À la gloire de « Message à caractère informatif »

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Culture

À la gloire de « Message à caractère informatif »

Les deux fondateurs du meilleur show humoristique français de tous les temps viennent de réaliser un porno.

Le monde se divise en deux catégories. D'un côté, les mecs qui ne connaissent pas, n'aiment pas, ou se foutent de Message à caractère informatif. De l'autre, les mecs qui vénèrent Message à caractère informatif. Aimer Message à caractère informatif signifie plus qu'adhérer à un certain type d'humour. Comme les fans de The Office ou Eastbound & Down, vous pouvez être sûr que les vrais admirateurs de Message sont autant de mecs qui ont des points de vue identiques aux vôtres sur à peu près tout. C'est sans doute le show le plus drôle à avoir été diffusé à la télé française, toutes époques confondues. Et une inspiration pour pas mal de trucs bons ou mauvais à être passés ensuite.

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Entre 1998 et 2000, poussés par le directeur des programmes de Canal + Alain de Greff, les scénaristes Nicolas Charlet et Bruno Lavaine ont enregistré 350 sketchs d'une minute trente de Message. Les épisodes étaient diffusés au sein de l'ancienne émission phare de la chaîne cryptée, Nulle Part Ailleurs, à l'époque présentée par Guillaume Durand entre 19 heures et 20 h 30. Les sketchs reposaient sur une formule simple : repêcher de vieux films d'entreprise de la fin des années 1970, virer les dialogues originaux et les remplacer par des blagues. Cette formule a immédiatement fonctionné et a laissé une marque indélébile dans l'histoire de « l'humour Canal » – à l'époque au sommet, notamment avec Le Centre de visionnage d'Édouard Baer, également diffusé dans NPA.

Pour les 30 ans de Canal +, la chaîne leur a demandé de fournir un « programme anniversaire » inspiré de leur show original. Charlet et Lavaine ont donc écumé l'underground porno des années 1970 et 80 et réalisé un Message à caractère informatif long de 52 minutes sur le thème du porno vintage et intitulé Message à caractère pornographique, à la recherche de l'Ultrasex. Il sera diffusé ce soir, tard dans la nuit, parce qu'il montre pas mal de gens à poil.  J'en ai profité pour passer les voir à leur studio et leur poser plein de questions.

Extrait de Message à caractère pornographiqueImage via Canal +

VICE : Pour votre Message à caractère pornographique, vous vous êtes servi de milliers de documents datant des débuts du porno.
Nicolas Charlet : Exactement. On s'est enfermés pendant cinq mois pour regarder 2 500 films de cul. Ce qui fait une bonne moyenne de 30 par jour.

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Vous ne les regardiez pas en entier ?
NC : Non, heureusement. Grâce à toute une équipe de spécialistes, d'encyclopédistes, de collectionneurs et de cinéphiles, on a découvert le genre pornographique. Une plongée dans l'industrie du cul. Plein de sous-genres nous étaient inconnus. On s'est tapé toute l'évolution du porno, de 1974 à 1995. Ce sont les dates qu'on s'était fixées – l'âge d'or du X. La grande rupture intervient en '85, avec l'apparition de la VHS ; avant, les films n'étaient diffusés qu'au cinéma. C'est à ce moment-là que les premiers seins en silicone apparaissent, alors que les toisons disparaissent.

Bruno Lavaine : C'est le début du formatage du corps. Au début du porno, les corps étaient tous différents, le jeu des acteurs approximatif. On sentait une sorte de décontraction, sur les tournages tout le monde se connaissait.

Tout ça était encore très amateur, je crois.
BL : Carrément amateur, oui. Les mecs décidaient de tourner la vieille.

NC : Du genre, « on a une bonne idée de pitch : allez on y va ! Toi, tu vas te déguiser en extraterrestre, toi en cuisinier, et ça devrait être bon. »

Quel genre de films avez-vous sélectionné ?
BL : Les plus bizarres et les plus drôles. On a une affection particulière pour les boulards dans des vaisseaux spatiaux, desStar Warsavec des gens à poil. Les décors étaient horribles, parfois en papier crépon. On a aussi été initiés au porno japonais – il y a un film où l'on voit des tentacules de 8 mètres de long violer des femmes.

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Nicolas Charlet et Bruno Lavaine, photo via Canal +

Vous voulez dire, en lieu et place des pénis ?
BL : Oui, mais des pénis de 8 mètres de long, avec des petits calamars au bout qui crachent des trucs. On a maté quelques parodies de film aussi, comme Édouard aux mains de bites.

NC : On cherchait des raretés ultra-bizarres. Tous nos documentalistes se sont démenés pour les trouver.

