Sorti en novembre dernier, le clip « Borders » de M.I.A abordait frontalement le problème des migrants, mettant en scène des gens fuyant les confilts armés et débarquant en masse vers l’Europe avec pour seuls bagages leurs vêtements, un téléphone portable et l’espoir que leur bateau atteigne sa destination.
Dans le clip, MIA nous présentait les différentes épreuves qui jalonnaient ce parcours périlleux – traversée du désert, escalade de fils barbelés, lutte contre les eaux. Son morceau était à la fois une déclaration politique et un témoignage – elle-même est une réfugiée, débarquée à Londres à l’âge de 9 ans après que ses parents aient fui le Sri Lanka. C’est en tout cas comme ça que la plupart des gens l’ont interprété.
Car cette semaine, M.I.A. a révélé que d’autres y avaient vu complètement autre chose. Comme le club du Paris Saint-Germain, par exemple, qui dans une lettre datée du 21 décembre dernier, la menaçait d’engager des poursuites contre elle à cause du T-shirt qu’elle portait dans le clip et sur lequel, comme on vous le disait lundi, M.I.A. avait remplacé le « Fly Emirates » du sponsor de l’équipe par « Fly Pirates ». Vous pouvez lire le document qu’elle a reçu ici.
Comment le PSG peut demander à M.I.A. de retirer son clip plus d’un mois après sa mise en ligne pour une simple parodie de T-shirt ? On a passé un coup de fil à M.I.A, habituée des plaintes débiles (elle vient de sortir d’un procès de 4 ans avec la NFL pour son célèbre doigt adressé à la foule lors du Superbowl 2012) afin qu’elle nous en dise plus sur ce #jerseygate, sur son nouvel album et sur l’objectif initial de « Borders ».
Noisey : Bon alors, tout ce boxon pour un T-shirt… J’ai lu que tu avais acheté ce maillot du PSG sur un marché au Qatar, c’est bien ça ?
M.I.A. : Ouais, mais c’est moi qui ait ajouté le P pour faire « Pirates ». Comme tout le monde le sait, sur le maillot officiel il y a marqué « Fly Emirates », mais ça aurait très bien pu être un maillot d’Arsenal, du Real Madrid ou autre. Des tas d’équipes ont ce sponsor. J’ai pris celui de Paris parce que j’ai plein d’amis là-bas et je pensais que c’était un bon moyen de faire la liaison. Je n’ai jamais pensé que j’allais avoir des soucis pour avoir modifié le logo.
Personne ne t’a prévenu que ça pouvait peut-être poser problème ?
J’ai fait cette vidéo de manière totalement réfléchie, parce que c’était très difficile d’aller là-bas, je croyais en ce projet et je savais en le tournant que ce clip était borderline ; qu’on pouvait l’interpréter de travers. Les gens s’attendaient probablement à ce que je tourne une vidéo avec des pirates somaliens qui déambulaient avec des flingues. Beaucoup de gens m’ont appelé pendant le tournage en Inde : des créatifs, des réalisateurs, des magazines, etc – mais je me suis totalement coupée du monde extérieur pour boucler ce projet. Je n’ai montré le clip à personne avant qu’il soit terminé. Des gens m’ont saoulé en me disant « oh, t’es sur quoi là ? Une vidéo avec des Africains affamés dans un délire ‘je-suis-un-réfugié-s’il-vous-plait-l’ONU-sauvez-moi’ ? «
Donc j’ai délibérément pris la décision de bien séparer ce qui était cool – le fait que ces gens deviennent des pirates armés – et la réalité, avec ces migrants pacifiques et non-armés, qui cherchent juste à franchir les frontières. Il était important pour moi de souligner la différence entre ces deux éléments. Quand je porte ce T-shirt, j’ai vraiment l’impression d’envoyer un message subliminal – oui, j’aurais pu faire un clip « cool » avec des pirates et ça aurait été cool et tout le monde se serait retrouvé dans cette sorte de « coolitude ». Mais j’ai choisi de faire un truc plus subtil et plus important aussi, pour dire que ces gens ne sont pas comme ça, qu’ils ne sont ni violents, ni armés, ni agressifs. C’était très important pour moi et c’est pour ça j’ai fait ce clip.
Tu fais en sorte d’humaniser cette question, qui est régulièrement diabolisée dans les médias.
