Range Tes Disques est une rubrique dans laquelle nous demanderons à un groupe ou un artiste de classer ses disques par ordre de préférence. On commence aujourd’hui avec Jonathan Davis de Korn, qui nous présente les 11 albums de son groupe, de celui qu’il trouve le moins bon, à celui qu’il considère comme le meilleur.
11. TAKE A LOOK IN THE MIRROR (2003)
Noisey : Pour celui-ci, je ne suis pas étonné. Head avait déjà dit à plusieurs reprises qu’il le considérait comme le pire album de Korn.
Jonathan Davis : Ce disque, on l’a principalement écrit pendant qu’on était sur la route, en Europe. C’est le premier disque qu’on a produit nous mêmes et qu’on a enregistré directement chez moi. Head n’allait vraiment pas bien à l’époque et tout le disque était en réaction à Untouchables, qui était assez différent, mais ça n’a pas vraiment fonctionné selon moi. Ça reste un bon disque, il y a de bons morceaux dessus et ça m’arrive de le réécouter, mais c’est définitivement l’album de Korn que j’aime le moins.
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Tu gardes quand même de bons souvenirs de cette période ?
On s’est beaucoup marrés à le faire chez moi, avec Frank Filipetti. Toute la période d’enregistrement était cool. Mais on était complètement à côté de la plaque. Je ne sais toujours pas ce qu’on a essayé de faire avec ce disque.
10. KORN III: REMEMBER WHO YOU ARE (2010)
Celui-ci avait été présenté à sa sortie comme un disque de « retour aux sources », d’autant plus que Ross Robinson était de retour à la production.
Korn III a été un disque hyper dur à faire. Ce n’était déjà pas facile à la base, mais quand Ross s’est pointé, ça a été encore plus dur. Il m’a littéralement torturé. Je l’adore, hein, mais c’est comme ça qu’il arrive à ses fins. C’était un album très douloureux à enregistrer et il nous a fait endurer des trucs pas possibles, donc ouais, pas un souvenir très agréable… On a enregistré sur bandes et on a ensuite bossé sur Pro Tools, mais tous les edits ont été fait sur bande. On voulait revenir aux bonnes vieilles méthodes, sans click, ni rien. Mais tout était trop calculé, pas assez spontané, et Ross me poussait à faire des trucs qui n’étaient plus de mon âge. Il était impossible de recréer l’esprit de 1994 en 2009. On n’y est pas arrivés, même si le disque s’est bien vendu et qu’il était plutôt cool.
9. UNTITLED (2007)
A l’origine, The Matrix devaient produire ce disque mais ils ont abandonné en cours de route.
Oui, c’était assez bizarre. On a rempilé avec The Matrix après See You On The Other Side, et Atticus Ross était là aussi. Il y avait également David Lester, Terry Bozzio pour la batterie – j’en ai aussi joué sur ce disque, d’ailleurs. On était à fond, c’est un disque génial, peut être plus le plus arty qu’on ait jamais enregistré, mais on a fait de bien meilleurs.
Les passages atmosphériques sont assez surprenants.
On était sur une vibe un peu bizarre. [Rires] C’est notre disque ultra, ultra experimental. Mais je l’adore, hein, pas de soucis.
8. LIFE IS PEACHY (1996)
Beaucoup de gens considèrent Life Is Peachy comme LE disque de Korn, c’est donc assez surprenant de le voir classé aussi bas.
C’est un super disque. Mais il a été enregistré trop vite. On sortait à peine du premier album, on venait de finir une tournée de 18 mois et il fallait qu’on retourne en studio pour enregistrer sans attendre vu qu’on avait une nouvelle tournée déjà prévue, juste après. Il y a de super morceaux dessus : il y a « A.D.I.D.A.S. », « Wicked », et puis c’était notre deuxième disque avec Ross. Mais oui, on l’a enregistré trop vite, il est un peu bâclé. Mais ça reste un bon disque. J’avais un peu peur au moment de la sortie mais ça va, les gens ont aimé.
J’ai l’impression que le groupe était vraiment sous pression.
Oui, clairement. Il fallait qu’on transforme l’essai du premier album et on n’avait pas le temps. C’était dingue, c’était vraiment une course contre la montre. C’était hyper dur, mais j’étais complètement éclaté, donc je ne me souviens plus de grand chose. Je buvais énormément à l’époque. [Rires]
7. SEE YOU ON THE OTHER SIDE (2005)
Sur ce disque, j’ai l’impression que vous tentiez de faire quelque chose d’un peu plus accessible.
