Fusils d’assaut contre cailloux : une nuit avec les contestataires de Bujumbura

Il s’appelle Elvis et il se présente à nous comme le « chef des manifestants ». Il est environ 20h30 ce mardi soir, lorsqu’il vient nous chercher sur l’Avenue de l’Université à Bwiza, un quartier dans la moitié nord de Bujumbura, capitale du Burundi. « À cette heure-ci en temps normal, il y a beaucoup d’animation ici, » commence-t-il par nous dire. Pourtant, la plupart des commerces et des bars qui longent l’avenue ont fermé, par peur d’être visés par la police ou par les Imbonerakure, ces miliciens du parti au pouvoir dont on parle beaucoup ici et qui semblent terroriser les populations qui s’opposent à un troisième mandat du Président Pierre Nkurunziza.

Dans le quartier de Bwiza, nous commençons à suivre la patrouille qui, cette nuit, est composée d’une vingtaine de personnes. Pour se donner du courage, certains ont bu et ne cachent pas une certaine agitation.

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Depuis l’assassinat de Zedi Feruzi, chef d’un petit parti d’opposition, le samedi 23 mai, la situation dans le pays semblait figée.Les discussions entre l’opposition et le gouvernement étaient suspendues, mais elles devraient reprendre ce mercredi. Dimanche dernier, se tenait à Dar es-Salaam (en Tanzanie, pays frontalier du Burundi) une réunion des chefs d’État d’Afrique de l’Est. Ils ont préconisé un nouveau report, « d’au moins » un mois et demi « des élections, » une requête que le gouvernement semble prêt à accepter.

La “Patrouille de Bwiza”. Certains tiennent des pierres qui servent à ériger les barricades et à se défendre en cas d’attaque. (Capture d’une vidéo de Stéphane Puccini pour VICE News)

Cette proposition n’a pas calmé les manifestants qui réclament depuis près d’un mois et demi le renoncement du président, Pierre Nkurunziza, à un troisième mandat — une hypothèse qui n’a pas été abordée à Dar es-Salaam. Si l’on s’en tient au calendrier actuel, les législatives et communales devraient toujours se tenir ce vendredi, le 5 juin, et les présidentielles, le 26 juin. Un délai qui apparaît impossible pour nombre d’experts, d’autant plus que la vice-présidente de la Céni (Commission électorale nationale indépendante) a quitté le pays ce samedi, paralysant le fonctionnement de la commission. Le président de la Céni a annoncé que le nouveau calendrier électoral devrait être connu ce vendredi.

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Elvis nous présente aux membres de sa patrouille qui, chaque soir, arpentent les rues du quartier. Ce sont tous de très jeunes hommes, entre 15 et 25 ans. Certains tiennent de grosses pierres dans la main, « pour se défendre en cas d’attaque », disent-ils. « Pendant la journée, la police nous harcèle, pour éviter que nous nous rassemblions, mais la nuit, c’est nous qui faisons la loi ici », assure Elvis, le visage marqué par la fatigue. Nous avançons dans Bwiza, dans la pénombre, et franchissons les barricades érigées à la va vite par les manifestants pour empêcher toute personne étrangère au quartier de rentrer.

Les chefs d’État réunis à Dar es-Salaam n’ayant pas sommé Nkurunziza de ne pas se représenter, de violentes manifestations ont éclaté, ce mardi, dans tous les quartiers contestataires de Bujumbura. Certains observateurs sur place avaient relevé un possible essoufflement du mouvement contestataire la semaine passée, notamment le week-end dernier. Cette impression de fléchissement peut être expliquée par le durcissement de la répression. La police tirerait parfois en direction des manifestants et des renforts de police sont arrivés de la province vers la capitale. La peur des balles a obligé les manifestants à se déplacer en petits groupes dans les ruelles, plutôt que d’organiser des manifestations de masse.

