La boule à facettes a toujours été le symbole universel de la fête. Les fragments de lumière qu’elle renvoie sur le dancefloor nous indiquent que c’est là que les choses se passent. Les années se sont succédées, la musique a évolué, mais elle est restée immuable. Toutefois, ses origines restent floues. Beaucoup la relient aux années 70 et à l’explosion du disco mais le fait est qu’elle a vu le jour plus de 70 ans avant que Donna Summer ne balance son premier tube.
La première fois qu’on a parlé de boule à facettes, c’était en 1897 dans un numéro d’Electrical Worker, la revue d’une association d’électriciens de Charlestown, dans le Massachussets. Dans ce numéro, les membres de l’asso revenaient sur leur soirée annuelle et ses décorations les plus remarquables. Les initiales du groupe (N.B.E.W pour National Brotherhood of Electrical Workers) étaient enluminées par « des lampes incandescentes de différentes couleurs sur des grillages fixés au plafond de la salle » et une autre lumière (une lampe à arc en carbone, aujourd’hui très prisée par les amateurs de steampunk) éclairait une « boule réfléchissante ».

La véranda réservée aux malades de la tuberculose, dans un hôpital de Milwaukee en 1912, surplombée d’une boule à facettes. Photo via.
Si l’on en croit certaines archives, la boule à facettes est par la suite apparue dans différents lieux à fonction sociale. Près de 30 ans après que ces électriciens aient mis au point une « boule miroir » pour leur fiesta, l’inventeur Louis B. Woeste a déposé, en 1924, le brevet de ce qu’il nommait le « myriad reflector », où l’objet est décrit comme « une sphère — même si toutes les formes géométriques peuvent être utilisées — de préférence creuse, recouverte d’une multitude de petits miroirs. »

Après être restée dans l’ombre plus d’un demi siècle, la boule à facette sera remise au goût du jour grâce au disco. « Il y en a toujours eu, se souvient le célèbre DJ new-yorkais Nicky Siano. Mais on n’appelait pas ça boule à facettes. Quand j’ai commencé on appelait ça la ‘boule miroir’ car la transition avec le disco n’avait pas encoire été opérée ; c’est le magazine Billboard qui l’a ensuite appelé boule disco. »
L’une des premières rencontres de Nicky avec la boule à facettes s’est faite dans l’East Village, plus précisément au Loft, le club de David Mancusco, considéré Terre Sainte au royaume du disco. « J’avais seulement 15 ans et la manière dont fonctionnait la boule était vraiment surprenante. Il n’y avait pas d’autre éclairage dans la pièce, donc quand il n’y avait plus aucune lumière qui se reflétait sur ces petits miroirs, c’était le noir complet ».

La boule du Paradise Garage.
Siano a ensuite ouvert son propre club, The Gallery, et pour rivaliser avec celui de Mancuso, il fallait bien évidemment que cette boite ait une boule à facette. « Je pense qu’à l’époque, la plus grosse devait faire 60 centimètres de diamètre, mais on n’en voulait une encore plus grosse, une de 90 centimètres. On en a donc commandé une sur mesure, raconte Siano. Je me souviens juste que lorsqu’on l’a installée dans la boite, les gens ont commencé à la faire tourner et on a dû acheter un moteur spécial pour ne pas que le fil auquel elle était accrochée s’emmêle et qu’elle puisse tenir accrochée au-dessus de la piste. Ça n’a pas empêché les gens de continuer à sauter et à essayer de la toucher. »
Siano se rappelle qu’une fois, une boule à facettes d’un mètre vingt est tombée sur un danseur du Loft (rassurez-vous, le mec va bien). Et aussi du jour où Larry Levan avait sauté sur le dancefloor en plein set, et était grimpé sur un pote pour nettoyer méticuleusement les miroirs poussiéreux de la boule à facette. Levan aimait la perfection.

The Loft – Photo : Jennifer Czyborra
La boule à facettes a accompagné la montée du disco dans des villes comme Philadephie, Chicago, Montréal, San Francisco ou Paris. Il serait dur pour chaque ville de revendiquer les origines de la boule, mais après que Siano, Levan et Mancuso l’aient utilisée comme un élément fédérateur de la scène disco, et plus tard de la scène house, elle est devenue un élément incontournable des débuts du clubbing.
La fin du disco — qu’on peut situer après la Disco Demolition Night de Chicago et l’arrivée du sida — signait en même temps la fin de la décadence et du glamour des années 70. Au début des années 80, la ferveur disco s’est estompée mais la boule disco, elle, est restée. Toujours fixée au dessus de la piste, son statut a évolué. L’objet n’était plus systématiquement associé à la danse. Neil Young et Sarah McLachlan lui ont même dédié des albums (Mirrorball) dans les années 90 et, en 1997, pour la tournée PopMart, Bono et ses compères de U2 arrivaient sur scène en sortant d’une énorme boule en forme de citron.