On a toujours été ouvert aux nouvelles idées, aux expérimentations, donc on s’est dit : hey, essayons de travailler avec une putain de team compositeurs. Des mecs de la pop. Qu’est-ce que ça pourrait bien donner, hein ? Ils ne changeront pas notre son, mais ils pourront sans doute nous donner des idées qu’on n’aurait pas eues. C’est comme ça qu’on s’est retrouvés à bosser avec The Matrix, qui nous ont sorti des trucs géniaux. C’était juste après le départ de Head, donc c’était un moment particulier. On avait presque l’impression d’être un groupe différent. Munky est allé en studio pendant deux semaines et il a enregistré des tonnes de riffs. Scott a collé les riffs sur des morceaux qu’il a enregistré dans son coin, après quoi on a bossé sur les mélodies avec Lauren. On n’avait jamais bossé comme ça, c’était totalement inédit pour nous. Mais ça a marché. C’est notre disque le plus pop, c’est sûr, mais je reste persuadé que c’était une super idée. Les gens ont hurlé de partout, mais on s’en foutait. On est des artistes. On fait ce qu’on a envie de faire.
6. THE PARADIGM SHIFT (2013)
Votre dernier disque en date, qui marque le retour de Head et sur lequel vous avez gardé un peu des influences dubstep de The Path of Totality. Ça t’a fait quoi de retrouver Head ?
C’était génial, mec. Je n’étais pas là durant les sessions de composition, parce que j’étais sous benzodiazépines pour essayer de me sortir de mes problèmes psy. J’en prends depuis longtemps et ça te démolit complètement. Ça reconnecte ton cerveau d’une façon et puis ça le reconnecte d’une autre façon juste après. J’étais complètement décalqué. Mais j’étais content de retrouver Head et de remettre un peu d’ordre dans ma vie. J’étais sous traitement depuis si longtemps… C’était un vrai soulagement d’en sortir. Si tu prends ces trucs trop longtemps, tu es obligé de les prendre toute ta vie après. Ce que je voulais sur ce disque, c’était prendre des éléments de The Path of Totality pour pousser le truc un peu plus loin. C’est vraiment un de mes disques préférés.
J’aime bien « Hater », qui est sorti juste après et sur lequel on retrouvait vraiment l’énergie des débuts.
Oui, on l’a mis sur la réédition, c’est un morceau qu’on a écrit en tournée. C’était un peu le « Faget » de 2014. A l’époque où le premier album de Korn est sorti, on traitait les gens de « faggots », le terme « hater » n’existait pas. Du coup, c’est comme s’il y avait eu une connexion inconsciente. C’est un truc qui touche tellement de monde… Et c’est le premier titre vraiment positif qu’on ait écrit avec Korn.
C’est un truc vers lequel tu aimerais te diriger ? Des textes plus positifs ?
Je suis un être humain, comme toi, il m’est arrivé des tas de saloperies, mais c’est la vie. J’utilise ma musique pour exorciser tout ça. Ce sont les choses sombres et horribles qui m’inspirent, d’habitude. [Rires] C’est ce qui me fait tenir, donc ça ne disparaîtra jamais de ma musique.
5. ISSUES (1999)
Pour moi, Issues me donne l’impression d’avoir été composé en réaction à Follow The Leader. Vous étiez énormes à l’époque, et vous avez tout à coup enregistré ces morceaux hyper agressifs, en mettant de côté de toutes les sonorités hip-hop qu’on entendait sur Follow The Leader.
Il en reste quelques-unes quand même, mais on avait décidé de travailler avec un producteur différent, Brenden O’Brien, et on sortait de Follow The Leader avec lequel on est devenus un groupe énorme. J’ai énormément bossé dessus, c’était le premier disque que je faisais sobre. Mais j’avais toujours des crises d’angoisse et des troubles d’anxiété généralisée à gérer. J’ai donc basé tout le disque là-dessus, sur mes problèmes. On a fait tous ces interludes avec Brendan, c’était vraiment génial. C’est un de mes disques préférés.
C’est clairement le mien, en tout cas. Tous les morceaux sont hyper directs, parfaitement construits. Il n’y a pas une seconde à jeter.
C’est ce qui fait la force de ce disque. Brendan allait à l’essentiel, il passait son temps à me dire des trucs genre « tu n’as pas besoin de cette partie, enlève là ». Il voulait que tout reste simple. C’est ce que j’aime avec Brendan, il te sort tout le temps des trucs comme ça. « OK, c’est cool ton truc, mais faut qu’on avance là ! C’est quoi la suite ? » C’est grâce à lui que le disque est aussi réussi.