BL : Ils nous dégotaient des trucs qui s'achetaient sous le manteau dans les années 1980. Du genre, des pornos en roller.

NC : Un espèce de jury dans un gymnase, où les mecs essaient de baiser en faisant du roller. Le truc, c'est qu'un acteur porno ne sait pas vraiment faire de roller. Ce qu'ils maîtrisent, c'est bander. Mais bander en faisant du roller est un truc totalement impossible. Donc ils passent leur temps à essayer de cacher leur demi-molle.

Vous avez cuté combien de films au final ?
NC : On en a sélectionné 130. À chaque fois, on a dû remonter aux ayants droit. Grâce à notre expérience en matière de détournement, on savait ce qu'on avait à faire en termes de recherches. Il fallait à tout prix éviter la comédie ; si l'ambition de la matière première est déjà comique, ça ne marche pas. On avait besoin de premier degré, de films « sérieux ». C'est pour cette raison qu'on travaille avec des films d'entreprise ou des films de cul. On adore quand les mecs jouent leur rôle. On veut des acteurs hyperimpliqués.

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Avant de travailler sur le Message à caractère pornographique, aviez-vous un semblant de culture porno ?
NC : Pas du tout. Mais pour être honnête, on a réalisé nos premiers détournements avec des films pornos, avant même les films d'entreprises de Message à caractère informatif. Ados, on prenait les films de Marc Dorcel et on s'amusait à les doubler.

Comment êtes-vous arrivés à cette conviction que mettre une cassette dans un magnétoscope et parler par-dessus avait une portée humoristique énorme ?
NC : Le premier film de Woody Allen, Lily la Tigresse, détournait déjà un film de série B japonais. On peut aussi penser à La Dialectique peut-elle casser des briques de René Viénet, qu'on a découvert il y a peu. Mais je crois que ce qui nous a poussés à faire ces films, c'est qu'on s'emmerdait à Versailles.T'es obligé de te trouver des occupations quand tu grandis là-bas.

Extrait de Message à caractère pornographique. Image via Canal +

J'ai l'impression que vous avez tous commencé en même temps – Phoenix, Air, Daft Punk, et vous.
NC : Je crois qu'une vague d'ennui secouait la ville. Soit on faisait du scoutisme, soit on faisait les cons en jouant de la musique soit, comme nous, en doublant des boulards.

BL : T'as des banlieues où t'as envie de t'en sortir. D'autres où t'as juste envie de sortir.

Avez-vous enregistré vos premiers détournements ?
NC : Bien sûr. On les avait enregistrés avec du matos où l'on branchait deux cassettes en même temps. C'était avant le numérique. On a continué pendant nos années lycée. Et puis un jour, un pote nous a expliqué qu'on pouvait en vivre

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C'est ça qui est bien à Versailles : il y a toujours des gens sérieux qui pensent à ce genre de trucs.
NC : Tu m'étonnes. On a commencé à bosser avec des maisons de disques – on produisait des conneries pour eux. Ils avaient encore des sous pour ça à l'époque. On réalisait des films d'entreprises.

Attendez, des vrais ?
NC : Exactement. Notre mission était de détourner des films X pour « motiver les forces de vente des maisons de disques ». Un boulot absurde. Les labels présentaient dans de grands séminaires les disques qu'ils s'apprêtaient à sortir. Pour que les gens ne s'endorment pas, ils programmaient aussi de petits spectacles. Beaucoup de comédiens ont commencé comme ça – Omar et Fred, par exemple.

BL : Ils nous donnaient carte blanche, ce qui est très agréable.

NC : On faisait des caméras cachées et des doublages de porno. On participait à trois séminaires par an. C'est dans ce cadre qu'on a commencé les détournements de films d'entreprises. Ça nous a permis de rencontrer Begbeider et Ardisson. Après on a engagé une documentaliste, on a rencontré Alain de Greef, l'ancien directeur des programmes de Canal +, et notre grande aventure à Nulle Part Ailleurs a débuté.

J'ai du mal à croire que Beigbeder et Ardisson soient venus vers vous en disant : « votre truc de parler sur des vidéos là, c'est génial. »
NC : Oui, c'est un peu plus compliqué que ça. On a rencontré Beigbeder qui faisait de la créa pub pour l'une des maisons de disques où l'on travaillait. Ensuite, on a collaboré avec Ardisson pour une chaîne qu'il comptait lancer : Free One. On a fait de l'habillage, de l'animation, etc.