Je ne voulais surtout pas les faire passer pour une menace. C’était ça le côté délicat. Des tas de gens mélangent les deux – d’un côté ces hommes, femmes et enfants dans le besoin, qui fuient des conflits armés, et de l’autre des milices armées ou pirates. Le maillot était un clin d’œil à tous mes amis qui me demandaient, « pourquoi tu ne ferais pas un clip cool avec des pirates somaliens ? » Ce n’est pas ce dont nous avons besoin en ce moment. Et aujourd’hui, c’est bizarre de se retrouver dans une polémique à cause d’un T-shirt. En ce qui me concerne, je trouve ça très réaliste – les migrants portent du sportswear. Qu’est ce que le PSG compte faire ? Réécrire l’Histoire ? Si c’est le cas, ils vont devoir arrêter de diffuser leurs matchs sur les chaînes câblées dans ces pays-là.
Certains ont aussi suggéré que tu avais volontairement pris le maillot du PSG parce qu’ils sont sponsorisés par le Qatar et les Emirats Arabes Unis.
Non, pas vraiment. Je pensais juste que des tas de gens allaient périr en mer si on ne faisait pas quelque chose. On est actuellement en plein hiver. Ouais, que 1200 personnes soient mortes dans des stades au Qatar, c’est une chose, mais je suis certaine qu’il y en a bien plus qui ont déjà sombré en mer, et on peut faire quelque chose contre ça. C’est ce qui s’est passé avec les Tamouls qui ont quitté le Sri Lanka en 2009 et 2010, ils sont toujours en détention, et beaucoup d’entre eux sont morts sur l’île Christmas en tentant de rejoindre l’Australie. Pour moi, ça va au-delà de ce simple débat.
Tu as déclaré sur ton compte Instagram que le PSG refusait d’être associé avec la crise des réfugiés alors que certains de leurs joueurs font eux-mêmes partie de la seconde génération de migrants.
Exactement ! Ils ont des joueurs originaires d’Angola, d’Haiti et d’ailleurs. Comment vont-ils justifier le fait qu’ils emploient des joueurs de là-bas ?
Quelle va être la suite de cette affaire ?
Je ne sais pas. Je trouve juste leur besoin de vouloir tout contrôler extrêmement arrogant. Tu ne peux pas décider des gens qui portent ton maillot, de la façon dont ils le portent et du moment où ils le portent. Si tu réalises un film sur les samouraïs japonais, tu devras les habiller en tenue de samouraï. Et si tu parles des migrants, des réfugiés ou des gens qui vivent dans des zones de guerre, tu devras leur faire porter des joggings et des maillots de foots, c’est leur uniforme à eux. Comment veux-tu contrôler ça ? Evidemment, je veux éviter à tout prix de me lancer dans un nouveau procès. J’ai déjà perdu 4 ans là-dedans. Si je dois en perdre un de plus, je ne sais pas comment je ferais.
Ça doit être super fatiguant.
C’est méga fatiguant, surtout quand tu es une mère célibataire et que tu essaies d’assurer l’éducation de ton enfant tout en faisant de la musique et des choses créatives. C’est compliqué de gaspiller du temps là-dedans, surtout quand c’est hors de propos. Je préfèrerais passer mon temps à Calais ou à imaginer une équipe de football composée d’immigrés et la faire financer par le PSG, si ça les préoccupe tant que ça !
T’as pensé à une résolution possible ?
Je crois que chacune des deux parties va avoir le même discours : vous tenez à votre maillot, et j’y tiens aussi, tu vois ? Parce que ce qu’on est en train d’essayer de m’imposer là, c’est une forme de censure. J’ai aussi l’impression que ça arrive un peu tardivement, le clip est sorti depuis longtemps. La vidéo n’a pas eu de retours négatifs il me semble – excepté l’article qu’ils ont cité, et je commence à me demander s’ils n’ont pas payé quelqu’un pour écrire cet article au préalable – parce que je n’ai jamais lu un seul commentaire négatif à propos du maillot.
Ces deux derniers jours, on a vu pas mal de gens demander à avoir cette version du maillot.
Ouais, et c’est l’image la plus partagée – de toutes les photos que j’ai vu sur Internet, sur Instagram et dans les captures du clip – la seule auxquels les Français font référence. Des tas de gens m’ont posé des questions sur ce maillot, et je n’ai pas exploité ce filon à un seul moment, je ne l’ai pas vendu, je ne me suis pas fait d’argent avec. Mon clip est sur Apple, ils ont payé pour et je leur ai donné la vidéo, c’est tout. Si ça fait du bien et si ça peut apporter quelque chose de positif aux gens, c’est génial – c’est tout ce que je demande. Donc si je devais revenir en arrière pour défendre ce T-shirt ce serait difficile. Je dois voir le positif là-dedans. Mais le monde du sport passe son temps à me courir après ! Je ne sais pas quoi faire. Peut-être que je devrais me marier avec un footballeur !
Tu vas continuer à évoquer cette crise humanitaire sur ton prochain album, Matahdatah?
