corps humain et scanner cérébral
Collage : Matt Phillips | GIF : Jacqueline Jing Lin / Photos : Getty Images/fotografixx/Chris Parsons 
Santé

Sur le divan de l’algorithme

Le machine learning peut-il diagnostiquer les troubles mentaux et prescrire les bons traitements ? Peut-être un jour.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Les habitudes de sommeil de Meghan indiquaient que quelque chose n'allait pas. Certains jours, elle était excitée, heureuse et dormait à peine, tant son esprit bourdonnait d'idées et d'énergie créative. Puis, quelques jours plus tard, elle somnolait 13 heures par jour, trop déprimée et apathique pour même faire la conversation à ses amis ou à sa famille.

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Aujourd'hui âgée de 19 ans, Meghan présentait des symptômes d'anxiété et de dépression depuis l'âge de 12 ans. Mais ces grandes variations entre les hauts et les bas ont conduit à un diagnostic de trouble bipolaire en 2018. Un an plus tard, elle a décidé d'essayer un traitement. « Je ne savais plus quoi faire pour me donner envie d'être un être humain, dit Meghan, qui ne partage que son prénom pour protéger sa vie privée. Ce qui me faisait peur, c'est que les médicaments sont si généraux qu'on ne sait jamais ce qui va marcher pour vous. »

Son hésitation était justifiée. Bien que les médicaments puissent aider de nombreuses personnes à gérer leurs symptômes, il n'existe actuellement aucun test biologique permettant de dépister les maladies mentales, que ce soit pour aider à établir le bon diagnostic ou pour prédire le type de traitement qui vous conviendra le mieux.

Lorsque Meghan a consulté un psychiatre près de chez elle, au Canada, celui-ci l'a diagnostiquée à l'aide du DSM, ou Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, surnommé la « Bible » de la psychiatrie. Le DSM est un recueil de symptômes de santé mentale observés, classés par catégories (anxiété, dépression, schizophrénie, TOC, etc.). Pourtant, les professionnels de la santé mentale reconnaissent que si le DSM est la meilleure ressource que nous ayons, ses catégories ne sont pas toujours le moyen le plus efficace de recommander un traitement de manière fiable.

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La plupart des personnes souffrant de problèmes de santé mentale présentent des symptômes qui peuvent s'appliquer à de nombreux troubles différents. Prenez la tristesse, par exemple. Plutôt que d'être un indicateur d'un trouble spécifique, elle ressemble davantage à une fièvre : un signe général de détresse qui pourrait être causé par un certain nombre de maladies. Il en va de même pour des symptômes comme l'incapacité à se concentrer, l'anxiété et même les hallucinations. Pour compliquer encore les choses, les personnes souffrant de troubles mentaux peuvent souvent avoir plus d'un trouble, ou deux personnes souffrant du même trouble peuvent avoir des expériences très différentes. Pour qu'un diagnostic de dépression soit posé, une personne doit présenter cinq des neuf symptômes de dépression du DSM. Cela signifie que deux personnes souffrant de dépression peuvent avoir un seul symptôme qui se chevauche.

Il y a longtemps que l'on souhaite faire appel au cerveau pour obtenir des conseils plus judicieux sur ce plan, car, après tout, c'est de là que naissent nos émotions. Peut-être que deux patients dépressifs ont des phénomènes cérébraux différents et qu'ils ont besoin de traitements différents. Pourtant, ces deux patients vont recevoir un diagnostic de dépression et vont peut-être prendre les mêmes médicaments. Cela pourrait expliquer pourquoi seuls 25 à 35 % des personnes souffrant de dépression chronique sont capables de trouver un soulagement après avoir pris leur premier médicament.

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« Une approche de machine learning ne vise pas à supprimer la conversation humaine entre le clinicien et le patient en psychiatrie, mais simplement à y ajouter des données biologiques. Il reste qu’il faudra faire attention aux réponses fournies par les données et à leur pertinence »

Des recherches considérables tentent maintenant d'exploiter la puissance du Big Data et du machine learning pour une approche plus précise de la santé mentale. En créant des bases de données sur l'activité cérébrale des patients, un algorithme pourrait être en mesure de déterminer ce que les cliniciens ne peuvent pas faire seuls : en quoi le cerveau de cette personne souffrant d’une maladie mentale est-il différent de celui d'une personne en bonne santé ? À quel traitement son cerveau répondra-t-il le mieux ?

