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Arrêtez d’emmerder Grand Blanc avec la langue française

C’est avec Mémoires Vives, leur très attendu premier album, que Grand Blanc a attaqué 2016. Mais vraiment attaqué, genre au marteau-piqueur et sans casque sur les oreilles : ils font du bruit, on compte sur eux. Mémoires Vives, un titre qui fait réagir Camille, clavier et chanteuse, lorsque Benoît (chant/guitare) tombe sur le DVD La Mémoire vive de Dominique A chez le disquaire où on s’est retrouvés pour l’interview. « Ça va, le titre est au pluriel chez nous, et sans article » rassure Vincent, bassiste. « Je vous l’avais dit, il fallait être plus original, les gars » se marre Camille. Mémoire vive, qui se traduit par Random Access Memory en anglais et donc par Daft Punk en french touch. Une mémoire volatile qui se remplit et se vide juste le temps d’un traitement par un ordinateur, ce serait donc ça l’idée de Grand Blanc ? Un grand saut dans l’histoire du post-punk et de la new-wave et ensuite, on passe à la bossa nova et au bluegrass du Kentucky ? La question n’a pas été posée mais ça ne fait à priori pas partie des plans du quatuor. Mémoires vives, ce serait plutôt la prise en compte d’un passé dont la plupart de leurs concitoyens se tapent comme de leur premier forfait Mobicarte. Une musique sur laquelle plein de grands frères et sœurs se sont pétés les dents et ont encore les gencives qui saignent. Eux l’appréhendent naturellement en français avec une force vive et tranquille qui manquait dans le paysage hexagonal.

Noisey : On s’y perd un peu dans les articles sur vous : au final vous êtes de Metz ou bien ?
Camille : À part Vincent qui est de Mantes-la-Jolie, on est tous nés à Metz où on a grandi. On est ensuite venus à Paris où on a commencé à faire de la musique. Mais pour les premiers concerts, on est retournés à Metz car on savait pas trop par quel bout commencer à Paris.

Benoît : Et puis on répétait chez Luc (synthés), dans sa baraque à Bertrange, un bled près de Metz.

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Vincent : On n’avait pas le même rythme de vie, on faisait péter les cours pendant une semaine pour répéter chez Luc avant les concerts.

Camille : On n’avait pas beaucoup de concerts mais avant chaque, on se disait qu’il nous fallait absolument des morceaux, trois c’était pas assez !

Vous avez commencé les concerts avant d’avoir des morceaux ?
Benoît : Au début, on a essayé plusieurs trucs, on a démarré avec l’acoustique et l’électrique. Mais notre rapport à la musique, c’est de se dire qu’on a deux mains, des poumons et une gorge, et qu’on essaie de faire quelque chose avec ça. Comme Luc et Camille ont fait le Conservatoire ensemble, ils ont le démon de l’arrangement.

Camille : C’est effectivement un truc dont j’ai hérité du Conservatoire, ce goût pour les harmonies, les arrangements… Du coup pour se foutre de moi, Luc me surnomme Miss Harmonie.

Benoît : On donc faisait déjà des tracks sur plein de pistes mais en acoustique. Et puis un jour, on a commencé à les mettre sur un ordinateur, à bidouiller. La première fois qu’on a vu qu’on pouvait prendre la base d’un morceau et en faire n’importe quoi dans un logiciel, on a eu la révélation. L’electro était jusque-là un continent inconnu et on s’est rendus compte que c’était simple. On a donc tout réenregistré et on a trouvé un nouveau son.

C’était quoi le souci de la formule d’avant ?
Vincent : C’est juste qu’avec Luc, on avait besoin de titres pour nous entrainer à enregistré et à mixer. Non seulement le son électronique nous a plu mais il nous faisait revenir à quelque chose de simple et minimaliste. Au final, j’ai lâché la guitare pour prendre une basse, alors que j’étais un peu guitariste soliste. Comme Benoît qui a pris une guitare électrique et a laissé tomber ses arpèges à la guitare acoustique.

Benoît : Ouvrir un ordinateur, ça a aussi correspondu au moment où on s’est mis à écouter des compilations Born Bad, à mater Control et à kiffer Joy Division. C’était genre vers 23 ans, et on a eu ce côté autodidacte de ceux qui découvrent un truc sur le tard mais s’emballent à fond.

C’est ce qui a libéré votre énergie ?
Camille : Je sais pas. L’énergie, on l’a eue de l’expérience des concerts. Elle n’était pas là au début, on jouait acoustique en regardant nos pieds.

Ça, c’est la définition du shoegazing.
Camille : Oui mais ça n’en était pas vraiment. On faisait juste des pauses interminables entre chaque chanson, on s’excusait… et on jouait de jolies petites mélodies acoustiques.

