Que se passerait-il si la Corée du Nord lançait une attaque nucléaire contre les États-Unis?

Si vous n’avez pas beaucoup porté attention à la Corée du Nord en 2016, année durant laquelle les puissances nucléaires que sont les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni et la Chine se sont disputé l’attention du monde à coups d’erreurs de jugement, il était facile d’oublier que le royaume ermite continue de menacer de ses ennemis à l’arme nucléaire.

Peut-être entendez-vous parler de ces menaces depuis si longtemps que vous ne les prenez plus au sérieux, mais la Corée du Nord a travaillé fort l’an dernier pour produire et tester des technologies à la hauteur de ses ambitions, en particulier son impressionnant missile balistique intercontinental Kwangmyongsong. Ce missile pourrait atteindre Los Angeles, a-t-on découvert en février.

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De récentes analyses estiment que l’arsenal nord-coréen comptera un missile nucléaire « fiable » avec une portée suffisante pour exploser en sol américain seulement en 2020. Mais, selon Rodger Baker, analyste de la Corée du Nord de Stratfor, une société privée du renseignement basée à Austin, au Texas, ce n’est déjà plus une question de temps. « Ils sont sans doute déjà capables de frapper les États-Unis », assure-t-il, ajoutant que des analystes de l’armée américaine « tiennent pour acquis que la Corée du Nord en a la capacité, même si ce n’est pas prouvé hors de tout doute ».

En théorie, la Corée du Nord serait en mesure de se mesurer aux États-Unis dans une guerre nucléaire à la manière d’une équipe de ligue de garage qui affronterait les champions de la Coupe Stanley : on sait qu’elle n’en sortira pas gagnante, mais, au fond, qui sait ce qui se passerait?

Plus tôt l’an dernier, Rodger Baker a rédigé une analyse détaillée expliquant comment les États-Unis pourraient détruire l’arsenal nord-coréen, et en quoi pourrait consister la stratégie de la riposte de Pyongyang. « Il est important de réfléchir à ces scénarios », estime-t-il.

À cette fin, il m’a aidé à imaginer ce qui se passerait après une attaque nucléaire nord-coréenne aux États-Unis, de la réaction initiale au déclenchement de la guerre. Plusieurs prévisions m’ont surpris. Par exemple, si l’on pense que les États-Unis appuieraient sur tous les boutons rouges et feraient de la Corée du Nord un gigantesque cratère, l’analyste estime qu’on est un mauvais stratège.

Étape 1 : Les États-Unis voient ce qui se passe bien avant le lancement

Compte tenu de la technologie que possède à l’heure actuelle la Corée du Nord, un missile nucléaire ne surgirait pas soudainement d’un silo souterrain. Le pays peut effectuer quelques types de lancements, mais le plus fiable serait celui, à l’ancienne, du lancement depuis une tour stationnaire. Selon Rodger Baker, c’est le pire moyen, car les agents du renseignement du monde entier en seraient vite informés, et les pays ennemis auraient tout le temps voulu pour réagir. « Il faut des jours, voire des semaines pour préparer ce lancement », explique-t-il.

La Corée du Nord a réussi à lancer des missiles depuis un sous-marin en décembre dernier, mais, de cette façon, elle devrait attaquer à quelques centaines de kilomètres des côtes américaines. Or, les sous-marins nord-coréens sont de si mauvaise qualité qu’ils auraient du mal à s’y rendre.

Une meilleure option serait le lancement depuis un tracteur-érecteur-lanceur (TEL). « On les voit dans des films et des émissions de télé. C’est un camion qui traîne une remorque. On aurait une heure pour réagir, le temps de la sortie du camion d’un tunnel, de la préparation et du lancement. » Pour information, la Corée du Nord possède des TEL, achetés à la Chine en 2012, qu’on a vus parader dans Pyongyang.