Nous sommes encore loin d'une mise en pratique. Les chercheurs tentent de déterminer le meilleur type de données à utiliser, d’entraîner correctement les algorithmes et ainsi éviter les biais humains qui occultent toute intelligence artificielle : lorsque nous, les humains, collectons, interprétons et prenons des décisions concernant les données, cela influence inévitablement ce que nos algorithmes apprennent. Les enjeux sont particulièrement élevés si l'on considère que nous formons les algorithmes à décider qui est sain d'esprit et qui ne l'est pas, à quoi ressemble un cerveau « normal » et ce que fait un cerveau malade.

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Certains chercheurs estiment qu'à ce stade, même avec le machine learning, nous ne sommes pas plus près de comprendre comment, et même si, le cerveau des personnes atteintes de maladie mentale diffère de celui des personnes en bonne santé. Certains cliniciens pensent que nous devrions oublier le cerveau et appliquer le machine learning à d'autres mesures, comme les données des smartphones ou les entretiens avec les patients, ce qui serait un moyen plus rapide d’utiliser les algorithmes pour aider les personnes atteintes de maladies mentales. Il est cependant admis que nous devons d'une manière ou d'une autre améliorer notre prise de décision en matière de santé mentale. « C'est là un tournant vraiment important que notre discipline doit prendre », dit Amit Etkin, neuroscientifique à l'université de Stanford.

Meghan a récemment mis son cerveau et l'activité de celui-ci au service de ces efforts. Elle a participé à une étude consistant à examiner les scanners cérébraux de personnes souffrant de troubles de l'humeur afin de former un algorithme capable de prédire les réactions d'un futur patient aux antidépresseurs ou aux stabilisateurs de l'humeur. Meghan a d'abord essayé le Prozac, et en a pris pendant environ deux mois. « Je me sentais comme un zombie, dit-elle. Parfois, j'avais l'impression d'être tellement engourdie que je ne pouvais même pas pleurer quand j'en avais envie. Rien ne m'intéressait. Je flottais en quelque sorte dans la vie. » Elle a arrêté son traitement. Elle est passée aux stabilisateurs de l'humeur, puis à un traitement de l’anxiété généralisée, puis à nouveau aux stabilisateurs de l'humeur.

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En 1976, un article a révélé que les personnes atteintes de schizophrénie avaient des ventricules cérébraux élargis, qui sont des cavités interconnectées dans le cerveau. Cette découverte « semble avoir fait entrer la psychiatrie dans une nouvelle ère où l’imagerie cérébrale permettrait d'identifier les troubles mentaux et, en fin de compte, de clarifier leurs mécanismes », lit-on dans un article paru en 2012 dans la revue Neuron.

Mais plus de trois décennies plus tard, nous n'avons toujours pas de biomarqueurs fiables, ou de signaux d'alerte biologiques, qui puissent aider au diagnostic et au traitement. « Comparée à de nombreux autres domaines de la médecine, la psychiatrie est l'un des plus laissés pour compte, malheureusement », déplore Xiaosi Gu, professeure en psychiatrie et en neurosciences à l'école de médecine Icahn au Mont Sinaï. Si vous allez chez un psychiatre, c'est très narratif. Vous avez une discussion. Il se peut qu'il vous fasse passer un entretien structuré ou remplir des questionnaires d'enquête. Mais il n'y a rien de biologique là-dedans. »

Une approche de machine learning ne vise pas à supprimer la conversation humaine entre le clinicien et le patient en psychiatrie, mais simplement à y ajouter des données biologiques. Il reste qu’il faudra faire attention aux réponses fournies par les données et à leur pertinence. Mettons que l'on recueille des données auprès de deux groupes de personnes : un groupe diagnostiqué avec un certain trouble, l'autre un groupe de témoins sains. Un algorithme pourrait être formé pour être capable de saisir les principales différences entre ces deux groupes, puis appliqué à un patient pour savoir s'il souffre ou non de ce trouble. Voilà qui pose un problème : si vous deviez apprendre à un algorithme à faire la différence entre des images de voitures et d'avions, vous lui présenteriez des images de voitures et d'avions, en lui disant lesquelles sont des voitures et lesquelles sont des avions, afin qu'il puisse faire la différence. De même, si nous voulons développer un algorithme capable de détecter la schizophrénie, nous avons besoin de beaucoup de personnes schizophrènes pour collecter des données et dire à l'algorithme comment les repérer.