Les membres de la patrouille arrêtent un taxi et le forcent à rebrousser chemin. (Capture d’une vidéo de Stéphane Puccini pour VICE News)

À Bwiza, la nuit est noire. Au croisement d’une rue, un taxi tente de s’avancer timidement mais les membres de la patrouille lui bloquent le passage et lui intiment l’ordre de faire demi-tour. « Souvent, les taxis transportent des Imbonerakure qui essaient de s’infiltrer parmi nous, c’est pour ça que nous les repoussons», nous explique Elvis. « Si tu veux continuer de vivre ici, il faut être d’accord avec nous, c’est-à-dire être contre le 3e mandat. Si ce n’est pas le cas, on te chasse du quartier ou bien tu changes d’avis et tu nous rejoins », poursuit-il.

Selon des militants du pays, cités par Reuters, au moins 30 personnes auraient trouvé la mort depuis le début des manifestations qui ont débuté le 26 avril. Le journal Le Monde rapporte de son côté les estimations d’un activiste qui fait le tour des hôpitaux de Bujumbura. Il donne le chiffre de 50 morts. Cette même source estime à 500 personnes, le nombre de blessés, dont la plupart par balles. La Croix-Rouge burundaise a arrêté de communiquer le moindre chiffre à cause de nombreuses intimidations. Plus de 800 personnes auraient été arrêtées depuis le début du mouvement de contestations. On compte aussi près de 70 000 personnes qui ont fui le Burundi, selon l’ONU, pour rejoindre soit le Rwanda ou la Tanzanie. Dans les camps de réfugiés tanzaniens, plus de 30 personnes auraient déjà trouvé la mort à cause d’une épidémie de choléra.

L’éclair d’un coup de feu, lorsqu’un policier tire en l’air pour disperser la patrouille. (Capture d’une vidéo de Stéphane Puccini pour VICE News)

La troupe de veilleurs de nuit continue de marcher en direction du marché de Jabe. Soudain, au niveau de la cinquième barricade, des coups de feu retentissent, à seulement quelques mètres de nous. C’est la panique. La vingtaine de manifestants se met à courir nous avec, dans tous les sens, tandis que des tirs de kalachnikovs résonnent. Le feu des fusils perce la nuit. Des policiers ont apparemment repéré les veilleurs de nuit et tirent en l’air pour les disperser. Certains trouvent refuge dans une cour, avec une dizaine d’habitants apeurés sur le pas de leur porte. « Restez ici, les policiers entourent la cour », nous disent-ils. Ce matin-là, des policiers auraient mis le feu à une maison en y lançant une grenade, dans le quartier de Cibitoke. Les habitants de Bwiza craignent que cela se répète cette nuit.

Face à la répression des autorités, la communauté internationale multiplie les appels et les sanctions pour calmer les tensions dans le pays. Ce mardi, les États-Unis ont fait savoir, par la voix du porte-parole du Département d’État, John Kirby, qu’ils s’opposaient à un troisième mandat du président Nkurunziza et qu’ils encourageaient les pays voisins du Burundi à faire de même. L’Union européenne a décidé de suspendre le déploiement de sa mission d’observation électorale, le 28 mai, puisque « les conditions en cours au Burundi ne permettent pas la tenue d’élections crédibles, » selon le communiqué. Le même jour, l’Église catholique du Burundi, très écoutée dans le pays, s’était elle aussi retirée du processus électoral, ne pouvant « cautionner des élections pleines de lacunes, » explique le communiqué des évêques burundais.

Nous sommes toujours coincés dans cette petite cour, mais les tirs s’arrêtent et les policiers semblent s’éloigner. Après avoir attendu une dizaine de minutes, nous sortons de la cour et retrouvons des membres de la patrouille dans la rue. Ils continueront leur ronde jusqu’au petit matin. Cette nuit encore, Bwiza n’a pas dormi sur ses deux oreilles.

À lire : Burundi : coups de feu nourris lors des manifestations, élections législatives reportées

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Pierre Longeray a participé à la rédaction de cet article

Pierre Marezcko et Stéphane Puccini sont journalistes pour Le Point Quotidien, l’émission d’information de VICE et France 4, tous les soirs de la semaine sur France 4. Retrouvez leur reportage sur la crise au Burundi bientôt dans cette émission.

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