocket, dans laquelle il dit aimer les groupes « mignons » genre Beat Happening, Pixies, Shonen Knife et les Vaselines. Ce n’était pas courant d’admettre ça à l’époque.

Pour l’anniversaire de In Utero, on m’a demandé d’écrire une nouvelle basée sur « Rape Me ».
Tu as entendu parler de l’histoire de ces deux « fans » qui ont violé une fille en écoutant cette chanson ? Kurt en a vachement souffert.

Non, j’ai jamais entendu cette histoire…
C’est un truc qui circulait pas mal a l’époque.

C’est horrible.
Après qu’il soit devenu célèbre, Kurt a fait la couverture de Advocate. Il en a profité pour parler des droits des femmes et des gays. C’était son interprétation du punk.

Tu penses que Nirvana existerait toujours si Kurt était encore vivant ? Tu penses parfois au fait que les choses auraient pu se passer différemment ?
Question piège. Les membres du groupe s’entendaient très bien entre eux et avaient énormément de respect les uns pour les autres. Mais leur relation était constamment mise à mal par une autre personne dont je tairais le nom.

Comment tu vois la façon dont a évolué Sub Pop ? Quelles étaient tes intentions quand tu as lancé le label ?
Mon but était de soutenir la scène locale, tout en prenant en compte et en respectant les autres scènes (notamment via le Singles Club). J’ai toujours été plus fasciné par l’alchimie entre les scènes, presque plus que par les artistes.

Qu’est ce qui te fascine là-dedans ?
La scène implique tout un tas d’éléments. Pas seulement des musiciens, mais aussi des illustrateurs, des graphistes, des producteurs, des boutiques, et des fans. Tout se recoupe ensuite, comme par magie. Seattle n’aurait jamais explosé sans les photos de Charles Peterson, par exemple. Probablement l’un des photographes de rock les plus brillants de tous les temps. Je pense que Sub Pop a plutôt bien évolué. On a réussi a rester dans le business, et on su rester constants, aussi bien en termes de quantité que de qualité. Tu as écouté Metz ?

Mec, j’ai fait une tournée avec eux, sur la côte ouest, en avril dernier. J’ai dragué Hayden à mort. C’était désespérant et hilarant à la fois.
[Rires] J’ai essayé de la draguer moi aussi. On a un truc en commun.

Si tu pouvais remonter le temps et signer ou lâcher un groupe, ce serait qui et pourquoi ?
Un groupe que je regrette ne pas avoir signé au début des années 90, c’est Stereolab. Leur album Mars Audiac Quintet est un chef d’oeuvre absolu.