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Mais les personnes atteintes de schizophrénie ont reçu leur diagnostic grâce au DSM. Lorsque nous les comparons aux témoins, même si cela conduit à l'élaboration d'un algorithme 100 % précis qui peut différencier les deux groupes, l'algorithme ne fait que reproduire les catégories du DSM, puisque c'est sur cette base qu'il a été formé.

Andrea Mechelli, professeur d'intervention précoce en santé mentale au King's College de Londres, appelle cela un cercle vicieux. « Nous ne savons pas exactement ce que nous cherchons, convient Vince Calhoun, ingénieur et neuroscientifique à l'université d'État de Géorgie. Nous ne savons pas nécessairement si la réponse est la bonne. »

Ce problème montre bien qu'il ne suffit pas seulement de former un algorithme et de collecter des données sur le cerveau. Selon Mechelli, pour être réellement utiles, les algorithmes doivent être capables de faire ce que les cliniciens ne peuvent pas encore faire, mais dont ils ont désespérément besoin : non seulement déterminer les troubles dont souffrent les patients, mais aussi prédire ce qui arrivera à ces patients à l'avenir, comment leur maladie évoluera et quels médicaments leur seront bénéfiques.

Il y a une dizaine d’années, Scott Martin, un homme de 46 ans originaire de Sacramento, a commencé à se sentir anxieux. Son médecin lui a prescrit de l’escitalopram pendant six mois. Le médicament l’a soulagé, mais il a eu des effets secondaires qu'il n'a pas appréciés, et il a donc progressivement cessé d'en prendre. Il y a environ cinq ans, il a commencé à ressentir un nouveau tourbillon d'émotions anxieuses et moroses, mais il était difficile de savoir exactement ce qui n'allait pas. « Je ressens beaucoup de choses différentes, et aucun des symptômes que j’arrive à identifier ne semble vraiment correspondre à un diagnostic en particulier », explique Martin. Depuis, il a essayé trois ou quatre médicaments, qui n'ont eu que peu ou pas d'effets positifs. Comme Martin, beaucoup de patients passent d'un traitement à l'autre faute de voir leurs symptômes s’améliorer. Dans les cas de dépressions graves ou de troubles psychotiques, cette absence de progrès peut entraîner la mort par suicide.

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« Ce qui est difficile, c'est de savoir si la personne va devenir bipolaire ou schizophrène. Aura-t-elle de multiples rechutes ou sera-t-elle stable ? Répondra-t-elle aux médicaments antipsychotiques et sa réponse durera-t-elle dans le temps ou fera-t-elle une rechute ? Les algorithmes qui sont utiles sont ceux qui permettent de faire des prévisions pour l'avenir  » – Andrea Mechelli, professeur en intervention précoce

Les algorithmes pourraient aider à résoudre ce problème. En recueillant des données auprès de personnes atteintes d'un certain trouble, et qui obtiennent de bons résultats avec un médicament spécifique, les cliniciens pourraient voir dans quelle mesure le cerveau d'un individu correspond à cet échantillon. S'ils sont semblables, cet individu pourrait se sentir mieux avec ce médicament également. S'ils ne correspondent pas, c’est qu’il faut peut-être aller dans une autre direction.

Calhoun et ses collègues s'y emploient actuellement : ils travaillent sur un algorithme qui examine les scanners cérébraux de personnes souffrant de troubles de l'humeur pour essayer de prédire leurs réactions aux médicaments.

C'est à cette étude que Meghan a confié l'imagerie de son cerveau. Les chercheurs ont observé comment les sujets réagissaient aux antidépresseurs et aux stabilisateurs de l'humeur. L'objectif est de pouvoir prédire plus tard quel type de traitement conviendra le mieux à des patients ayant un cerveau similaire, c’est-à-dire des patients présentant un enchevêtrement de symptômes pouvant indiquer une dépression ou un trouble bipolaire.

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L'algorithme a utilisé ces informations pour déterminer si une personne peut souffrir de dépression ou de trouble bipolaire, et lorsqu'il a été testé une nouvelle fois sur un nouveau groupe de personnes (qui avaient déjà été diagnostiquées avec l'un ou l'autre), l'algorithme était précis à 92,4 %. Pour 12 autres personnes dont le diagnostic n'était pas clair, l'algorithme a de nouveau été utilisé pour prédire le diagnostic et la réponse aux médicaments. Dans 11 cas sur 12, les personnes ont bien réagi au médicament suggéré par l'algorithme.