Vincent : C’est juste qu’avec un énorme beat techno derrière…

Camille : … ça nous a donné des ailes.

Vincent : Oui, voilà. Et t’as plus de trucs à faire sur scène que juste regarder tes pompes.

Benoît : Au lycée, les plus cool, c’était les groupes de rock qui arrivaient sur scène avec des santiags et qui mettaient des coups de savates dans les pieds de micro. Dix ans plus tard, on est arrivés et là, le mec qui se pointe l’air très grave sur scène fait autant d’effet. D’ailleurs, on s’est mis à écouter du rock plus introspectif, moins dans la démonstration. Dès que tu as des machines qui envoient et un son froid, la tension se transforme en quelque chose de positif. On s’est adaptés à ça. On pourrait proposer plus de show ou d’entertainment, mais non, on se tiendra à quelque chose de solennel.

Les idées de nouveaux morceaux, elles viennent sur guitare ou sur ordinateur maintenant ?
Vincent : Les deux, mais peu importe car les sons seront enregistrés, triturés, découpés… Et puis on essaie de mettre trois accords et vu que ça nous saoule, on n’en prend que deux.

Camille : C’est notre règle : pas plus de deux accords.

Benoît : Sur l’album, on a essayé d’enterrer le couple guitare voix. Pareil pour les textes, j’arrive avec des bribes et les morceaux peuvent partir d’une idée de production, d’un beat, d’un riff de synthé… ça se monte comme un puzzle et on en est vachement contents. On essaie de structurer ce bordel qui nous parait naturel.

Mais maintenant, vous êtes capables de faire des versions unplugged pour les radios ou les télés qui le demandent ?
Camille : On n’aime pas faire ça.

Benoît : En gros, à chaque fois, on se retrouve à essayer de réduire notre set techno au minimum pour qu’ils puissent l’enregistrer.

Camille : Je trouve ça très étrange d’aller voir un groupe qui fait de la musique vraiment électronique et de lui demander de faire sa chanson au ukulélé.

Benoît : Le truc, c’est que la production sur ordinateur nous a décomplexés car tu peux bosser ton son. On estime que notre musique est intéressante car elle est produite. En acoustique, on perd ça.

Vincent : Il faudrait qu’on y passe un mois et qu’on réarrange de manière intéressante.

Benoît : L’idée dérangeante derrière, c’est comme en littérature où on te dit qu’il ne faut pas dissocier le fond de la forme. Pareil pour la chanson, elle est comme elle est, y’a pas à séparer le texte ou la base. Mais si on a le temps, les moyens et l’endroit pour des arrangements, pas de soucis pour faire de l’acoustique.

On s’était vus pour la première fois aux Transmusicales de Rennes en 2014 et vous m’aviez avoué un complexe vis-à-vis des disques énervés que vous écoutiez. Vous avez réussi à dépasser ça ?
Benoît : C’est moins vrai.

Camille : On sait bien qu’on n’est pas d’énormes punks.

Vincent : Sur le premier EP, on avait peur que ça ne pète pas assez. Sur l’album, on a appris à avoir des moments calmes sur une chanson.

Benoît : Le EP a été une crise d’adolescence musicale. En composant « Samedi la nuit », on s’est rendu compte qu’on pouvait faire des titres indus, des trucs super énervés qu’on n’avait jamais faits.

Camille : Quand on nous demande ce qu’on fait aujourd’hui, on répond de la pop. C’est un peu une échappatoire.

Benoît : C’est pas le contenu qui nous intéresse. On a commencé à parler de pop parce qu’on a cette volonté de produire notre musique, même si on écoutait de la cold-wave.

Camille : On veut juste faire des chansons.

Benoît : Oui, on fait de la chanson, et pas forcément dans le sens français, mais plutôt comme song à la façon des anglo-saxons.

Faut dire que les Américains ne se tapent pas comme nous tout l’héritage de la chanson française.
Benoît : On n’a rien contre l’héritage mais ce répertoire projette son ombre et sa forme sur nous. Parce qu’on fait de la pop, il y a des moments où la voix se barre dans beaucoup d’effets et n’est plus compréhensible. Et alors ? Personne n’ira faire chier Kevin Parker sous prétexte qu’on ne comprend pas les paroles de Tame Impala parce qu’à tel moment, y’a du flanger sur la voix. On essaie de ne pas faire des chansons avec des textes qui écraseraient trop la production.

C’est un peu vous qui avez mis la pop et la chanson sur le tapis. Ça vous saoule qu’on vous pose des questions sur le type de musique que vous faites ?
Benoît : Ce sont des questions sans fin…

Camille : … qui concernent plus les journalistes que les musiciens mais qui restent intéressantes.

