Il est encore tôt quand je prends le train de Bruxelles à Gand. Le soleil brille – les semaines pluvieuses du milieu de l’été sont enfin derrière – et je me sens comme une droguée au taf, avec cet ordi portable ouvert. Dans mon casque, j’écoute les dernières chansons du génie bicéphale qui se cache derrière les masques et le maquillage de Brik Tu-Tok. Tandis que les paysages du quartier ouvrier de Muide défilent, ma tête se met à bouger au rythme de Can’t Control Myself.
Au moment où j’entre dans le studio du groupe, après une balade dans Wondelgem, je suis accueillie par deux visages souriants, sous le soleil toujours présent. On s’installe à une table à l’extérieur et, avec en fond sonore les grognements du chat errant qui semble toujours traîner ici, on passe en revue leur été, ainsi que les photos de leurs vacances.
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VICE : Alors, ces vacances ?
Linde : Très occupées. On a commencé à tourner à la fin du mois de juin. On a fait un concert en France, ici à Gand, puis on est parti·es pour l’Allemagne.
Maxim : Ouais, en Allemagne, on a joué à Hanovre, au Glocksee. Ensuite, on a été au Fusion Festival, puis on est retourné·es en France.
Linde : Et puis on a aussi fait une pause, parce que là, on travaille dur sur le live du nouvel album. Ça sort fin septembre.
Intense.
Linde : C’était la première fois qu’on partait en tournée pendant dix jours d’affilée. Heureusement, on ne faisait pas que conduire, se lever, jouer, dormir et conduire à nouveau. C’était pas du tout aussi extrême que ce qu’on entend parfois concernant d’autres tournées. Au Fusion, on est arrivé·es un jour plus tôt pour nous acclimater, par exemple.
Vous avez préféré lequel de vos concerts ?
Linde : Le lieu à Hanovre était vraiment spécial.
Maxim : C’était un lieu anarchiste, une sorte de squat avec un public très mélangé, pas le genre qu’on puisse qualifier de hipster. Des jeunes et des vieux ensemble. L’Allemagne a aussi quelque chose de plus brut, et je pense que tu le remarques vite dans ces moments-là.
Linde : C’est un squat qui existe depuis des années et qui est rempli de studios, d’ateliers d’artistes, d’une crèche et d’un café – où on a joué. C’est géré par des gens qui le font pour de bonnes raisons, avec beaucoup de fantaisie aussi. Y’a presque pas ça ici, à Gand, sauf peut-être à des endroits comme De Koer. L’atmosphère était chaleureuse, en tous cas.
Maxim : Y’avait une fan allemande qui connaissait toutes les chansons. Elle est venue avec sa mère, qui avait encore la vingtaine on aurait dit – pas dans le sens négatif du terme . C’était comme si elles apprenaient l’une de l’autre. Elles explorent vraiment la façon dont elles peuvent faire la fête et s’amuser ensemble.
Vous pensez que les gens profitent encore suffisamment de la vie ?
Maxim : C’est le genre de choses que tu recherches constamment, je pense. Le fait d’être toi-même, dans sa forme la plus pure, sans se soucier d’une norme sociale. Ce qui rendait cet endroit libertaire, c’est que les gens s’y sentaient vraiment libres d’être ce qu’ils étaient, de la manière la plus cool mais aussi la plus austère.
Linde : On en veut peut-être un peu trop. Quand je me regarde, genre, je me dis que ce mode de vie ne fonctionne pas. On travaille tou·tes les deux beaucoup et y’a moins de place pour ce genre de liberté. C’est peut-être aussi quelque chose de très flamand ?
Tu veux dire qu’en Flandre, on est trop attaché à la mentalité du travail, en mode 9 à 5 ?
Maxim : C’est aussi un travail au sens large du terme : un travail sur tout, y compris sur soi-même. Travailler sur l’image de soi. Qui est-ce que je veux être, et ce genre de trucs. Je pense qu’on se met beaucoup de pression sur les épaules.
Linde : C’est vrai, même si je trouve que c’est difficile de parler du 9 à 5 parce qu’on est vraiment dans un secteur différent. On est occupé·es parce qu’on aime faire ça. Mais il faut aussi beaucoup travailler pour rester un·e artiste. On se limite pas non plus à Brik Tu-Tok, on a tou·tes les deux beaucoup de projets à côté.
Maxim : Brik Tu-Tok, c’est un peu notre refuge. Après, ça marche bien, mais ça demande du travail. Les tournées, c’est super amusant, mais ça implique beaucoup de choses : il faut s’assurer que le voyage est bien organisé, qu’on est prêt·es… Quand t’arrives à un festival comme Fusion, y’a pas grand-chose d’organisé. Tu sais pas toujours sur quelle scène tu vas jouer, comment y accéder…
Linde : Et puis on fait des économies d’énergie pour tout arranger et en avoir assez pour bien jouer le lendemain.
J’imagine la fatigue.
Linde : J’aime bien tout faire, mais c’est parfois du multitâche, alors que j’ai qu’une seule tête. Je comprends les nombreux cas de burnout dans notre secteur. L’être humain n’est pas fait pour tout donner tout le temps.
Ça doit être ouf de pouvoir se concentrer sur autre chose pendant un certain temps.
Linde : Oui. Mon copain a une fille de 9 ans et avec ça, j’ai réappris à « prendre le week-end ». Tu peux me trouver chez moi, à chiller dans le jardin.