Dans le cadre de leurs recherches, Etkin et ses collègues utilisent l'électroencéphalogramme (EEG) pour essayer de prédire quelles personnes réagiront vraisemblablement le mieux à l'antidépresseur, le Zoloft. Ils utilisent les données d'une vaste étude de 2011, qui a recueilli des informations auprès de 309 personnes ayant essayé le Zoloft comme premier traitement. Martin a participé à cette recherche en mettant à contribution son activité cérébrale.

L'algorithme qu'ils ont développé examine l'EEG d'une personne dépressive et tente de prédire qui va réagir à un antidépresseur. Ils ont découvert que leur algorithme pouvait prédire qui réagissait au Zoloft, et ils ont ensuite reproduit leurs résultats à quatre endroits différents. D'autres travaux ont montré que les personnes qui n'ont pas bien réagi au Zoloft sont plus susceptibles de répondre à la stimulation magnétique transcrânienne, un traitement que Martin vient de terminer. « Du point de vue du clinicien, il est assez facile de voir si quelqu'un est malade ou non. Ce n'est pas vraiment utile, estime Mechelli. Ce qui est difficile, c'est de savoir si la personne va devenir bipolaire ou schizophrène. Aura-t-elle de multiples rechutes ou sera-t-elle stable ? Répondra-t-elle aux médicaments antipsychotiques et sa réponse durera-t-elle dans le temps ou fera-t-elle une rechute ? Les algorithmes qui sont utiles sont ceux qui permettent de faire des prévisions pour l'avenir. »

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Le cerveau d'une personne peut fournir de nombreuses informations. L'IRMf permet de mesurer l'activité du cerveau en visualisant le flux sanguin, tandis que l'IRM mesure la forme physique. L'EEG mesure l'activité électrique. Etkin explique que certaines données, comme l'IRMf ou l'IRM, sont meilleures pour écrire des articles ou raconter des histoires, mais pas nécessairement pour apporter aux patients l'aide dont ils ont besoin. Ces dernières années, son groupe est passé à l'EEG, qui est toujours une mesure du cerveau, mais beaucoup plus rapide (environ 20 minutes), moins chère et pouvant fournir beaucoup d'informations à un algorithme.

Toute utilisation de données sur le cerveau pour former des algorithmes devra tenir compte de la variabilité entre les différents groupes de recherche, tant dans les populations de patients que dans la collecte de données elle-même. Une IRMf ne se contente pas de prendre une photo du cerveau comme un appareil photo ; elle nécessite beaucoup d'analyse de données pour arriver au résultat final. Une récente étude internationale publiée dans la revue Nature l'a souligné : 70 équipes de plus de 200 neuroscientifiques ont toutes reçu les mêmes données d'IRMf, mais toutes ont effectué leur analyse de manière légèrement différente et sont arrivées à des conclusions différentes.

Tom Schonberg, neuroscientifique de l'université de Tel-Aviv et coauteur du document, explique que leurs résultats s'appliquent à toutes les branches de la recherche empirique effectuée par les humains. Lorsque des êtres humains sont impliqués, des variations se produisent, et la meilleure façon d'y remédier est une transparence radicale à chaque étape de la prise de décision. « Ces problèmes, il faut les traiter, dit Dave Schnyer, professeur de psychologie et de neurosciences à l'université du Texas, à Austin. Je pense que l’imagerie cérébrale a certainement été un peu surestimée. C'est une technique scientifique, et comme toutes les techniques scientifiques, elle exige que des humains l'utilisent et l'appliquent de manière rigoureuse. »

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« Les algorithmes peuvent être développés de manière à être très sensibles à un groupe de personnes, sans pour autant fonctionner sur un autre. On appelle cela l’« overfitting », ou sur-apprentissage »

L'article de Nature montre bien que nous devons comprendre les différentes analyses que les équipes peuvent effectuer, selon Schnyer. Ce qu'il faut, c'est une approche plus universelle et standardisée des données, ainsi que de l'ouverture et de la transparence dans la manière dont ces données sont traitées, avant de s'appuyer sur des algorithmes pour faire des prédictions compliquées.

En dehors du traitement des données, il est crucial que les données elles-mêmes soient représentatives, c'est-à-dire qu'elles doivent provenir d'un groupe suffisamment diversifié de personnes.

