Il y a 30 ans, R.A.S. chantait « 84, génération de bouffons ! (bis, bis) », et je me suis souvent demandé ce qu’ils pourraient chanter aujourd’hui, en 2017, dans une ère où la bouffonnerie régit tous les domaines de la société. Eh bien il n’y pas besoin de se poser la question plus longtemps car R.A.S. revient, avec un nouveau mini-album, Pas le temps de regretter (n’y voyez pas de clin d’oeil à Lunatic, groupe également originaire des Hauts-de-Seine), dans lequel ils ont ré-actualiser des morceaux d’époque jamais sortis. À l’époque justement, R.A.S. faisait le pont entre différentes scènes, punk et oi! évidemment, puis plus tard hardcore avec la formation de leur projet parallèle 50 % déconne 50 % vitesse, Kromozom 4. La face A de leur premier 45 tours avait carrément des accents gainsbouriens (oui, oui) et son rock autour du bunker, cette façon de balancer des saloperies en grommelant, grossier sans jamais être vulgaire, concerné sans jamais être politisé. Leur premier et unique album, 84 (réédité depuis chez Euthanasie), reste toujours aujourd’hui l’un des meilleurs disques jamais sortis par des skinheads de France. Reformés depuis 3 ans, et à la veille de leur concert à Paris, on a demandé à Rémi (chanteur), Taki (guitariste) et Philippe (manager/label) de se repencher sur l’héritage laissé par le groupe.
Noisey : En quoi jouer de la oi! en 2017 diffère de jouer de la oi! en 1984 ?
Rémi : Tout est plus facile et démocratisé aujourd’hui : les studios d’enregistrement, l’ambiance générale beaucoup plus conviviale. A l’époque, il y avait beaucoup de dépouille dans le milieu, ce qui n’est plus du tout le cas aujourd’hui. C’est la même fibre mais il y a eu des évolutions musicales. Ce qui est drôle c’est qu’à l’époque on avait des groupes qu’on prenait pour référence et qu’aujourd’hui, c’est nous qui sommes devenus une référence pour certains. Je retrouve le même plaisir à retrouver mes potes du groupe et à passer un bon moment avec eux. C’est juste que la vie de chacun fait qu’on passe moins de temps ensemble. On est moins créatif qu’à l’époque c’est vrai, puisqu’on joue le même répertoire, mais c’est un plaisir partagé avec le public, avec qui on a renforcé notre lien par rapport à l’époque. Et pour moi, ça a du sens de continuer justement parce que ça a l’air d’en avoir pour le public.
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Taki : Rien ne prédestinait la oi! à perdurer dans le temps, mais il se trouve que la sauce a continué à prendre. Nous, on est ravis qu’une nouvelle génération soit en demande. En plus, vu à quoi ressemblaient nos derniers concerts avec leur lot de tensions et de violences, la fin du groupe nous a laissé un goût de frustration. Et là, on revient dans une scène à l’ambiance beaucoup plus sereine et détendue.
Les skins sont beaucoup plus acceptés aujourd’hui qu’ils ne l’étaient à l’époque, non ? J’imagine que porter un bomber et des docs devait relever souvent du parcours d’athlétisme…
Rémi : Les médias continuent d’assimiler systématiquement les skins aux fachos mais je crois que c’est en effet mieux perçu aujourd’hui. Il y a eu quelques documentaires sur l’histoire du mouvement skinhead un peu plus complets qui sont passés à la télé. Les gens font un peu moins d’amalgames. Et puis, il y a des éléments du look skin qui sont clairement passés dans la mode vestimentaire du grand public. Aujourd’hui, porter des Doc Martens, un Fred Perry ou avoir le crâne rasé a largement dépassé ce petit univers.
Taki : Moi j’ai l’impression que les gens ont toujours une méfiance et des à priori vis-à-vis des skins. Vis-à-vis des gens extérieurs à cet univers, on est quand même toujours un peu obligés de se justifier.
Rémi : En tout cas à l’époque, notre look ne nous a apporté aucun ennui parce que c’était avant le début de la médiatisation, notamment avec le reportage de TF1 en 1986. Les gens ne savaient pas trop qui on était et ce qu’on était, et encore moins du côté de Bois-Colombes ou d’Asnières. Le premier concert du groupe a eu lieu au milieu d’une cité à Gennevilliers, et tout s’est très bien passé.
Taki : C’est plutôt avec des petites frappes de province qu’on pouvait avoir des problèmes parce qu’on avait un look différent, que ce soit punk ou skin d’ailleurs.
