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John Carpenter nous dit tout ce qu’il n’a pas eu le temps de nous dire la dernière fois

Bien qu’il ne repose que sur trois notes, le thème principal de la B.O. d’Halloween de John Carpenter reste, à ce jour, l’une des œuvres musicales les plus flippantes et les plus obsédantes jamais produites. Pour Kevin Bergeron, co-fondateur de Waxwork Records, un label spécialisé dans la réédition vinyle de bandes originales de films d’horreur, la force du morceau tient à peu de chose : « à chaque fois que je l’écoute, je retourne en enfance. Ça te suit, tu la reconnais dès les premières notes ». Kevin estime que Carpenter est « le plus punk des réalisateurs de films d’horreur », et même si voir du punk partout, surtout là où il n’y en a pas, est devenu un cliché assez pénible, il faut bien admettre qu’il a raison sur ce point, vu que dans une grande partie de ses films, Carpenter a assuré lui-même toutes les étapes de la production, du scénario à la réalisation en passant par la composition du score. Il est, techniquement, le plus DIY des réalisateurs Hollywoodiens.

On ne peut pas négliger l’importance de Carpenter en tant que compositeur et les multiples rééditions publiées au cours des 10 dernières années ont fini par convaincre jusqu’aux derniers sceptiques. À une époque où les bandes originales consistaient principalement en des dérivés de mouvements orchestraux ou des productions upbeat et jazzy, Carpenter est arrivé avec une signature unique, essentiellement basée sur l’électronique. Quelques mois après notre première interview avec lui, on a eu la chance de rencontrer à nouveau le réalisateur pour lui poser de nouvelles questions sur sa carrière, son avenir, et toutes ces rééditions vinyle dont il n’est même pas au courant.

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Noisey : Avant de te lancer dans la composition de bandes originales, quel était ton bagage musical ?
John : Mon père jouait du violon, il était professeur de musique. J’ai grandi entouré par la musique, j’en écoutais tout le temps. C’est devenu une seconde nature, une partie intégrante de ma vie. J’adorais les bandes originales et la musique de film, mais aussi la musique classique et le rock’n’roll. Ça a été facile pour moi de rentrer dans le truc, je n’ai pas eu de problème. J’ai juste contacté Bernard Herrmann et je me suis lancé.

Tu as commencé par le piano ?
Malheureusement, mon père a d’abord voulu que fasse du violon. Mais je n’avais aucun talent pour le violon, j’étais incapable d’en jouer. J’en ai quand même fait un peu, avant de passer au piano. Puis j’ai enchaîné sur la guitare, je bricolais dessus. Heureusement, je n’ai plus besoin de jouer du piano aujourd’hui.

Et tu t’es mis au synthé quand tu étais au lycée ?
J’avais un groupe de rock au lycée et à l’université, j’y ai joué de la basse, puis de la guitare. Je ne sais plus exactement quand je suis tombé sous le charme des synthés. On était au milieu des années 60, ça venait de sortir et dès les premières écoutes, même si je ne comprenais pas vraiment ce que c’était, je voyais clairement le potentiel de ces instruments. Je m’y suis vraiment mis à partir des années 70.

Au début, tu as composé toi-même les bandes originales de tes films pour que ça te revienne moins cher ?
Tout à fait. On n’avait pas d’argent pour une bande originale, et moi j’étais rapide et je ne coûtais rien. Je connaissais un type qui avait un studio vraiment très primitif, on a enregistré là-bas. Je ne savais pas combien de semaines de travail allaient être nécessaires, je débutais. J’ai juste composé la musique et réfléchi à la façon dont elle allait s’intégrerer aux images.

J’ai entendu dire que tu jouais la musique en même temps que tu tournais le film, c’est vrai ?
Oui, c’est comme ça que j’ai procédé. Au début, on n’avait pas le matériel nécessaire pour intégrer la musique au film. Donc on jouait tout en live, on a commencé à faire ça pour New York 1997. C’était la première fois qu’on jouait en même temps que les images étaient tournées.

Quel est ton mode opératoire quand tu t’attaques à une bande originale ?
Je ne veux pas te décevoir mais il n’y a pas vraiment de mode opératoire. Tout se déroule de façon très automatique, jusqu’au résultat final. Je connais le film pour lequel je dois composer la bande originale puisque j’en suis le réalisateur, et parfois même le scénariste. Je n’ai jamais eu d’idées préconçues sur ce qu’allaient être mes bandes originales, à chaque fois c’était comme un nouveau départ. Comme je n’avais, de fait, aucune pression, j n’étais pas obligé de faire quelque chose de bon, je pouvais me planter. Ça me permettait donc d’expérimenter beaucoup de choses, et c’est de ces expérimentations que naissait ma bande originale. Parfois j’avais un thème général ou une première ébauche, mais la plupart du temps, c’était de l’improvisation totale.

Tes bandes originales pourraient tout à fait avoir une vie à elles, sans aucun lien avec les films qu’elles illustrent. Tu construis tous tes morceaux sur la base du thème principal ?
Ça dépend, pas forcément. C’est le cas pour Prince des Ténèbres, puisqu’on a enregistré la bande originale dès qu’on a commencé à tourner. Heureusement, le rendu est plutôt bon, je suis assez fier du thème d’ouverture. J’ai pu piquer dans ce thème et m’en servir pour les autres musiques du film, ça donne une bande originale très homogène. Mais ça ne marche pas à chaque fois.