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Le producteur qui bossait avec Ardisson nous a ensuite offert de bosser pour le Vrai Journal de Karl Zéro sur Canal +. On détournait des telenovelas [sitcoms d'Amérique latine] vénézuéliennes. Ce qui nous plaisait, c'était l'absurde et surtout, exploiter enfin nos films d'entreprise. Bruno Gaston, ancien rédac chef de NPA et Alain de Greef nous ont proposé une formule quotidienne sur NPA. On était en août, ils nous ont demandé de livrer la première émission une semaine après. Message à caractère informatif était né.

BL : On a recruté une équipe de stagiaires et de documentalistes. Ils devaient nous trouver des films au Canada, en Suède, en Allemagne, etc.

Berthier dans la tourmente, dans un épisode de Message à caractère informatif. Image via Canal +

BL : Bruno Gascio ou de Greef nous appelait pour dire qu'ils s'étaient bien marrés après la diffusion de l'émission – jamais avant. Aujourd'hui, les producteurs ont peur de vous engager. La confiance vient toujours après. Les producteurs de NPA souhaitaient faire une télévision de l'offre, plutôt que de répondre à une potentielle demande.

Pensez-vous que les humoristes avaient plus de liberté à la fin des années 1990 ?
NC : On connaît moins le Canal + d'aujourd'hui. En ce qui nous concerne, on avait une liberté totale. Personne ne regardait nos cassettes avant de les passer à l'antenne. On les envoyait parfois une demi-heure avant la diffusion. Pierre Lescure et Alain de Greef étaient assez rock'n'roll. Ils responsabilisaient leurs équipes, nous faisaient confiance. Alors qu'on était juste des gros branleurs.

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Le truc génial avec Message à caractère informatif, c'était cette double qualité d'être à la fois extrêmement drôle et de révéler un truc très triste : la vie en entreprise.
BL : On a choisi des vidéos datées de 1975 à 85, l'âge d'or du film d'entreprise. Le premier degré de ces films est jubilatoire. Les formes de narration nous permettaient beaucoup de choses. Il y a les faces caméra, où l'interlocuteur est forcé de garder ce côté très winner. Il faut imaginer la détresse de ces employés en train d'être filmés. Et puis il y a la fiction, qui permet de montrer ce qui ne fonctionne pas dans l'entreprise. En tout cas, c'est ce qu'on imagine – on n'a jamais écouté le son original des films.

Ah vraiment, même pas pour vous faire une première idée ?
NC : Non, jamais. Ce sont nos histoires qui comptent.

BL : Si on a choisi l'environnement de l'entreprise, c'est sûrement parce qu'on était frustrés de ne pas pouvoir y travailler [Rires]. Mais heureusement, on avait des copains qui connaissaient. Les gens ont beaucoup d'humour quand ils parlent de leur boulot. À l'inverse, les films d'entreprises vous montrent tout le contraire de ce que les gens pensent. Pour nous, c'était une matière première fantastique. Et puis, à cette époque, se moquer de l'entreprise représentait encore un gisement inexploité – Ricky Gervais et The Office n'étaient pas encore passés par là.

Extrait de Message à caractère informatif. Image via Canal +

L'humour de Message à caractère informatif repose beaucoup sur ce qu'on appelle les « éléments de langage », typiques de la vie professionnelle.
NC : On est effectivement fascinés par ces mots, on a parfois l'impression d'assister à une pièce de théâtre. Il faut être attentifs pour maîtriser ces éléments de langage. Tu les captes partout ; dans les bouquins, le métro, en parlant avec des potes. Pour ce faire, on a pas mal squatté La Défense – les cantines, les cafés – pour pouvoir discuter avec les employés et trouver des histoires. On a même fait des stages, là-bas – même si on n'y restait jamais plus d'une semaine, histoire de ne pas s'attacher aux mecs. Quand on a écrit le remake de The Office pour Canal, Le Bureau avec François Berléand, on a fait plusieurs séjours en entreprise. On y avait même envoyé les acteurs.

Pour Message à caractère pornographique, avez-vous adopté la même méthode ?
BL : On n'a rien changé. On n'aime pas trop conceptualiser l'humour.

NC : Je crois que ce qui a fait notre succès, c'est la façon dont les spectateurs se sont identifiés à Message. Ils se disaient : « Moi aussi, j'aimerais bien faire comme ces deux connards qui racontent n'importe quoi. »

BL : Pour Message à Caractère Pornographique, on a voulu garder cette connivence, ce côté fait à la maison. On s'est amusé à faire tous les bruitages à la bouche : les bruits de porte, les décollages de vaisseaux, les bastons… Si l'on devait qualifier notre style, je dirais qu'il s'agit d'un « humour de salon abstrait ».

Message à caractère pornographique sera diffusé sur Canal + ce samedi 8 novembre à 0 h 10.

Nicolas et Bruno donneront également une Master-Class « Message à caractère informatif » ce lundi 10 novembre au Palais de Tokyo.