U2 débarque sur scène dans un citron à facettes.
Au début du nouveau millénaire, la boule est redevenue un symbole de fête que ce soit dans le clip de « Murder On The Dance Floor » de Sophie Ellis-Bextor en 2001, ou dans le morceau « Shiny Disco Ball » de Who Da Funk sorti en 2002 qui en faisait l’apologie. En 2006, sur sa tournée Confessions, Madonna arrivait sur scène à bord d’une énorme boule à facettes descendant du ciel en chantant son titre « Future Lovers » avant de reprendre « I Feel Love » de qui vous savez. Une arrivée que l’outsider australienne Kylie Minogue plagiait allègrement lors de la tournée de son album X2008. Hormis la destruction qu’en faisait Justin Timberlake sur la cover de son album FutureSex/LoveSounds, la boule à facettes a toujours été un objet chéri au cours de ces quinze dernières années.
Aujourd’hui, pour acheter une boule à facettes il vous suffit d’aller dans n’importe quel Foir’Fouilles, mais à l’ère disco, s’en procurer une était loin d’être évident. Dans les années 70, Omega National Products produisaient plus de boules disco que n’importe quelle autre entreprise. Cette compagnie de Louisville dans le Kentucky fut la première à mettre sur le marché des miroirs pour couvrir différents objets allant du simple mur aux Rolls Royce.
« Notre compagnie s’est lancée au milieu des années 40. À la base, nous fabriquions des meubles, puis dans les années 50, on a commencé à faire des boules à facettes, raconte Roni Lehring, employé d’Omega depuis plus de 20 ans. On fabriquait déjà des miroirs art-déco à l’époque, puis on a eu l’idée de faire des miroirs pour couvrir à peu près tout, des poubelles en metal jusqu’aux étuis à cigarettes — on en a même utilisé sur les pianos de Liberace. Ensuite, on nous a contacté pour faire des boules à facettes. »


Le piano de Liberace et une Rolls Royce.
Lerhing raconte qu’à ses débuts, entre 20 et 30 jeunes femmes (c’était surtout le cas pendant la Seconde Guerre Mondiale) s’occupaient de la manufacture de ces boules à facettes, qui mesuraient entre 5 à 60 centimètres de diamètre. Beaucoup de commandes étaient destinées à des propriétaires de jukebox ou à des parcs à thèmes qui souhaitaient introduire les boules dans leurs attractions. « Les salles de danse, les pistes de patin à roulette et même les bars clandestins en voulaient, et comme nous étions les seuls producteurs, ils s’adressaient directement à nous. Avec le temps, le marché s’est ouvert, les entreprises étrangères s’y sont mises et on a commencé à vendre certains de nos moules à d’autres compagnies. »

Des grosses, des petites, il y en a pour tous les goûts chez Omega National Products.
Lehring déclare qu’à son apogée, Omega était à l’origine de 90 % des boules à facettes en circulation dans le monde. Une boule de 120 centimètres de diamètre se vendait alors 4 000 dollars (soit environ 3560 €), une très grosse somme pour l’époque. « La plupart des habitants de Louisville ne savaient même pas que la majorité des boules disco étaient faites chez eux » se souvient Lehring. Même si aujourd’hui, l’entreprise n’est plus la seule sur le marché de la boule, elle continue d’en produire. Omega affiche d’ailleurs toujours des boules à facettes aux fenêtres de son établissement. Hélas, la plupart des archives et photos des projets les plus éblouissants de ces 50 dernières années ont été perdues lors d’un déménagement des bureaux.
Aujourd’hui, Omega continue de fabriquer des miroirs flexibles, que ce soit pour la cérémonie des Oscars, ou les concerts de Madonna. L’entreprise reçoit régulièrement des demandes de boules à facettes customisées et doit souvent en refuser. Un client leur a récemment commandé un ballon de basket couvert de miroirs pour une bar mitzvah. La ville de Louisville leur a même demandé de battre l’actuel record du monde de la plus grosse boule à facettes, enregistré dans le Guinness Book. Alors qu’on connait surtout Louisville pour ses battes de baseball, ce record aurait fait d’elle la capitale mondiale de la boule à facettes, un statut qui lui reviendrait de droit. Omega a décliné notre requête et pour différentes raisons, Lehring n’a pas pu nous en dire plus sur le sujet.

