Cet article a été initialement publié sur Broadly.
Si les fake news semblent être un phénomène relativement nouveau, elles existent depuis plus longtemps qu’on ne le pense. Il y a exactement cent ans, la plaisanterie anodine de deux fillettes a échappé à tout contrôle et dupé le monde entier, y compris des membres très respectés de la haute société britannique.
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Nous sommes en 1920, en Grande-Bretagne. Elsie Wright, 16 ans, et Frances Griffiths, neuf ans, sont deux jeunes cousines qui habitent Cottingley, une petite banlieue du Yorkshire. Elles jouent souvent près du ruisseau qui borde le jardin d’Elsie, et rentrent à la maison avec les vêtements trempés. Leur excuse, quand leur mère les réprimande, est qu’elles vont dans l’eau pour « voir les fées ». Un jour, le père d’Elsie, photographe amateur passionné, décide de leur prêter son appareil afin qu’elles prouvent la véracité de leurs propos. Le reste appartient à l’histoire.
La célèbre série de cinq photos qui en résulte, désormais exposée au National Science and Media Museum de Bradford au côté de l’appareil utilisé, suscite l’attention des médias et du célèbre spiritualiste Sir Arthur Conan Doyle, auteur de Sherlock Holmes. Le père d’Elsie ne croit pas en l’authenticité de ces petites créatures offrant des fleurs aux deux fillettes – la mère, en revanche, décide de montrer les clichés à la Société théosophique pour avoir un deuxième avis.
La Société théosophique, pleine d’enthousiasme, confirme aussitôt l’authenticité des photos et entame une campagne pour convaincre la population de l’existence de phénomènes paranormaux. En 1920, Conan Doyle s’en sert pour illustrer un article sur l’existence des fées. Un voyant rend ensuite visite à la famille, dans sa propriété de Cottingley, et prétend y voir des fées partout.
« Cela a marqué le début de leur notoriété », déclare Geoff Belknap, conservateur en photographie et technologie photographique au National Science and Media Museum. « Le fait d’être adoubées par quelqu’un comme Conan Doyle, qui semble-t-il les a crues, leur a accordé beaucoup de crédibilité. »
Aujourd’hui, les photos paraissent clairement bidon – on n’y voit ni plus ni moins que des images découpées dans un livre puis collées sur un carton, et, comme l’admettra Griffiths des années plus tard, fixées à l’aide d’épingles à chapeau. Tout semble mis en scène, jusqu’au regard dénué d’expression des fillettes. Une question se pose alors : pourquoi autant de gens sont-ils tombés dans le panneau ?
« Elles ont l’air fausses à nos yeux car nous sommes habitués à voir des images. Le trucage photographique est désormais si facile que nos niveaux de scepticisme ont évolué également, explique Belknap. À l’époque, les gens ont connu ces photos dans des livres ou des journaux, ils n’en ont pas perçu toute la profondeur. Le fait que les épingles ne soient pas visibles a également joué. »
La photographie spirituelle est devenue populaire dans les années 1870. À l’époque, la double exposition était utilisée pour prouver l’existence des fantômes. « Les gens voyaient régulièrement ce genre de clichés de phénomènes paranormaux à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, poursuit Belknap. Ce qui rend les photos des fées de Cottingley différentes, c’est qu’on a manipulé les coulisses, mais pas les négatifs à proprement parler. »
Les photos sont portées à l’attention du public un an après la fin de la Première Guerre mondiale, date qui pourrait également être la clé. « En période de guerre et de taux de mortalité élevés, le spiritualisme et les croyances en l’inconnu sont plus susceptibles d’être renforcés », ajoute Belknap.
Comme tout ce qui devient viral, la tempête médiatique autour des photos s’estompe au bout de quelques mois, donnant lieu à ce que Belknap appelle la « période de repos ». Ce n’est qu’en 1966, lorsqu’un journaliste du Daily Express retrouve Elsie, que cette dernière lui explique qu’elle a simplement « photographié ses pensées ». Cette déclaration suscite un regain d’intérêt pour les fillettes et leurs clichés ; elles maintiennent toutes deux avoir vu des fées, mais leurs récits semblent contradictoires.
En 1983, les deux femmes avouent finalement au magazine The Unexplained que les photos sont truquées – bien qu’elles persistent à dire qu’elles ont réellement vu des fées à Cottingley. Il s’ensuit une enquête menée par Geoffrey Crawley, rédacteur en chef du British Journal of Photography, qui conclut que les images sont fausses. Deux ans plus tard, Elsie déclare à un journaliste de la télévision qu’elles étaient trop gênées d’avouer la vérité après qu’un homme comme Conan Doyle les a crues.
« Je pense que c’est précisément la raison pour laquelle elles ont maintenu leur récit – elles ne voulaient pas saper la réputation des gens ; elles ne voulaient pas discréditer tous ceux qui s’étaient laissés influencer, explique Belknap. Il s’agissait d’une farce, et les gens avaient été dupes – elles ne voulaient pas que ça se sache. Je ne crois pas qu’elles aient fait ça par malveillance. »
Fait intéressant, les cousines ont toutes les deux revendiqué la prise de la cinquième photo – la plus controversée – intitulée « The Fairy Bower » par Conan Doyle. Aucune des deux filles n’apparaît dessus ; on y voit seulement des fées danser dans l’herbe. La photo a provoqué des différends entre les deux femmes. Elsie a affirmé qu’elle était fausse, mais sa cousine a soutenu, jusque sur son lit de mort en 1986, que la photo était authentique.
En 2009, la fille de Frances, Christine Lynch, a fait une apparition dans l’émission télévisée britannique Antiques Roadshow, et a appuyé le propos de sa mère selon lequel la cinquième photo était bien réelle. « Selon [Frances], les fées faisaient partie de la nature, elles vivaient autour du ruisseau avec le reste de la vie sauvage », a déclaré sa fille au journal Telegraph & Argus.
« Ces images existent, et qu’elles soient fausses ou non, elles ont permis au public de faire valoir ses croyances, déclare Belknap. C’est en fait ce que nous faisons avec toutes les images – nous y apposons nos propres interprétations et croyances. »
Quel est le legs de ces photos, cent ans plus tard ? Pour Belknap, c’est le fait qu’elles aient « touché autant de vies différentes ». « Nous ne parlerions pas d’elles aujourd’hui si elles s’étaient seulement retrouvées dans un album de famille et avaient été détruites. Mais elles ont suscité l’intérêt public et fait l’objet de nombreuses discussions. »
« Il est difficile de comprendre la raison pour laquelle ces jeunes filles ont pris les photos en premier lieu. Je ne pense pas que c’était dans l’espoir de perpétuer un canular, ce n’était que deux cousines qui s’amusaient. »
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