Si un algorithme a été formé sur des personnes âgées de 20 à 30 ans, d'une certaine origine ethnique ou socio-économique, et que la personne sur laquelle il est utilisé n'appartient pas à ce groupe, il ne fonctionnera probablement pas pour elles. « Dans ce cas, l'algorithme serait plus susceptible de faire une inférence incorrecte », dit Mechelli.

Les algorithmes peuvent être développés de manière à être très sensibles à un groupe de personnes, sans pour autant fonctionner sur un autre. On appelle cela l’« overfitting », ou sur-apprentissage. C’est ce qui se passe quand l'algorithme apprend quelque chose sur l'ensemble de données qui n'a pas grand-chose à voir avec ce que vous essayez de mesurer. Ensuite, lorsque l'algorithme est lancé sur un nouvel ensemble de données, il ne fonctionne pas aussi bien parce que les données qu'il mesurait auparavant ne sont pas présentes.

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Le risque est également de définir ce qu'est un cerveau « normal » ou « sain » en fonction d'un sous-type de personne spécifique. Selon Gu, c’est surtout vrai pour les études de psychologie plus anciennes, qui peuvent souvent avoir comme principaux participants des étudiants blancs en âge de fréquenter l'université. « Vous ne pouvez pas prétendre avoir un algorithme puissant à moins qu'il n'ait été testé sur un large éventail de données », dit-il. De nombreuses équipes de recherche, si elles disposent d'un grand ensemble de données, entraînent leurs algorithmes sur une moitié des données, puis les testent sur l'autre. Mais selon Schnyer, il ne s'agit là que d'un niveau de fiabilité parmi d'autres. La façon de s'assurer qu'un ensemble de données est vraiment précis est de le tester sur un tout nouveau groupe de personnes. « C'est cette dernière étape qui, souvent, passe à la trappe », dit-il.

Il existe des moyens d'adopter une approche algorithmique qui ne scanne pas du tout le cerveau. Spring Health, une solution de soins de santé à laquelle les employés de grandes sociétés comme Gap, Whole Foods, Pfizer et Equinox ont accès dans le cadre de leurs avantages, utilise le machine learning pour déterminer le type de thérapie ou de médicament qu'une personne devrait essayer. Au lieu d'utiliser l'imagerie cérébrale, Adam Chekroud, neuroscientifique à l'université de Yale et cofondateur de Spring Health, dit que l'on peut obtenir beaucoup d'informations des patients eux-mêmes.

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Chekroud s'est d'abord associé à des scientifiques prêts à partager leurs données. La société s'est développée et compte aujourd'hui plus d'un million de membres qui fournissent des informations à leur algorithme. Les patients passent des évaluations et remplissent de courts questionnaires en ligne qui permettent de suivre en permanence leurs progrès. Les évaluations ne sont pas très différentes d’une évaluation typique chez un psychiatre. La différence est que lorsqu'un nouveau patient arrive, l'histoire et l'expérience de chaque patient précédent, dans leur ensemble, sont prises en compte dans le choix d’un traitement adapté. « Au lieu de simplement prescrire au patient une thérapie ou un médicament comme le Lexapro, ce que nous allons faire, c'est passer en revue les milliers de personnes que nous avons traitées et trouver celles qui ont le même éventail de symptômes », explique Chekroud.

Dans un article paru en 2016 dans The Lancet, Chekroud et ses collègues ont constaté que leur approche pouvait aider les gens à se sentir mieux en huit semaines. Selon lui, si les données d'imagerie cérébrale sont importantes pour la recherche en science fondamentale, les autoévaluations sont plus accessibles en pratique clinique et peuvent aider les gens immédiatement. Les scanners cérébraux coûtent cher et peuvent être inaccessibles aux habitants des zones rurales. Il faudra peut-être des années, voire des décennies, avant de comprendre pleinement les fondements biologiques des maladies mentales ou de trouver un véritable biomarqueur de la schizophrénie ou des troubles bipolaires. Peut-être que le biologique sous-jacent n'est pas assez distinct pour aider au diagnostic, que les outils d'imagerie cérébrale dont nous disposons ne sont pas encore assez puissants, ou que nous n'avons pas assez de données.