D’après Rodger Baker, le monde mettrait une heure à voir que la Corée du Nord lance un missile parce qu’elle surveille intensément le pays au moyen d’un réseau international de radars, de satellites et détecteurs à infrarouge. « Très vite après un test des Nord-Coréens, les États-Unis et le Japon publient un communiqué mentionnant s’il a été un succès ou non. Ils voient tout, même les tests surprises avec de l’équipement mobile. »

Bref, il n’y aurait pas d’attaque surprise. D’abord, on élèverait le niveau d’alerte de tous les systèmes de défense antimissiles, explique l’analyste. Après, le Japon déploierait ses navires de défense antimissiles.

Et que la partie commence.

Étape 2 : Les États-Unis et le Japon évaluent la possibilité d’une frappe préventive

La meilleure défense, c’est l’attaque. Selon les analystes de la politique étrangère de la faculté de droit de l’Université George Washington, si des espions avaient la certitude que la Corée du Nord arme un missile nucléaire et vise les États-Unis, l’armée américaine effectuerait une frappe préventive. Soyez sûr qu’ils seraient prêts à la justifier auprès des Nations Unies en démontrant preuve à l’appui qu’une attaque était imminente.

Cette décision n’exige peut-être même pas l’approbation du président Trump, selon Rodger Baker. À son avis, ce sera une décision de l’armée américaine. L’armée aime les frappes préventives, car attendre une attaque par missile et espérer le stopper, c’est risqué. Par contre, en attaquant d’abord, « on a 100 % des chances de le détruire, et c’est ce qu’on préfère ».

Une frappe préventive n’est cependant pas une mince affaire, car elle pourrait entraîner une réaction de la Chine, de la Russie ou même de la Corée du Sud. « D’un point de vue politique, il serait plus prudent d’attendre que la Corée du Nord lance le missile et le détruire aussitôt, plutôt qu’avant le lancement. »

Donc, il est possible, même si peu probable, que les États-Unis laissent un missile nord-coréen quitter le sol.

Étape 3 : Un missile est lancé

Même si le lancement d’un missile nord-coréen est un succès, il est loin d’être certain qu’il atteindrait les États-Unis. Les missiles balistiques intercontinentaux sont en quelque sorte des vaisseaux spatiaux qui, au début de leur voyage, quittent l’atmosphère. « Les Nord-Coréens ont prouvé, par au moins un test, qu’ils sont en mesure de faire revenir dans l’atmosphère la partie avant d’un missile », dit l’analyste. Le retour dans l’atmosphère ne donne rien si cette partie avant contenant la bombe est endommagée. « Ils ont fait quelques tests au sol qui montrent que leurs têtes nucléaires ont le potentiel de résister au retour dans l’atmosphère. »

Évidemment, il y a la question de la cible. Quelle serait la destination de cet hypothétique missile? Pour Rodger Baker, il n’y a pas de certitude. Celles à sa portée, Hawaii et Los Angeles, ne sont pas les seules que Kim Jong-un a mentionnées dans ses menaces. « Sur une carte vue sur des photos qu’ils ont publiées il y a quelques années, des lignes se rendaient peut-être, mais peut-être pas, à Austin. »

Étape 4 : Les États-Unis et le Japon tentent de détruire le missile en vol

« Il y a des systèmes de radars au sol et des satellites qui cherchent constamment les signes d’un lancement. » En Corée du Sud, les États-Unis se préparent à mettre en place un système de missiles antibalistiques, appelé Terminal High Altitude Area Defense (THAAD). À cause de l’instabilité politique des dernières semaines en Corée du Sud, le projet a pris du retard.

Si le missile nord-coréen parvenait à décoller, il ne dépasserait probablement pas le Japon. Les navires de la Force maritime d’autodéfense japonaise déployée au large de l’archipel sont aussi armés de missiles.

Mais si jamais il traversait malgré tout le Pacifique, la responsabilité de le stopper incombe au système de défense antimissile basé en Alaska. C’est un bouclier impénétrable… ou presque. Il y a des trous. « Ce n’est pas parfait, mais rien ne le sera jamais. » Donc, si jamais la Corée du Nord avait une chance inouïe, il pourrait y avoir un nuage en champignon au-dessus d’une ville américaine.

