Comme le dit Colette, « les années “Hardcore”, un temps où tout était encore permis ». En même temps, comment les contredire ? La scène hardcore personnifiait alors le terme « cool » et se suffisait à elle-même. Parmi tous ces groupes qui émergaient au début des années 80, des mecs des suburbs arrivaient avec du neuf, un mélange entre l’attitude de Minor Threat et les riffs de Kiss. Des mecs qui allaient contribuer à l’avènement du crossover.
Les Crumbsuckers étaient originaires de Baldwin, Long Island. Ils avaient les cheveux longs et les têtes les plus innofensives du game. Dans leurs chambres de banlieue, les murs affichaient à la fois des posters de Van Halen et des Bad Brains. Auteurs de deux albums importants du NYHC des années 80, Life of Dreams en 1986 et Beast On My Back, aux influences plus metal, en 1988, ils ne bénéficieront pas de la même exposition médiatique que les Cro-Mags, Leeway ou S.O.D. et finiront par jeter l’éponge avant de se reformer en 2006, pour un concert sold out au BB Kings de NYC. Aujourd’hui, neuf ans plus tard, ils viennent d’annoncer un second concert au festival Black N’ Blue Bowl, qui se tiendra en mai prochain.
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En pleine préparation du nouvel album de son projet Darkhaus, le fondateur et bassiste du groupe, Gary Meskil (également fondateur de Pro-Pain) nous a consacré un peu de temps pour nous parler de cette nouvelle et ultime reformation.
Noisey : Je n’avais jamais réalisé que vous habitiez en Floride.
Gary Meskil : On est originaires de Long Island. La plupart d’entre nous ont grandi à Baldwin. Chris, le chanteur, est de Huntington. Mais au fil du temps, on s’est posé à différents endroits. Maintenant, on est tous en Floride. Le seul qui n’a pas suivi, c’est Chris. Je suis quasi sûr qu’il habite toujours à Long Island.
Comment vous allez faire pour répéter du coup?
Dans un premier temps on va répéter entres musiciens. En Floride, il y en a qui sont à l’est, d’autre à l’ouest. Donc je pense qu’on va faire une semaine de répète dans l’ouest, puis une semaine intensive dans l’est. On fera aussi un aller-retour pour aller voir Chris à New York. Ça va juste nous couter un peu d’argent mais rien d’astronomique. Et bien sûr après, il faudra voyager pour le show, mais on s’en inquiétera plus tard !
Quatre des cinq membres de la formation actuelle étaient déjà sur l’album Life of Dreams. Malheureusement, Dave Wynn ne pourra pas être présent sur scène mais il m’a dit qu’il aimerait faire une apparition en tant qu’invité. Pour le remplacer, on a pris Adam Phillips, le guitariste de Pro-Pain.
Dave ne veut plus s’investir dans le groupe ?
On en a pas mal parlé et il y a beaucoup réfléchi. Il pense qu’il n’a plus les épaules pour ça. C’est comme ça qu’il a terminé notre conversation « je ne veux pas participer à cette reformation et être un boulet pour vous. Je prendrais sûrement mon pied à jouer un morceau ou deux avec vous les gars, mais je ne pourrais pas assurer sur la durée. Je ne crois pas avoir encore le niveau aujourd’hui. »
C’est courageux de l’admettre.
Oui, Dave est un mec super. Ça aurait été dingue de revenir avec le line-up de Life of Dreams et de jouer au Black N’ Blue Bowl à New-York. C’est un vrai rêve qui se réalise, ça va bien au-delà du simple concert. Mais bon, ça n’arrivera pas. On est quatre sur cinq, c’est déjà pas mal. Je pense que ce sera une super soirée quand même, Adam est un bon guitariste. On a vraiment hâte de tous se retrouver, de bosser ensemble et de revenir sur scène en mai.
La dernière fois que vous avez joué, c’était en 2006, pour les 20 ans de votre premier album justement. Cette fois-ci, c’est pour un événement en particulier ?
Depuis 2006, on nous demande souvent quand on va se réunir à nouveau. Le concert de 2006 a été un vrai succès, la salle était pleine au BB Kings de New York. On ne savait pas trop quoi penser. On se disait que les gens nous avaient oubliés. Le groupe était inactif depuis plusieurs années et on ne savait pas si on réussirait à remplir une telle salle. Mais notre agent de l’époque nous a convaincu que la salle était parfaite pour le show. Depuis, on nous le demande sans cesse et Freedy Cricien (le chanteur de Madball), qui s’occupe de booker les groupes au festival Black N’ Blue Bowl, me l’a également demandé. L’an dernier, c’était impossible car j’étais en tournée avec mes autres groupes. Cette année, on a vu que ça pouvait se faire. Donc j’ai dit à Freddy, « laisse-moi gérer ça, je vais contacter les gars et je te tiens au courant. » Les gars étaient motivés donc c’est parti.