Pour faire écho au titre « Mémoires d’un skin », il y a des concerts qui vous ont particulièrement marqués, dans le positif comme dans le négatif ?
Philippe – Dans les concerts de R.A.S. de l’époque, celui lors duquel R.A.S. et L’Infanterie Sauvage ont été programmés ensemble pour la première fois incarne certainement le meilleur souvenir, parce que c’était une vraie rencontre musicale et humaine. Pour les pires, ce sont les trois derniers concerts du groupe, marqués par des tensions, des démonstrations de force de la part de skins fachos qui voulaient interrompre les prestations, des saluts nazis, quelques coups de poings et une arme découverte par un service d’ordre.
Rémi : Depuis la reformation, les concerts parisiens, ceux de Rennes et de Montpellier ont été l’occasion d’un accueil très enthousiaste. Et le fait de jouer à l’étranger, en Suisse, en Allemagne, en Suède, est pour nous une grande première.
Parlez-moi des morceaux « Mort pour la France » et « LVF » qui ont pu être mal interprétés à l’époque. Alors que la pochette de votre premier et unique album était pourtant très claire !
Rémi : « LVF » a tout de suite été bien comprise. C’est même avec ce morceau que les ennuis avec les fachos ont commencé… Ce sont les morceaux du 45 tours, « Mort pour la France » et « Couleur de ta mort », qui ont parfois été mal interprétés et qui ont fait penser à quelques uns que le groupe était nationaliste… Certaines personnes ne comprenaient pas le premier couplet ou n’entendaient que le refrain du morceau, qui faisait « bleu blanc rouge ! », sans prêter attention au titre ou au sens général. À la sortie de l’album, les fachos ont nettement compris que nous n’étions pas nationalistes. Le fait de jouer à la Fête de L’Huma a fini d’enfoncer le clou.
Taki : Pour la pochette de l’album, on voulait symboliser le rejet des régimes dictatoriaux en personnifiant la jeunesse par un gamin au look à mi-chemin entre le poulbot parisien et le boot boy british, qui faisait un bras d’honneur à deux idéologies meurtrières.
Rémi : Je me souviens qu’on avait relooké le gamin en fouillant dans nos fringues.
En quoi « 84 » était une année si charnière en France ? Si vous deviez écrire « 2017 », vous parleriez de quoi ?
Rémi : À partir de 1983, Skrewdriver affichait totalement ses positions fascistes en Angleterre, et ont fini par vampiriser le mouvement. Un an après ça a été pareil en France. 1984, c’est l’année où R.A.S. et L’Infanterie Sauvage se séparent à cause de la montée des fachos dans le mouvement skinhead. Nous, on les subit, et chez L’Infanterie, le chanteur Géno est hélas happé par cette évolution… On n’aurait pas fait rempart en ne nous séparant pas mais le fait est qu’on a laissé le champ libre à une évolution qui a abouti à une scène marquée à l’extrême-droite à 90 %, avec des groupes comme Bunker 84, Légion 88, un label comme Rebelles Européens, etc. On a connu une période où punks et skins traînaient ensemble, ce qui ne sera plus possible ensuite. Aujourd’hui, il peut y avoir des groupes qui écrivent un morceau sur leur attachement à la France mais ça reste du patriotisme fraternel. À l’époque, ceux qui se disent nationalistes et portent l’écusson bleu blanc rouge sur l’épaule ont une conception excluante : tout ce qui est différent est à combattre pour eux. C’est cette omniprésence des skins fachos qui explique par opposition l’apparition des red skins français en 1986.
Taki : Depuis le livre d’Orwell, 1984, cette année-là était un peu devenue symbole de folles prophéties. Mais pour moi, 1984 fut juste une année comme les autres.
Rémi : Pour un morceau intitulé « 2017 », on a qu’à dire « l’année de la retraite » ! Plus sérieusement, avec l’âge on perd de l’insouciance et on gagne en esprit critique, donc on écrirait peut-être un meilleur texte.
Taki : J’essaie d’écrire un texte sur l’information en continue issue des nouvelles chaînes de télévision et d’Internet qui noie les gens actuellement, de telle façon qu’ils n’ont plus le temps ni le réflexe de faire le tri, et de se faire leur propre opinion. Du coup, des gens pensent tout savoir sur tout, sans recul sur rien, alors qu’ils en sont très loin.
Le titre « France profonde » a carrément donné son nom à une série de compilations de groupes punk français. En tant que banlieusards, quelle était votre expérience de cette « France profonde » ?