Maxim: Et moi, je viens chez toi pour qu’on boive un petit prosecco !
Comment vous gérez l’idée que les gens se font parfois de la « vie d’artiste » ?
Maxim : Il faut être prudent·e, bien sûr, parce que je continue à penser que c’est un privilège de pouvoir faire ça. Je suis très reconnaissant de la vie que je mène. Mais y’a aussi beaucoup d’insécurités : est-ce que je fais ce qu’il faut, est-ce que je ne me mets pas trop en avant, est-ce que le travail est bien fait ? Douter et ruminer demande aussi de l’énergie.
Linde : Et on va pas se le cacher, c’est parfois compliqué sur le plan financier.
Ces derniers mois, vous avez eu le temps de faire d’autres choses ?
Maxim : Je fais toujours du théâtre. Cet été, j’ai joué au Theater Aan Zee avec deux représentations : une du Ballet Dommage et un solo que j’ai écrit, Nuggets.
À quoi ressemblait le Fusion Festival ? C’était aussi l’anarchie totale ?
Linde : C’est un festival assez important. Et comme l’a dit Maxim, c’était aussi un peu de débrouille. Mais c’est un endroit très cool.
Maxim : Ça se passe dans un ancien aéroport, transformé en lieu de festival à ciel ouvert. C’est rudimentaire, mais on se retrouve vraiment dans un univers différent. C’est incomparable avec ce qui existe en Belgique. Y’a pas non plus de barrières au festival, même pour empêcher le public de s’approcher de la scène.
Linde : Ouais, où était la sécurité en fait ? Y’avait un contrôle devant les coulisses, mais à part ça, rien. Et je me suis jamais sentie en danger. C’est cool, parce qu’à Pukkelpop, par exemple, c’était le cas.
Maxim : Y’a une grande casse, avec des voitures foutues, qui sont réparées d’une manière ou d’une autre pour qu’elles puissent encore rouler. C’est souvent des déchets militaires, avec des graffitis et des vitres cassées. C’est les moyens de transport du festival, ils traversent le public.
Linde : C’est vraiment fou. On a aussi pu se promener un peu ; y’a vraiment tout plein de trucs mélangés. Y’avait des DJs et des groupes, puis des scènes avec d’autres choses. C’est très varié. On passe d’un endroit à l’autre comme ça.
Vous avez rencontré votre public là-bas ?
Linde : Y’a eu pas mal de gens qui nous ont découvert grâce à Youtube, c’est cool.
Vous avez parfois l’impression qu’on attend de vous que vous ayez une activité sur les réseaux sociaux ?
Linde : T’es parfaitement conscient·e d’être un algorithme. C’est important de savoir quand tu publies, à quelle fréquence tu le fais, et que c’est pas simplement du genre « on publie un truc et les gens le liront ». Je trouve ce moyen de communication très difficile. Parfois, je me demande aussi pourquoi c’est si important de poster le soir du concert.
Maxim : J’aime bien faire ça, si on a vraiment quelque chose à poster. Si c’est quelque chose d’aléatoire ou qui n’a rien d’artistique, je suis moins chaud par contre.
Linde : C’est vrai que je peux comprendre. Pour d’autres groupes, je trouve que c’est cool de mettre en ligne un enregistrement d’une répétition, par exemple, ou de la façon dont la musique est enregistrée en studio. Mais parfois, les festivals demandent une vidéo pour la promo…
Maxim : C’est terrible. Mais ça peut aussi être lié à l’ego. Pour moi, Brik Tu-Tok est l’univers qu’on construit ensemble et les gens n’ont pas besoin de lire trop de Maxim là-dedans. Les questions qui se posent en coulisses me semblent un peu délicates.
Linde : Ça m’arrive aussi de me poser la question de savoir à quoi ça sert, comme avec Instagram. Est-ce que c’est pour se développer ou pour offrir quelque chose aux personnes qui nous suivent déjà ? Parfois, je me dis que les gens qui viennent à notre concert pour la première fois sont là parce qu’ils ont entendu parler de nous, qu’ils ont vu une affiche ou quelque chose du genre, mais peut-être aussi par le biais des réseaux sociaux ?
C’est un peu absurde de voir à quel point notre vie se passe en ligne de nos jours…
Linde : C’est vraiment fou. Aujourd’hui, tous mes contacts sont en ligne. Par exemple, si je cherche un endroit où dormir à Anvers, que j’envoie un message à tou·tes mes ami·es mais que personne peut m’aider, y’aura peut-être une personne sur Instagram qui pourra le faire. Et là, je réalise que j’ai même pas son numéro de téléphone. C’est ouf.
Une dernière question pour conclure : c’est quoi votre chanson préférée ?
Maxim : La tournée Live in Istanbul des Spice Girls. Ça vient de mon enfance, j’avais déjà envie de devenir une pop star à l’époque. Ce concert à Istanbul, c’était un DVD entier. Je l’écoute de temps en temps quand je fais la vaisselle, par exemple. Surtout l’ouverture de If You Can Dance, avec des feux d’artifice, très cool. Move Over c’est bien chouette aussi, elles enlèvent toutes leur costume en live à la fin. L’ensemble du spectacle est bien ficelé.
Le troisième album de Brik Tu-Tok, HOT GLUE, vient de sortir. Le duo présentera son nouvel album à l’Ancienne Belgique le 11 octobre et au Winter Circus à Gand le 16 novembre.