Toutefois, de l’avis professionnel de Rodger Baker, il est hautement improbable qu’ils atteignent leur cible. Pour l’instant, car les Nord-Coréens disposeront bientôt des capacités accrues.

Des missiles à têtes nucléaires multiples – des armes terrifiantes d’une sophistication inimaginable – pourraient faire échouer les systèmes antimissiles américains. « Un missile peut comprendre plusieurs têtes nucléaires, qui prennent des directions différentes, ainsi que de fausses têtes nucléaires. » Quand la Corée du Nord mettra la main sur cette technologie, et ce n’est qu’une question de temps, leurs menaces d’attaque nucléaire seront beaucoup plus crédibles.

Étape 5 : La réponse de la Chine

Voici une bonne raison pour Trump d’y aller doucement avec la Chine : selon Rodger Baker, il est très possible qu’elle prévienne une deuxième guerre de Corée si Kim Jong-un lance une attaque sans qu’il y ait eu provocation.

« La Chine a indiqué que, si la Corée du Nord déclenche un conflit armé, elle pourrait intervenir à Pyongyang, contrôler le nord du pays et ne pas fournir de soutien militaire additionnel au régime. Je ne pense pas que les Chinois se sentent capables de confronter les États-Unis advenant une confrontation. »

Mais tous les analystes ne sont pas d’avis que la Chine tournerait le dos à son allié. Joel S. Wit, de l’Institut sur la Corée du Nord à la Johns Hopkins School of Advanced International Studies, a écrit dans le New York Times que, même si la Chine a fait pression sur la Corée du Nord pour la pousser à se dénucléariser, son attitude n’a pas vraiment changé. « Une Corée unifiée alliée à Washington à la frontière de la Chine serait une mauvaise nouvelle pour Beijing, compte tenu de la rivalité continue avec les États-Unis », écrit-il.

Étape 6 : Les États-Unis contre-attaquent, mais probablement pas par une frappe nucléaire

Comme Trump a prévenu qu’il pourrait utiliser les armes nucléaires contre Daech, il est permis de croire qu’il ferait de même contre la Corée du Nord dans le cas d’une attaque, n’est-ce pas? Baker pense que non.

« C’est hautement improbable, parce que le nombre d’armes que possède la Corée du Nord est très faible, la superficie de la péninsule est petite et les conséquences d’une bombe atomique dans cette péninsule sont grandes, entre autres à long terme sur la reconstruction, mais aussi pour la Corée du Sud. »

Il s’attend plutôt à « un missile de croisière, suivi d’une campagne aérienne contre toute l’artillerie nord-coréenne ». L’idée, selon lui, serait de mettre hors d’action tout l’armement du pays, y compris ses systèmes de missiles mobiles. Ils le feraient tout en « déplaçant des atouts supplémentaires dans la région ».

Étape 7 : Une guerre que la Corée du Nord ne gagnerait probablement pas

Quand chaque côté a eu recours à la force, il n’est plus temps de chercher à savoir qui est l’instigateur. Sur ce stade, le précédent rapport de Statfor, qui porte sur le déclenchement d’un conflit entre la Corée du Nord et une alliance États-Unis–Corée du Sud, est très informatif. « Dans les premières heures d’un conflit, la Corée du Nord doit utiliser tous ses moyens », dit Rodger Baker. Ce qui pourrait comprendre des armes chimiques et peut-être, mais c’est moins probable, biologiques. L’objectif serait de ralentir les actions américaines au sol et causer des dégâts sérieux et durables dans le nord de la Corée du Nord.

Et Baker ne mise pas sur les Nord-Coréens. Sauf si, dans un soudain et énorme changement politique, les Sud-Coréens se prenaient d’affection pour Kim Jong-un, « dans un conflit impliquant les États-Unis, ou même seulement la Corée du Sud, les Nord-Coréens auront beaucoup de mal à sortir victorieux ».

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