Rémi : J’ai vécu en Bretagne avant de vivre en banlieue parisienne. Dans les petits villages, je me suis battu plusieurs fois parce que des mecs ne supportaient pas ma dégaine punk. Aujourd’hui, c’est sans doute différent parce qu’avec Internet et le développement des transports en commun, c’est plus facile d’avoir accès à l’information, de voyager, de se tenir au courant de ce qui n’existe pas dans une petite ville.
Taki : Le premier noyau du groupe était formé d’étudiants. On était curieux de tout mais finalement on avait des intuitions et des interprétations de ce qu’était le monde populaire plus que des connaissances. Je pense qu’on ne savait pas grand chose de la France profonde finalement.
Philippe : Pour la petite histoire, c’est moi qui ait initié les deux premiers volumes de « France profonde » et j’avais pris ce com effectivement en référence au titre de R.A.S..
Et le label, Fomb, comment est-il né ?
Philippe : Il y avait dans le groupe une volonté de garder le contrôle de son image, des décisions. Le label Fomb Records est donc né au départ pour sortir les disques de R.A.S.. Puis, au fil des rencontres, des groupes amis, L’Infanterie Sauvage et Les Cafards, sont sortis avec la même étiquette.
Vous aviez d’autres expressions favorites ?
Rémi : Il n’y avait pas de mots particuliers, c’est juste qu’à l’époque on parlait beaucoup en verlan. D’ailleurs, après, dans le monde du travail, j’avais du mal à revenir à une expression normale et au boulot personne ne me comprenait…
Taki : Xavier disait toujours « iou » au lieu de « oui »… c’était drôle et ça m’est resté.
R.A.S. dans la rue, avant et maintenant
Contrairement à la majorité des groupes skin d’avant, vous abordiez d’autres sujets que la bière, la baise et la baston (d’« Alleluïa » à « Sectarisk » en passant par « Syndrome européen ») sans être vraiment politisés. C’était un travail d’équilibriste ?
Taki : Non, rien n’était pensé, c’était juste notre sincérité, l’envie de parler de plein de sujets. Encore une fois, tous ceux qui écrivaient des textes à l’époque, étaient étudiants. Nous n’avions pas à nous préoccuper à des combats liés au monde du travail. Du coup, on s’exprimait sur une palette large de sujets qui nous intéressaient. Et on avait parfois envie de textes sérieux.
Vous retenez quoi de cette vague « Chaos en France » ?
Rémi : Pour moi, l’étiquette Chaos en France appartient aux groupes de province qui ont été fédérés par le label Chaos Productions, avec une volonté de ne sortir que des groupes de province, parce qu’ils étaient exclus des quelques infrastructures parisiennes du fait de leur éloignement géographique. D’ailleurs, à part Les Collabos, parce que certains d’entre nous allaient en Bretagne, et Trotskids, parce qu’ils venaient à Paris, on n’a jamais eu de contacts à l’époque avec ces groupes.
Philippe : À tort ou à raison, l’Histoire retient de la « famille » Chaos en France des textes pipi caca, ce qui n’était vraiment pas la tasse de thé de R.A.S..
Quels étaient vos liens avec les groupes de l’époque comme L’Infanterie Sauvage par exemple avec qui vous vous êtes retrouvés sur un split bootleg des années plus tard ?
Philippe : L’Infanterie Sauvage a été vraiment le groupe le plus proche. C’était, au-delà de la musique, une histoire d’amitié, malgré la distance géographique, vu qu’ils étaient en Essonne, bien loin des Hauts-de-Seine. Il y aurait du d’ailleurs y avoir un disque commun sur Fomb Records, qui n’a pas eu le temps de voir le jour. C’est d’ailleurs tristement drôle que les deux groupes se soient séparés à quelques mois d’intervalle, pour une raison similaire, même si les conditions sont totalement différentes.
Rémi : On a été proches des Cafards aussi. On les avait connus en Bretagne avant de les retrouver en banlieue parisienne. Il y avait un bar à Enghien-les-Bains, où je traînais avec Les Cafards et Les Wampas, qui n’avaient pas encore sorti de disques.
Taki : On a eu aussi quelques contacts avec Les Cadavres et certains membres de Sherwood.
Certains de vos morceaux pouvaient parfois s’apparenter à du hardcore, très rapides et concis, on ne comprenait parfois rien aux paroles. C’est un genre qui vous influençait et qui vous a poussé à monter le défouloir Kromozom 4 plus tard ?