Benoît : On nous pose pas mal questions sur la scène française actuelle. Nous, on ne la voit pas, il y a juste plein de projets qu’on aime bien, d’autres qu’on n’aime moins. La seule chose commune à tous les groupes qui rentrent dans cette case, c’est que le français n’était pas à sa place. On est contents car c’est clair que ça fait partie de notre cahier des charges. On est tous dans le même délire, à se demander pourquoi avant, on se refusait à faire en français sur du rock, de la pop ou de la techno.

Camille : Et ce n’est pas par militantisme, on n’est pas chauvins. Simplement que pour être le plus juste possible, on ne peut pas s’exprimer dans une langue qu’on ne connait pas.

Benoît : C’est notre langue maternelle. On n’a pas une conception visuelle de la langue, on ne l’utilise pas comme un outil. On se définit dedans, on vit dedans. On est convaincu de la dimension poétique de la langue et qu’elle est partout.

Pour vous ça semble évident mais la génération d’avant qui tentait la new wave penchait plus souvent vers l’anglais, à quelques exceptions près comme Taxi Girl ou Marquis de Sade, qui d’ailleurs chantaient aussi en anglais.
Benoît : Quand on a commencé, on ne pouvait pas partir de rien. On n’est pas des lumières et on n’allait pas inventer un truc. Du coup on a réécouté des disques, comme Marquis de Sade, Elli & Jacno, Moderne, Bashung, Christophe, Taxi Girl… On a découvert que c’est quand on était mômes, quand on apprenait à écouter de la musique, qu’il y avait ce truc fourmillant de faire de la pop et de la variété tout en s’inspirant des Anglais ou des Américains pour les influences. Ça a existé et il y a un moment où ça s’est arrêté. Est-ce à cause du public, de l’industrie du disque ? En tout cas, quand on a commencé il y a trois ans et demi, on se lançait dans un truc bizarre. Un an et demi plus tard, tout le monde trouvait ça chanmé qu’on chante en français. On est arrivés au bon moment.

La scène, ça s’améliore mais j’ai le souvenir d’une cata au festival du Jardin du Michel en 2014. C’était votre pire expérience, non ?
Benoît : Les gens ont eu le choix entre poireauter cinq minutes entre nos problèmes techniques et aller au bar, c’est ce qu’ils ont fait.

Vincent : Benoît a pété trois cordes. Je me rappelle, c’était l’angoisse quand Luc essayait de faire passer le temps en jouant des nappes sur scène. En gros dans ce genre de festival, quand tu es un petit groupe, tu as les trois premières chansons pour garder le public. En plus, les gens revenaient d’un concert d’Alice Cooper… Si tu les fais attendre cinq minutes entre les premiers morceaux, ils se cassent.

Benoît : Il faisait hyper chaud et ma guitare était restée en plein soleil. Les cordes ont lâché les unes après les autres. Je n’avais pas de guitare de rechange et ne savais pas changer une corde rapidement. Le groupe irlandais qui jouait après nous (Kid Karate) n’a pas voulu me prêter de guitare, j’étais à moitié en crise d’angoisse… C’était bien horrible mais du coup, ça m’a appris pour la suite. Grand Blanc est notre premier groupe. On a assez vite passé l’étape de mettre les morceaux sur Internet et que les labels s’intéressent à nous. On n’a donc pas eu ce truc de donner 2000 concerts dans des bars de merde. Quand on ne sent pas bien, on se demande si c’est pas bizarre de ne pas être passés par là. En fait, c’est juste que ça s’est passé comme ça. Et on a appris tous seuls à changer les cordes et à gérer le mec bourré qui essaie de toucher ton pied de micro. Pour cette date, c’est aussi la première fois qu’on avait un camion, et il était sponsorisé par une grosse marque de bière… Pour arriver au festival, il fallait passer par le camping. Tous les mecs nous suivaient et tapaient sur le camion, on aurait dit un film de zombies.

Camille : Des zombies avec des dreads, des sarouels, qui étaient torses nus.

Vincent : Et au retour, c’est moi qui conduisais, y’avait plein de gens qui déambulaient sur la route en pleine nuit, c’était The Walking Dead.

Ça donnerait The Walking Dread, super idée de série en fait. Vous allez beaucoup jouer en 2016 j’imagine ?
Benoît : Là on a deux mois bien intenses de tournée et pour après, c’est en train de se caler. Mais notre live a bien évolué et c’est bien kiffant. Avant, Luc jouait un peu de synthé et de batterie électronique. On a viré ce synthé là pour avoir des arrangements plus clairs et Luc est totalement à la batterie, ce qui donne une vraie dynamique aux morceaux. Même les chansons du premier EP ont été réarrangées et elles sonnent trop cool. On voulait un truc plus vivant et là, on est carrément dedans. Du coup, on va bien suer comme il faut.


Mémoires vives est disponible chez les Disques Entreprise.

Pascal Bertin a aussi de la famille dans l’Est de la France. Il est sur Twitter.