Vous vous êtes réunis en 2006, bien avant toute cette vague de reformations. Vous pensez quoi de tout ça ?
Si c’est pour une bonne raison, pour les fans, et pas pour les ronds, alors oui, je suis totalement pour. En plus de ça, il faut que le groupe donne vraiment tout car si c’est pour donner un concert de fillettes, ça ne sert à rien. Je pense qu’on a vraiment fait du bon boulot en 2006 et les retours étaient vraiment bons. On peut remettre ça sans problème cette année au Black N’ Blue Bowl, on jouera comme au bon vieux temps. Et nos fans pourront profiter de nous une dernière fois.
Pour moi, un artiste ou un groupe qui revient pour des raisons financières a tous les droits de le faire. Si le mec a travaillé pendant une bonne partie de sa vie sur un truc, il peut en faire ce qu’il veut. C’est son affaire, celle de personne d’autre.
Ouais, pas faux.
J’ai l’impression d’être le seul à penser ça.
Je ne suis pas sûr… Je pense que pour un fan, il n’y a rien de mieux que de voir son groupe favori remonter sur scène. Les gens aiment la nostalgie, ils aiment revivre leurs vieux souvenirs. Et je trouve ça cool d’un côté. J’ai vu quelques groupes se reformer et tu as raison, c’est un choix qui leur appartient. Ça ne regarde qu’eux, peu importe la raison.
Tu crois que c’est vraiment la der des der ?
On n’a pas prévu de relancer le groupe, ni de faire de nouveaux morceaux. Le seul truc qu’on a prévu c’est le Black N’ Blue Bowl. Je pense que ce sera la dernière fois que le groupe jouera. On a chacun a nos propres projets. Chris est tenté de revenir sur scène en tant que chanteur hardcore. Ça fait tellement longtemps qu’il n’est plus dans le game, ça doit être vraiment difficile pour lui.
Il fait quoi aujourd’hui ?
Il est paysagiste et d’après ce que j’ai compris, il est aussi dans le textile. L’aménagement de paysage, c’est un truc qu’il tient de son père. Ils font plein de trucs, ils s’occupent d’autoroutes, de choses comme ça. Et comme je l’ai dit, il est dans le textile mais je ne saurais pas dire exactement ce qu’il fait. Ça lui prend beaucoup de temps, j’en suis conscient, et il a une famille aussi. Une grande partie d’entre nous fait toujours de la musique. Chuck Lenehan et moi-même on est dans plusieurs groupes à la fois et ça nous prend pas mal de temps. Dan Richardson lui, bosse dans le transport. Il gères des bagnoles et des limos dans plein de villes, et c’est pareil, ça lui laisse très peu de temps libre, il est toujours pendu au téléphone. C’est vraiment dur de se réunir, c’est pour ça qu’on ne prévoit rien après cette date en mai. Si les gars veulent continuer à faire des concerts après ça, alors on en fera peut-être d’autres, mais pour le moment, il n’y a rien de prévu.
Ok, ok. J’avais eu la même conversation avec les mecs de Rorschach. On leur proposait de faire plusieurs dates, mais ils avaient tous une famille et ne pouvaient plus se permettre de faire ce genre de trucs.
Ouais, c’est dur. Quand tu refais un concert, et que tu regardes ton cachet tu te dis « ah ouais ça fait un bon billet quand même » mais quand tu dois repartir sur les routes tu as tous les frais à payer, et au final, tu dépenses tout. C’est plus par passion que pour l’appât du gain.
Sur Life of Dreams, les morceaux sont intemporels et ils frappent encore juste aujourd’hui. Par contre, la référence à Ronald Reagan, vous l’avez gardée ou modifiée ?
Je pense que la date des événements politiques importe peu. On va le faire aussi proche que possible de la version originale. Et ceux qui connaissent les lyrics esquisseront un petit sourire comme ils l’auraient fait à l’époque.
Reagan est une pourriture éternelle, donc les lyrics fonctionnent toujours.
Exactement ! On fait en sorte que l’héritage se perpétue. Voyons ça comme ça.
Vous étiez l’un des premiers exemples de crossover hardcore/metal. Vous en étiez conscients à l’époque ? Ou ça s’est fait tout seul ?
On n’avait aucune idée de ce qu’on faisait. Je pense que tout ça est lié à notre environnement. Je commençais tout juste à me mettre au hardcore/punk, j’écoutais « Noise the Show » sur la radio NWYU. C’était une bonne émission d’ailleurs. C’était un peu la bande-son de mon adolescence. Ecouter cette musique m’a poussé à créer mon propre groupe. J’ai aussi commencé à aller aux concerts à New-York. J’ai vu les Misfits, les Bad Brains, des groupes comme ça, tous les premiers grands groupes de punk et d’hardcore.