Ce sera clairement une partie importante du projet. Au niveau du concept, on veut juste s’éloigner le plus possible des frontières, qu’elles soient géographiques, psychologiques, physiques, émotionnelles, peu importe, et continuer à aller de l’avant. C’est intéressant de sortir des choses et de voir qui réagit. Je n’aurais jamais imaginé que ce soit une équipe de foot qui le fasse.
Tu disais tout à l’heure que « les gens s’attendent à voir M.I.A. faire une vidéo cool avec des pirates » ou des trucs du genre, mais là en l’occurrence, tu as choisi d’aborder un problème sérieux, sans l’esthétiser. Est-ce que tu penses que les artistes ont peur d’aborder des questions comme l’immigration par crainte, justement, qu’on les accuse de s’approprier quelque chose de trop important pour eux ?
Je crois qu’il y a surtout une peur d’être chiant. Beaucoup de gens ne veulent pas aborder ces problèmes parce que ce n’est pas « sexy ». Si j’avais fait un clip où je suis nue ou dans des vêtements moulants et qu’ensuite j’aurais porté le maillot du PSG, je suis sûre que ça aurait été différent. Mais il y a des sujets qui sont plus effrayants qu’excitants, j’imagine.
L’année dernière tu as annoncé avoir tourné une vidéo en Afrique que tu n’avais pas été autorisée à sortir pour cause d’« appropriation culturelle ». Tu avais encore cet échec en tête quand tu as réalisé « Borders » ?
Ça a contribué au truc, c’est certain. Ce clip qui a été banni – et il a été banni de toutes les plateformes – était un morceau qui s’appelait justement « Platforms ». C’était une chanson pour tester les dites plateformes. On en a fait une vidéo et elle a été retirée de partout : Apple, YouTube, Vevo, tous. Parce qu’elle était trop réelle. Avec « Borders », on a dû naviguer entre réalité, et fiction.
Comment ça ?
Dans le sud de l’Inde, il y a 132 camps de réfugiés tamouls et ils existent depuis une éternité. Les gens qu’on voit dans ma vidéo font partie de la seconde génération d’immigrés, ils sont nés et ont été élevés dans ces camps – ils n’ont pas fait la traversée en bateau, comme leurs parents. Mais ils sont toujours aussi limités qu’avant : ils ont un couvre-feu, ils ont besoin d’un passe journalier pour sortir et chercher un travail, mais ils ne sont toujours pas citoyens. Donc ça a été compliqué de les faire figurer dans la vidéo. À la base, je voulais filmer là-bas pour montrer comment vivaient les enfants des réfugiés tamouls et véhiculer leur message à travers toute la planète. Je voyais ça comme quelque chose de très beau. Mais légalement, j’ai eu beaucoup de problèmes, et je n’ai pas eu les accès que je souhaitais. C’était aussi l’anniversaire de l’indépendance de l’Inde et les Tamouls ont toujours un peu d’appréhension avec ça. Quand je filmais, on a carrément dû quitter la zone du Tamil Nadu et shooter à Pondichéry parce qu’ils avaient déclaré l’état d’urgence pour menace terroriste.
Finalement, on a casté des gamins dans les rues. Ces gosses venaient du ghetto, vivaient dans des taudis et travaillaient à l’usine. Je leur suis extrêmement reconnaissante, ce qu’ils ont fait est génial.
Pourquoi à ton avis est-ce que ces énormes machines – NFL, PSG ou autre – sont après toi ?
Je ne sais pas. Il y a des gens haut placés qui me détestent. Mais ce genre de choses me passe au-dessus de la tête. J’aimerais qu’ils dépensent mieux leur argent. Avec toute la mauvaise presse que se paient leurs footballeurs, avec toutes ces histoires dans lesquelles ils se retrouvent impliquées, c’est quand même fou qu’ils me cherchent des noises à moi. Cette lettre, sérieusement… « Pourquoi est-ce qu’elle nous fait ça ? Pourquoi elle nous traîne dans la boue ? » Mais regardez plutôt votre équipe ! Ils font tellement de conneries !
Il n’y pas que ça. Tu as choisi de publier la lettre, et ça les dessert.
Bien sûr. Surtout que j’ai déjà eu la même embrouille avec un autre géant du sport, 20 fois plus gros qu’eux. Tu vois ce que je veux dire ? J’ai eu la NFL sur le dos. Pas juste une équipe, pas juste les Giants : la NFL entière était après moi ! Et j’ai gagné. Alors s’ils veulent me poursuivre pour un maillot, qu’ils y aillent. C’est pathétique. Ce n’est pas un combat digne d’être livré en 2016.
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