De la difficulté de sortir dans un bar quand on est handicapé
Illustration de Deshi Deng

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Tribune

De la difficulté de sortir dans un bar quand on est handicapé

Des toilettes inaccessibles aux regards suspicieux, boire un verre avec des amis quand on est en situation de handicap peut être un véritable chemin de croix.

Depuis le début de ma carrière de journaliste, j'ai pu écrire au sujet des problèmes sexuels des handicapés – qui doivent bien souvent avoir recours à une aide sexuelle pour assouvir leurs besoins – mais aussi sur l'hiver, qui peut être un enfer lorsque vous êtes handicapé. En partageant mes expériences avec mes lecteurs, j'ai affronté mes peurs. Mais l'une de mes plus grandes angoisses est de me rendre dans un bar.

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La peur d'être jugé par les autres est quelque chose de plutôt commun pour n'importe quel handicapé. Même des personnes qui veulent bien faire peuvent parfois vous offenser avec leurs clichés ou leurs maladresses. « Tu fais tellement de choses ! », me dit-on lorsque je sors de chez moi. « C'est génial, tu écris pour VICE ? Je ne savais pas que des personnes handicapées pouvaient le faire. Cool de te voir sortir. » Merci, mais je suis censé faire quoi ? Je devrais rester dans un placard et attendre que le temps passe ? Juste parce que je suis handicapé, je n'aurais aucune envie ? Au final, qui en a quelque chose à foutre ? Je sais que la plupart des gens ne veulent pas être méchants, mais c'est quand même compliqué à gérer.

Pour mes amis handicapés comme pour moi, nous avons une peur viscérale d'être rejetés et d'échouer. Je me demande souvent ce qu'il se passerait si je rencontrais quelqu'un. Dès qu'une personne est sympa, je ne peux m'empêcher de penser qu'elle a le béguin pour moi. Sauf que comme d'habitude, ça se termine toujours de la même façon : je ne fais rien. Au lieu de faire face à mes peurs et de sortir, je préfère me plonger dans Netflix ou les jeux vidéo.

Mais récemment, une soirée a changé la donne. L'un de mes amis essayait de me sortir depuis quelque temps, et j'ai fini par dire oui, à l'usure. Il faut dire que j'étais en plein milieu de la rédaction de ma liste annuelle d'objectifs à atteindre, dans laquelle se trouvaient « essayer de nouveaux trucs », « ne pas laisser la peur te contrôler, « sois plus confiant et direct » mais aussi « tombe amoureux d'une personne qui t'aime aussi ». Nous sommes allés dans l'un des plus vieux bars de Vancouver, un genre de paradis pour backpackers où trônent des tables de billard entourées des branchés du coin. Habituellement, je ne vais jamais dans des bars, mais celui-ci est l'un de mes préférés parce que les mecs qui y bossent me traitent comme n'importe qui.

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Cette nuit-là, alors que j'étais déjà loin de ma zone de confort, j'ai voulu voir jusqu'où je pouvais aller et ainsi briser les stéréotypes. En d'autres morts : m'amuser. J'ai donc commandé un cidre, pour commencer.

Par contre, je dois vous dire un truc : je suis vraiment un poids plume. Peu importe ce que je bois, je dois me rendre aux toilettes toutes les cinq secondes. Trouver un endroit pour pisser est le début d'une longue aventure pour moi. Lorsque le bar ne dispose d'aucune installation pour les gens comme moi – ce qui arrive très souvent – je dois alors me tirer et trouver un café, ou n'importe quoi. De fait, je dois souvent me résoudre à pisser dans une ruelle.

Dieu merci, le bar en question a des toilettes adaptées. Ou du moins, à peu près adaptés. Car en fait, au lieu d'une pièce privée, il s'agit d'une chiotte située au milieu des toilettes pour hommes. Heureusement, je suis tombé sur deux Irlandais qui ont eu la gentillesse de garder la porte pour me donner un tant soit peu d'intimité.

Pour tout vous dire, je suis plutôt à l'aise à l'idée de me faire aider par une femme quand je vais aux toilettes, et ce depuis pas mal d'années. Lorsque j'étais adolescent, ce n'était pas la même histoire. J'étais terriblement nerveux qu'il m'arrivait de bander voire de jouir juste devant mon aide médicale. Mais il a bien fallu que je me rende à l'évidence : il n'y aura pas toujours un homme pour m'aider. Je devais m'habituer à me faire aider par une femme. Au final, je préfère me faire aider par une femme aujourd'hui.

Mais retournons dans le bar. Quelques dizaines de minutes plus tard, j'ai eu besoin de retourner aux toilettes. Cette fois, les Irlandais sympas n'étaient plus là, et je ne voulais pas aller les chercher. Je ne les connaissais pas, il était hors de question d'abuser de leur gentillesse. Avec mon pote, nous avons donc quitté le bar et recherché des toilettes. Cela nous a pris environ 45 minutes.

Cette recherche était épuisante, mais il est certain que ce n'est pas en restant chez moi que je vais rencontrer quelqu'un. Parfois, ce sont ces petites victoires – comme cette soirée – qui sont les plus importantes : passer du bon temps et être traité comme n'importe qui.