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Emmanuel Mercier : Tout d'abord, j'ai pas mal de trajet avant d'arriver chez moi. J'habite à 40 kilomètres de mon lieu de travail, ce qui me laisse le temps de décompresser. J'écoute la radio ou de la musique à fond – en fait, ça m'occupe l'esprit et ça m'évite de trop réfléchir. C'est pareil quand j'arrive à la maison. Je passe très peu de temps sans être actif ; il faut toujours que je sois occupé par quelque chose, sinon j'ai tendance à déprimer un peu – même si ce n'est pas forcément en rapport avec mon boulot.Y a-t-il des moments où vous n'arrivez pas à vous départir d'une image particulièrement violente ?
Parfois, il m'arrive effectivement de tomber sur un cas qui me touche plus qu'un autre. Je n'ai jamais eu la moindre difficulté sur le côté technique du travail, tel un médecin qui a les mains dans le sang. Quand on est à la tâche, on a le recul nécessaire pour ne pas se laisser submerger par son côté gore.
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J'ai un métier très stressant – non pas en tant que nettoyeur de scènes traumatiques, mais en tant que gérant de société. J'ai parfois eu envie de tout plaquer. Heureusement, ma famille, mes amis et mes collègues sont là pour m'épauler. Grace à cet environnement positif, je n'ai jamais eu recours à des médicaments (à part pour des gastros résistantes !). Et j'en suis plutôt fier.Par contre, on étudie un partenariat avec une société spécialisée dans le suivi de personnes qui ont été confrontées à des scènes traumatiques. Parfois, je me dis que vider mon sac me serait bien nécessaire. J'en parle parfois à mes proches, mais ça tourne rapidement sur le côté anecdote et gore du métier, et non sur le ressenti. Un psychologue se concentrerait peut être plus sur ça et mes malaises. Aussi, je ne pourrais pas me permettre d'imposer ça à mon entourage !
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J'aime vraiment mon métier d'entrepreneur et, même s'il est parfois très dur, je tiens bon. En ce qui concerne le nettoyage de scènes dites traumatiques, je n'ai jamais pensé à arrêter pour une question de dureté de la tâche mais plutôt pour une question de temps. Car lorsque je fais du technique, je n'ai plus le temps de m'occuper des affaires courantes de ma société. Le danger pour moi est de passer trop de temps là-dessus, car je dois avouer que j'aime faire ce métier. Il m'enrichit d'histoires et d'anecdotes assez hors du commun. Rien que pour ça, ça vaut le coup.Avez-vous encore peur de la mort ?
J'ai évidemment peur de la mort. Je suis athée et, dans mon esprit, c'est le noir après la vie. Ça me met dans une peur panique ! La religion est pratique pour ça. Elle permet de se réfugier derrière l'idée que notre esprit continue à vivre au-delà de la mort.Après, je crois aux forces psychiques et à l'âme, mais toujours d'un point de vue scientifique. Je vois ça comme une source d'énergie qui nous est encore inconnue. Mais même si j'ai été souvent seul dans des lieux où un décès violent venait d'être commis, je n'ai jamais ressenti la moindre présence ou la moindre peur.Arrivez-vous encore à être « dégoûté » par un cadavre ?
Cela peut paraitre paradoxal, mais je n'ai jamais vu de cadavre de ma vie – mis à part celui de ma maman quand elle est décédée.Je ne suis confronté qu'à ce que laisse les pompes funèbres derrière elles. Leur travail est compliqué et je n'aimerais pas faire ce qu'ils font – comme eux n'aimeraient pas nettoyer ce que l'on nettoie. Je pense que le fait de ne pas voir le corps avant dédramatise la situation et nous permet de nous concentrer sur le côté technique du job. Après, il m'arrive de trouver des « morceaux oubliés » de personnes décédées, mais généralement nous nettoyons davantage les fluides !Avez-vous vu des collègues devenir fous à cause de la rudesse du job ?
Certains de mes collaborateurs ont déjà eu des nausées ou refusent de rentrer dans un logement. Je ne leur en tiens pas rigueur, car nous avons beaucoup d'autres activités au sein de la société. Personnellement, je n'ai jamais ressenti la moindre faiblesse par rapport à ça, mais je peux comprendre que cela puisse choquer. Étant arachnophobe, je comprends que certains se moquent de mes peurs comme je comprends que certains ne supportent pas ce que moi je peux supporter. Après, on essaie de discuter au maximum entre nous, en dédramatisant la situation, en s'amusant de détails et en faisant de ce moment quelque chose de convivial. Cela passe mieux et, même si on n'oublie pas, ça permet à tout le monde d'être plus serein avec le nettoyage qui a été réalisé et les images qui peuvent rester par la suite. Parfois, même longtemps après, il nous arrive de rediscuter de certains cas.De quelle manière aimeriez-vous partir, vous ?
Aucune idée, à part le plus tard possible et surtout avant mes enfants. Après, j'assumerai les épreuves qui me seront imposées.Retrouvez la série « 52 minutes pour vivre » sur VICE.com