4. FOLLOW THE LEADER (1998)
Une période très particulière. Vous devenez le plus gros groupe du monde, vous avez même gagné un Grammy. Ça ressemblait à quoi de jouer dans Korn en 1998 ?
C’était complètement fou, mec. Ce disque a bien failli me tuer. Rien que notre budget en alcool et en drogues, c’était insensé… On a claqué quelque chose comme 60 000 $ en picole pour enregistrer ce disque. [Rires] Après ça, j’ai laissé tomber l’alcool, ça allait trop loin. Dans un premier temps, on a écrit « Freak On A Leash » et « Got The Life » et une paire d’autres morceaux dans une salle de répète à Gardenia, ou un truc du genre. On a tout fait nous-mêmes et ensuite des tas de producteurs sont venus nous voir pour nous proposer leurs services, mais on a fini par choisir Steve Thompson. On l’a choisi lui, parce qu’il a fait ce qu’il fallait faire: il est venu nous voir avec deux caisses de Coors Light. Et il a eu le job juste à cause de ça. [Rires] On est ensuite allés en studio avec lui, mais même si c’était un mec super, ça ne marchait pas. Du coup, on a fait venir Toby Wright et il a arrangé le truc. C’était le premier disque qu’on faisait sans Ross. On n’aurait jamais pu faire ce disque avec Ross. Il nous aurait poussé vers des choses plus dures, plus émotionnelles. On adore faire ça et on adore ce mec, mais c’était le moment de passer à autre chose. Et on a eu raison.
Vous avez pensé quoi de l’étiquette nu-metal qu’on vous a collé à l’époque, en vous mettant dans le même sac que des groupes comme Limp Bizkit. Vous aviez vraiment l’impression de faire partie d’un vrai truc ou vous trouviez juste ça bizarre ?
Oh, le nu-metal. C’est marrant, parce que quand on est arrivés avec le premier album, personne ne savait comment nous cataloguer. On tournait avec tout le monde : No Doubt, Pennywise, Cadillac Trance, Sick of It All, KMFDM… J’aimerais bien rencontrer le type qui a inventé ce terme, nu-metal. Du jour où c’est sorti, on s’est ramassé ça sur le dos. Je ne comprenais pas. Déjà, pour commencer, on n’avait rien de metal. Ok, on avait de gros riffs, un accordage grave, mais pour moi, le metal c’est Judas Priest et Iron Maiden. C’est ça le metal, mec. Pour moi, on faisait du funk, du gros gros funk. Je voulais à tout prix me dépêtrer de cette étiquette. Et puis on est tombés sur Limp Bizkit, on les a emmenés avec nous en tournée et ils sont devenus énormes. Petit à petit, une petite scène s’est créée et on l’a consolidée par la suite avec le Family Values Tour.
Juste une question sur ce disque : « All In The Family », c’est arrivé comment ? Ce titre est complètement fou.
C’est le titre le plus débile que Korn ait jamais fait. [Rires] La drogue et l’alcool, mec… [Rires]
3. THE PATH OF TOTALITY (2011)
C’est quoi le premier truc dubstep que tu as entendu ?
Sûrement un morceau d’Excision. Ce type est incroyable. Il a tout simplement créé son propre style. Quand j’étais à Londres, il était encore dans une phase très dub, reggae, complètement différente. Et puis il est passé au metal. La première fois que j’ai entendu ça, j’ai complètement halluciné. Comment il fait pour mélanger ça ? C’était un des trucs les plus heavy que j’avais jamais entendus de ma vie. Du coup, je l’ai fait écouter à Munky, et il m’a fait « OK, essayons ça, on verra bien ce que ça donne ». La première personne que j’ai appelé, c’est Sonny Moore, Skrillex, pou rlui demander si ça le branchait de faire un truc avec nous. A la base, on devait juste faire un EP et je le connaissais de son premier groupe, From First to Last, il m’avait interviewé pour le magazine Revolver à l’époque et m’avait désigné comme son chanteur préféré. Il a accepté, il est venu, on a enregistré deux morceaux et je me suis dit qu’on devait retenter l’expérience avec d’autres producteurs. C’est comme ça qu’il m’a branché avec Kill The Noise, Excision, Datsik, Downlink, Noisia. C’était cool, parce que ça m’a ramené à ce que j’écoutais des années plus tôt, quand j’étais DJ. A la base, j’écoutais surtout du hip-hop et de la musique électronique, tu sais. Du coup, c’était logique pour moi, après toute ces années, de mélanger tout ça. On ne savait pas vraiment ce que ça allait donner mais le résultat nous a beaucoup plu et c’est aujourd’hui un de mes disques favoris du groupe.