« Admettons qu’un algorithme nous montre que le cerveau d'une personne dépressive présente des différences dans certaines zones par rapport à celui d'une personne saine, cela signifie-t-il que cette différence est à l'origine de la dépression ? »

« La communauté académique continue à chercher des marqueurs cérébraux et génétiques, principalement parce que tout semble indiquer qu'il existe un fait biologique, poursuit Chekroud. Ce serait bien plus cool et plus sexy s'ils pouvaient le comprendre comme un biomarqueur du cerveau. La vérité, c'est que le signal n'est tout simplement pas encore là. Je trouve que les données cliniques sont particulièrement intéressantes. C'est ce qui se rapproche le plus des symptômes. »

Schnyer admet qu'à court terme, il ne pense pas que le machine learning sera très utile pour révéler les mécanismes sous-jacents des maladies mentales. Admettons qu’un algorithme nous montre que le cerveau d'une personne dépressive présente des différences dans certaines zones par rapport à celui d'une personne saine, cela signifie-t-il que cette différence est à l'origine de la dépression ? Ou que la dépression est à l'origine de ces différences ?

Mais si l'objectif est simplement d'orienter la personne vers le traitement qui pourrait fonctionner le mieux, nous n'avons pas à répondre à cette question aujourd'hui. Nous pouvons continuer à faire des recherches sur ce point, sans avoir à choisir l'un ou l'autre. Grâce aux algorithmes, nous pouvons contourner ce que nous ne savons pas et éventuellement trouver un moyen efficace d'aider quand même. « Si tout ce que vous voulez faire, c'est prédire de manière fiable si un groupe de personnes réagira mieux à un médicament qu'un autre, vous pouvez entraîner un algorithme pour le faire, ajoute Schnyer. Même si vous n'avez aucune idée de la façon dont cet algorithme fonctionne. Cela va certainement être utile dans le cadre clinique. »

Cette recherche soulève des questions d'éthique. Comment dire à une personne qu'elle a un cerveau similaire à celui d’autres personnes qui prennent un traitement à vie ? Ou qu'elle a un cerveau similaire à celui de personnes souffrant de dépression résistante aux traitements ? Qui est responsable lorsqu'un algorithme se trompe ? Est-ce le médecin qui a décidé d'utiliser l'algorithme ? L'entreprise qui a développé l'algorithme ? Que se passe-t-il si un clinicien décide d'ignorer la prédiction faite par un algorithme et que cela s'avère préjudiciable pour le patient ? De plus, le learning machine par imagerie cérébrale ne serait-il pas trop axé sur la biologie, sur les changements physiologiques du cerveau, en négligeant les facteurs contextuels et sociétaux qui influencent la santé mentale ?

« C'est une bonne question, dit Devin*, 22 ans, originaire de Sacramento. On lui a diagnostiqué une dépression à 17 ans, juste après qu'elle a été acceptée à l'université. Elle a commencé par un antidépresseur, le Cymbalta, que sa mère a pris pendant la majeure partie de sa vie. Ses médecins ont pensé que parce que sa mère gérait bien ce médicament, il en irait de même pour Devin. Mais ce n'est pas le cas.

Devin a également pris part à l'étude d'Etkin. Elle espère qu'en y participant, quelqu'un à l'avenir n'aura pas à subir autant d'essais et d'erreurs qu'elle. Elle a finalement trouvé un soulagement à sa dépression grâce à la stimulation magnétique transcrânienne, et elle aurait aimé pouvoir y accéder directement. « J'aurais préféré ne pas avoir à attendre cinq ans », dit-elle.

Elle dit que tant qu'un ordinateur ne remplacera pas complètement un médecin humain, elle et d'autres personnes comme elle auront besoin d'autant d'informations que possible pour prendre des décisions difficiles en matière de soins. Cela ne se réduit pas à son seul cerveau. « Dire que notre monde mental est représenté par la biologie, en particulier par la neurobiologie, ne remet pas et ne devrait pas remettre en cause l'importance de notre environnement, dit Gu. Le cerveau n'est pas un organe statique. C'est l'organe le plus dynamique du corps, et il réagit constamment au monde extérieur. »

Un scanner cérébral ne remplacera jamais complètement une personne qui interroge et parle avec un patient. Calhoun envisage que les médecins puissent référencer rapidement des ensembles de données ou des programmes, et s'en servir pour guider leur prise de décision, et en faire un outil de plus dans leur arsenal. « Je dirais que l'outil le plus important reste le clinicien, la personne, l'humain, ajoute Mechelli. C'est plus puissant que toute autre chose en fin de compte ; cette relation, cette projection entre le patient et le médecin est probablement l'outil le plus performant que nous ayons à ce jour. »

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