Nile Rodgers et Rob Da Bank au Bestival. Photo :Victor Frankowski.
Pour le moment, le record est toujours entre les mains de Rob Da Bank, un DJ britannique qui, en plus d’être animateur radio, est l’organisateur du Bestival, festival qui a lieu tous les ans sur l’ïle de Wright. Pour sa dixième édition, en 2014, il s’est associé à la légende Nile Rodgers pour créer la plus grosse boule disco de tout les temps. Avec ses 2 500 miroirs, et ses trois étages de hauteur, cette boule écrasait celle du précédent record présenté en 2012 en Russie par la DJ Maya Jane Coles.
« On voulait créer une ambiance de folie pour la dernière soirée du festival qui avait lieu le dimanche. Nile était la tête d’affiche ce soir-là et on se demandait comment rendre la fête encore plus folle, rapporte Bank. On a trouvé des gars spécialisés dans l’organisation d’événements liés aux gros festivals— qui proposent ce genre de trucs avec des milliers de ballons de toutes les couleurs— et on leur a demandé de travailler sur le design. » La boule du Bestival est en fait gonflable et peut atteindre une hauteur de 4 étages en quelque heures.
Du côté de Brooklyn, la boule à facettes du Verboten est toujours l’élément central de ce club futuriste. Là-bas, on lui a même donné un nom : Jessica. « Ma femme Jen et moi, sommes tombés dans la dance music en allant dans des boites comme le Twilo, le Limelight ou le Sound Factory — que des lieux dotés d’une boule à facettes incroyable, nous a confié John Perez, co-propriétaire du club Verboten. Quand un DJ jouait ‘notre son’ on se retrouvait directement sous la boule pour entrer dans la danse. Pour paraphraser le Dude, c’est vraiment un truc qui rapproche les gens. »
Pour Gary Hunt, régisseur lumière du Verboten, la boule à facettes est un élément clé de son travail même s’il dispose de technologies bien plus avancées. « La boule à facettes a beaucoup plus de personnalité qu’un simple laser ou qu’une LED, c’est pour ça que j’ai fini par lui donner un nom, dit-il en parlant de Jessica. « C’est aussi l’un des effets hallucinogènes les plus sûrs jamais créés — ce qui peut, en partie, expliquer sa longévité. Jessica est une sorte de voix tombée du ciel qui incite les gens à mettre leurs problèmes de côté pour aller danser. »
Au plafond de la salle principale du Verboten, on retrouve plein de petites boules à facettes accrochées en hommage à Jeffrey Gamblero, alias Korn, graffeur new-yorkais proche des dirigeants du club, tristement disparu l’an dernier.

Jessica, la boule à facette du Verboten.
« J’ai créé le Disco Ball Universe Project en plaçant six boules à facette plus petites dans toute la pièce, avec pour chacune, un éclairage spécifique, nous a dit Hunt. Quand la salle est pleine de fumée, on a l’impression d’être dans l’espace et de flotter sur la musique. C’est vraiment une sensation difficile à expliquer. »
Au fil du temps, de nouvelles tendances musicales ont vu le jour, d’autres se sont éteintes, pendant que les nouvelles technologies sont venues chambouler la manière dont les lumières étaient utilisées en club. Malgré ça, la présence des boules à facettes est demeurée relativement stable. Dans un monde ou tout change si vite, comment la boule à facettes a-t-elle pu résister si longtemps ?
Pour la majorité des gens, la réponse est simple : la nostalgie. Les boules à facettes rappellent à tous cette époque où la musique n’était que fête et communion. La magie ressentie alors que chaque carreau de la boule rayonnait dans votre club préféré, procurant la lumière juste suffisante pour danser. C’est un peu comme visiter un endroit incroyable dans un quartier qui change et se gentrifie à vitesse grand V — peu importe ce qui se passe autour, vous savez que la boule à facettes sera toujours là pour vous.
David Garber est rédacteur en chef adjoint de Thump.
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