Taki : Depuis le début, R.A.S. mixe des influences punk et oi! mais ne s’est jamais considéré comme un groupe skinhead. D’ailleurs à l’époque, on n’a jamais revendiqué l’étiquette oi! non plus, on utilisait le mot « skunk » qui s’est un peu perdu et qui exprime un mix entre punk et skin. Kromozom 4 s’est formé parallèlement à R.A.S. en 1984 avec deux membres de R.A.S. et un membre de L’Infanterie Sauvage. Au départ c’était effectivement un défouloir punk hardcore à l’anglaise, et après la fin des deux groupes, ça a correspondu à une volonté de tourner la page « politisée ».
Une discographie complète de R.A.S. (Les Années Fombs) est sortie au Japon en 2014. Vous avez une fanbase là-bas ? Vous avez été énormément piratés d’ailleurs, sur tous les formats (CD, LP, K7), c’est un truc qui vous fatigue ou c’est le jeu ?
Philippe : Je cherchais à faire sortir un CD contenant tous les enregistrements studio du groupe et quelques bonus, pour les gens que ça pouvait intéresser. Mais le CD étant largement en perte de vitesse en Europe, c’est finalement un label japonais, Bronze Fist Records, qui a été OK pour le sortir. On ne peut pas parler de fanbase au Japon vu qu’il y a dû y avoir une cinquantaine de ventes là-bas… L’important c’était surtout de pouvoir vendre ce CD en France et dans le reste de l’Europe. Les cassettes pirates sorties après la séparation du groupe, à la fin des années 80 et dans les années 90, ont sans doute aidé, à une époque où on ne pouvait plus trouver les disques originaux, à maintenir de l’intérêt pour le groupe et à transmettre une mémoire. Les disques pirates à l’étranger c’est toujours compliqué de les stopper, quoiqu’un pirate russe ait accepté finalement de nous dédommager financièrement. Le plus préoccupant ce sont les pirates d’origine française édités alors que les rééditions officielles sont disponibles à volonté et à des prix très bas. Les gens finissent par se rendre compte que les pochettes, la qualité sonore et les informations contenues sont moins bonnes sur les disques pirates. Contrer le pirate français de R.A.S. ça prend du temps, mais la patience est une bonne alliée.
R.A.S. sur scène, avant et maintenant
Parlez-moi de la reformation de R.A.S. en 2014. Qu’est ce qui l’a motivée ?
Philippe : On la doit essentiellement à Xavier, choriste dans le groupe. Avec l’argent gagné grâce aux rééditions de la discographie du groupe, on avait fait une grosse bouffe réunissant tous les membres originaux et des amis de l’époque. À cette occasion, Xavier avait annoncé que des personnes pourraient être intéressées à booker le groupe s’il se reformait. L’idée a plané, a mis du temps à se concrétiser, et finalement, avec un mix de membres originaux et nouveaux, ça s’est fait. Pour le premier concert, le groupe n’était pas annoncé sur l’affiche, pour créer la surprise. Et puis ça continuera tant que les membres du groupe s’éclateront.
Où sont passés les membres de l’époque qui ne sont pas dans le line-up actuel ? Vous avez gardé contact ?
Philippe : Certaines personnes ont voulu faire partie de la nouvelle aventure, d’autres non. Mais le contact n’est pas rompu. Les anciens membres du groupe qui ne sont pas dans la nouvelle formation viennent en général aux concerts parisiens. Trevor, le bassiste d’origine, est même monté sur scène pour chanter « Alleluia », morceau qu’il avait écrit.
Vous sortez un nouveau disque en 2017, Pas le temps de regretter. Qu’est ce qui vous a poussé à le faire, les potes ?
Rémi : Carl de Komintern Sect a lancé une idée d’album auquel R.A.S. aurait participé. Du coup, quitte à aller en studio, on s’est dit « autant enregistrer plusieurs titres ». Cela s’est fait comme ça, naturellement.
Taki : Pour moi c’est toujours un plaisir de rentrer en studio. Et puis on terminait en quelque sorte un travail inachevé puisqu’il s’agit ici de cinq titres composés à l’époque, mais jamais enregistrés, dont deux dans les derniers mois du groupe.
Maintenant que vous êtes des hommes mûrs, est-ce que votre chanson « Jeunesse de la honte » a un autre sens pour vous ?
Taki : Je dirais qu’elle conserve toujours le même sens, et est de plus en plus d’actualité en vieillissant, on sait à quel point la jeunesse, du moins d’esprit, est précieuse.
Vous pouvez commander Pas le temps de regretter sur Dirty Punk.
R.A.S. sera en concert au Gibus samedi 25 février en compagnie de Special Duties, Gonna Get Yours et Outreau.
Rod Glacial gardera toujours sa jeunesse d’esprit. Même sur Twitter.