La bande originale accentue parfaitement l’atmosphère lourde et inquiétante du film.
Je pense que le rôle d’une bande est d’accentuer l’histoire que raconte le film, de renforcer ce que voit le spectateur à l’écran. Tu dois recréer une ambiance, du mieux que tu peux.

Il y a eu des moments où l’enregistrement et la composition se sont avérés aussi horribles et flippants que tes films ?
Sûrement, mais c’est surtout très fatiguant [Rires]. Composer une bande originale est une tâche difficile, et je m’en suis rendu compte après ma dernière grosse composition – pour Ghosts of Mars de mémoire – c’était éprouvant, ça m’a achevé.

J’imagine. C’est déjà difficile d’écrire un morceau, mais alors écrire des morceaux pour tout un film…
C’est ça le problème, ça te fout par terre. Chaque jour, tu dois t’y atteler. Après si tu aimes composer de la musique, c’est cool, mais je ne sais pas, parfois c’est juste trop dur. Trop dur de tout faire. Quand j’étais jeune, c’était facile et fun à faire. Maintenant ça devient trop difficile.

Donc tu arrêtes, pour de bon ?
Tu ne t’arrêtes jamais vraiment dans ce business [Rires].

Si tu devais tout recommencer à zéro, tu serais prêt à composer pour le film d’autres réalisateurs ou tu ne te concentrerais que sur tes propres films ?
Je pourrais faire les deux. Récemment, j’ai travaillé avec mon fils, non pas pour une bande originale, mais simplement sur la musique. J’adorerais collaborer avec lui, il a beaucoup de talent. Et j’aimerais évidemment travailler sur le film d’un autre réalisateur, ce serait marrant.

Ludrium, le projet du fils de John Carpenter.

Comment en es-tu arrivé à collaborer avec Alan Howarth ? Vous vous connaissiez déjà avant de travailler ensemble ?
Alan a aidé au montage de New York 1997, il s’occupait des effets sonores, qu’il réalisait avec un synthétiseur. Il avait les sons et il voulait faire de la musique, et c’est ce qu’il a fait. Alan est un ingénieur très doué. Il mettait en place les sons et il programmait certains de nos ordinateurs. Il avait une super installation, ça facilitait les choses.

Donc il a travaillé sur les bandes originales que tu as écrites. Lui n’écrivait pas ?
Non, il n’écrivait pas.

La bande originale de The Thing a aussi été le fruit d’une collaboration. Pour la première fois, un compositeur a mis en musique ton film. C’était comment de travailler avec Ennio Morricone ? Qu’est-ce qui t’a poussé à collaborer avec lui ?
Le studio ne voulait pas que je me charge seul de la musique. Ils ne m’ont pas soumis l’idée de cette collaboration, je n’en ai pas non plus fait la demande mais il s’avérait qu’Ennio Morricone était disponible. C’est un compositeur de génie. J’adore Ennio, c’est une personne merveilleuse. On ne parlait pas la même langue, on avait donc des interprètes, mais c’était fantastique. Il a fait un très bon travail.

Dans le matériel que tu utilises, est-ce qu’il y a un synthé auquel tu tiens particulièrement ? Un vieux Prophet ou un Sequential Circuits, par exemple ?
J’aime beaucoup certains synthés modernes, en particulier mon Korg Triton. Je l’adore, il a un son incroyable. Je ne suis pas forcément nostalgique des vieux synthés, mais je dois avouer que le Oberheim a un son fabuleux.

À quel niveau est-ce que les avancées technologiques ont affecté ta carrière musicale ?

Ma femme m’a dit quelque chose de très vrai, « s’adapter ou mourir ». Il faut vivre en phase avec le monde moderne, les choses ont changé, parfois en bien, parfois en moins bien. Mais les apports de la technologie sur l’acoustique sont incroyables. C’est un peu comme le passage du Laserdisc au DVD, la différence est incroyable, et c’est encore plus vrai avec le Blu-Ray aujourd’hui.

Il y a un regain d’intérêt pour les bandes originales sur support vinyle. Je suppose que tu sais que Death Waltz a réédité quelques unes des productions issues de ta collaboration avec Alan. Tu penses quoi de ce nouvel intérêt pour le vinyle ?
Je n’étais même pas au courant. Tu dois savoir une chose sur ma carrière : on ne me dit jamais rien dit et je n’ai donc rien su de tout ça.

Quand est-ce que tu t’en es rendu compte ?
Je me suis plaint parce que personne ne m’en parlait. Du coup, le directeur de Death Waltz m’a demandé si je voulais écrire les notes de pochette, et j’ai répondu oui. Mais personne ne m’a rien dit et personne ne m’a rien demandé.

Même si il n’avait pas besoin de te joindre directement pour les droits, ils auraient au moins pu t’avertir que certaines de tes bandes originales allaient être rééditées.
C’est ce que je pensais, mais personne n’a jugé intéressant de m’en parler.

Tu as déjà songé à jouer en live ?
Ça me tenterait pas mal, je t’avoue, mais ce serait compliqué.

Quels sont tes projets dans l’immédiat ? Tu travailles sur des nouvelles productions ?
Oui, je travaille sur quelques trucs, mais pour le moment je récupère de deux années de chirurgie oculaire. J’ai eu quelques complications, mais les choses s’arrangent. Je vais bien.

Joe Yanick vit dans l’espoir d’une nouvelle B.O. signée John Carpenter. Il est sur Twitter – @JoeYanick


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