T’avais quel âge ?
14 ans. Et j’ai créé les Crumbsuckers à 15. À Long Island, je ne connaissais pas beaucoup de musiciens qui aimaient les mêmes trucs que moi. Mais je connaissais des gars qui voulaient monter un groupe. Et ces mecs étaient autant fans de Van Halen que de Minor Threat. On a commencé en jouant des reprises de certains morceaux des Misfits, ou des trucs super récents de Black Flag, puis très vite, on a écrit nos propres morceaux. On a mélangé différents ingrédients de différents styles et on en a fait un bon arrangement. On a fait en sorte que ce soit le chanteur qui transmette tout ça et c’est devenu notre signature. D’autres groupes mélangeaient déjà les styles comme D.R.I. Ce n’est pas pour rien que leur deuxième album s’appelle Crossover. Et le groupe le plus célèbre du genre est évidemment S.O.D.
La diversité est un truc qui colle bien à New-York. Je pensais que D.R.I. ou Corrosion of Conformity étaient plus connus.
D.R.I. jouait bien avant qu’on débarque ouais, leur premier disque était super super thrash, ils jouaient à une vitesse incroyable. Je pense que c’était l’époque où le frère de Kirk jouait avec eux. Leur EP Dirty Rotten Imbeciles était un de mes disques préférés quand j’étais ado. Après, ils ont encore plus mélangé les styles avec des albums comme Four of a Kind. Ils amenaient leur influence metal. C.O.C. étaient dans un délire plus thrash, ils faisaient leur truc. Je pense qu’à l’époque, tous les groupes aimaient Black Sabbath et étaient inspirés par leurs rythmiques. C’était un truc récurrent de s’inspirer les uns les autres.
Tu te rappelles de ton premier album metal ?
Le premier disque que j’ai acheté c’était Rock and Roll Over de Kiss.
C’est de là que tout est parti.
C’est toujours un grand album aujourd’hui. C’est vraiment dur de rivaliser avec les premiers albums de Kiss. C’est le rock le plus excitant qui existe. Ensuite, je suis passé à des trucs plus lourds. J’ai fini par avoir toute la discographie de Sabbath et par écouter beaucoup de Judas Priest et de Iron Maiden. Puis j’étais un grand fan de thrash de la côte est, enfin de ce qui se faisait entre la côte est et le Midwest.
J’imagine que Long Island dans les années 80 était un endroit particulier.
Ouais, carrément. Moi et mes potes, on se pointait tous les dimanches aprem au CBCG, pour nous c’était un échappatoire, ça nous sortait du quotidien. C’était en contraste totale avec la vie qu’on connaissait à Long Island. On venait des quartiers, et on profitait de ce que le centre-ville avait à offrir. Les week-ends, on sortait dans le Bowery et on vivait un peu plus dangereusement. On pensait que ça faisait de nous des mecs cools.
Vous ne faisiez pas partie de la bande des Doc Marten’s Skinheads (DMS) ?
Non, au début, on était les petits gars de Long Island. On a pris du temps pour tout comprendre et se faire une place au sein de la scène hardcore. C’est Roger d’Agnostic Front qui nous a donné la possibilité de faire notre première scène à Manhattan. Au CBGB, en 1981, il me semble. C’était nos tout débuts à Manhattan. Ensuite, on a pris du gallon et c’est devenu de plus en plus facile pour nous de jouer à New-York. On a fait de plus en plus de concerts au CBGB. Tout ce qu’on nous nous proposait, on le faisait. Et on a rendu la pareille en bookant nos groupes new-yorkais préférés dès qu’on le pouvait. On a fait jouer pas mal de trucs cools d’ailleurs.
Tu penses que vous vous êtes fait plus de potes après avoir monté votre groupe ? Vous aviez moins l’air de touristes.
Je pense, oui. On avait un terrain de jeu commun. On pouvait faire écouter les trucs qu’on faisait aux gens et, à l’époque, la scène avait un vrai esprit de camaraderie. Puis on s’entraidait tu vois, on échangeait des dates. Je pense qu’on a contribué à l’extension de la scène en dehors du centre en organisant des concerts au Right Track Inn de Long Island par exemple. La scène hardcore et punk prenait de plus en plus d’ampleur et beaucoup de groupes ont commencé à se former.
Il y a un groupe de l’époque qui pour toi n’a pas été reconnu à sa juste valeur ?
Je dirais dirais les Nihilistics. J’aime vraiment ce groupe, mais ils ont toujours été considérés comme le mouton noir du hardcore ! Pourtant ils étaient très bons, ils faisaient leur truc et on leur a pas accordé le crédit qu’ils méritaient. C’est un groupe qui mérite vraiment d’être redécouvert et diffusé plus largement.
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