Il a vraiment marqué le début d’une nouvelle ère pour Korn.
Complètement. On était arrivé au bout d’un truc, il fallait qu’on change. On a toujours été des meneurs, pas des suiveurs. On a toujours été ouverts aux nouvelles choses, aux expérimentations. Beaucoup de groupes ont peur de ça.
2. UNTOUCHABLES (2002)
Celui-ci, je sais qu’il a coûté très cher.
C’était juste après Issues et on voulait faire un disque vraiment, vraiment dingue. On est donc entrés en contact avec Michael Beinhorn, et son idée, c’était de faire un disque de rock unique en son genre, le genre que personne ne pourra imiter ou refaire un jour. Untouchables a coûté 4 millions de dollars. Aujourd’hui, ça semble dingue. Je voulais qu’on tourne un documentaire sur l’enregistrement de ce disque. On a dépensé tellement d’argent… Rien que l’installation et les réglages batterie ont pris un mois. Il y avait 50 micros sur le kit de batterie. La réalisation du disque a pris deux ans. C’était le premier disque enregistré en 96khz, le tout premier. D’habitude, les prises de chant me prennent entre un mois et deux semaines, mais là on a passé 6 mois dessus. Parfois, je faisais ma prise et Beinhorn me disait « rentre chez toi, ta voix n’est pas bonne ». C’est dingue tous les trucs qu’on a fait. Et à ce jour, ça reste le disque le plus massif et lourd qu’on ait jamais enregistré. C’était le top du top absolu du son Korn.
1. KORN (1994)
C’est là que tout commence.
Ouais, le disque qui a tout changé. À l’époque, il ne se passait rien de nouveau dans le rock, les choses stagnaient. Là dessus, se pointe une bande de gamins de Bakersfield avec un son hyper funky et un chanteur qui hurle tout un tas de paroles tordues… C’est vraiment un disque très, très sombre. Je ne l’ai vraiment réalisé qu’au moment de le rejouer, 20 ans plus tard. Ça a tout changé, mec. Et je dis pas ça parce que je joue dans le groupe. C’est à partir de là que tu as commencé à voir des metalheads en baggy ou en Adidas, c’était jamais arrivé avant.
J’ai toujours eu l’impression que le fait que vous soyez de Bakersfield a énormément joué dans votre son et votre identité. Vous étiez dans une position assez particulière : d’un côté, vous êtes à une heure de Los Angeles, de cette ville gigantesque, tentaculaire, avec tous ces excès et cette Histoire musicale incroyable, du punk/hardcore au hip-hop, et de l’autre ça reste une petite ville paumée, un peu redneck.
Complètement. C’est exactement ça, mec. J’étais à fond dans le hip-hop, Freddie aussi, James et Head venaient du metal, et on a tout mélangé sans se poser de questions. Un groupe de L.A. n’aurait pas fait ça. Il aurait sans doute réfléchi un peu plus avant. Mais à Bakersfield, soit tu étais junkie, soit tu avais engrossé une meuf et tu devais te trouver un job. Il n’y avait pas d’issue, la seule échappatoire, pour moi, c’était la musique. Mon père avait un magasin de musique et un petit studio, du coup je me suis mis à fond là-dedans.
Au moment d’enregistrer ce disque, vous vous doutiez que vous teniez quelque chose de nouveau, de différent ?
Ah oui, complètement, mais on n’avait aucune idée de comment les gens allaient réagir à ça. On ne savait pas s’ils allaient comprendre. Les histoires de ma vie de merde, mêlées à ce son, ce groove, ça donnait un truc magique. C’est ça, la musique. L’art dans sa forme la plus pure.
Korn a connu tellement de changements en 20 ans… Est-ce que ça vous inquiète ou, au contraire, est-ce que ça vous motive, pour la suite ?
Non, on reste motivés ! Je n’en peux plus d’attendre le prochain disque ! Je continuerai à faire ça jusqu’à ce que je n’en puisse plus. C’est comme ça. La musique signifie beaucoup trop pour moi. Je compte bien faire encore au moins dix disques, putain. [Rires] J’aurai toujours des trucs à dire. Je ne sais pas ce que j’ai fait, mais les emmerdes continuent à me tomber dessus quotidiennement. J’ai toujours la haine. [Rires] Et puis je vois à quel point ça aide les gamins que je raconte tous ces trucs. Ce n’est plus une question d’argent ou de célebrité. Ce qui compte, c’est que notre musique permette à des gens d’aller mieux. C’est pour ça que je continue. C’est pour ça que je suis toujours là.
John Hill sera toujours REAAAADDYYYYY. Il est sur Twitter – @JohnxHill