Music

20 minutes peinardes avec Giorgio Moroder

Le drame de la vie de Giorgio Moroder, c’est que même s’il a sorti son premier album en 30 ans ( Deja-Vu), tout le monde s’intéressera toujours plus à son passé. Et pour cause, le Tyrolien a inventé la disco suicidaire, le son de Sigue Sigue Sputnik, a lancé Donna Summer, bossé avec Blondie et Bowie, et a signé une tripotée de bandes originales aussi glorieuses que honteuses, de Midnight Express à Superman III (qui contient le premier morceau country à vocoder de l’histoire). On pourrait lui consacrer un livre entier tant le moustachu électronique possède d’anecdotes sur les clubs munichois des années 70, les soirées dope hollywoodiennes des 80’s et les synthés, mais comme on avait que 20 minutes devant nous, et pas une de plus, on s’est contentés de discuter vite fait de son nouvel album pour être poli avant de l’enchaîner sur Paul Schrader et Leni Riefenstahl.

Non, en fait, j’ai fait plein de trucs à la place. J’ai construit une bagnole, j’ai fait de la musique de film… J’ai commencé à faire le DJ et on m’a proposé de faire un disque mais j’aimais pas le mec qui me le proposait. Puis les Daft Punk sont arrivés, le succès, et Sony m’a proposé de faire un album. Là, j’ai dit ok.
Noisey : Vous n’avez pas sorti d’album sous votre nom depuis 30 ans. C’est le temps qu’il a fallu pour murir celui-là ?

Videos by VICE

Moroder : C’est vous qui avez choisi les artistes ?

Non, c’est plus une affaire de management et de label. Mon agent a demandé si on pouvait avoir tel ou telle personne et le label nous a balancé plein de gens qui étaient partants, mais on n’a pas pu les garder tous à cause des emplois du temps. C’est devenu un enfer aujourd’hui d’organiser un truc comme ça.

Même quand on s’appelle Moroder ?

Pfff, ça change rien. J’ai eu envie de faire un truc comme il y a quelques années, réunir des mecs que j’aimais pour sortir un album de featurings, mais on m’a dit que Quincy Jones avait eu un projet similaire et qu’il avait mis 7 ans à le faire. 7 ans ! Et c’était Quincy Jones.

C’était moins compliqué quand vous bossiez avec Donna Summer ?

C’est-à-dire qu’elle était seule et on pouvait se parler facilement. Là, il y a 5 intermédiaires avant que le message arrive à destination, 5 autres pour qu’il revienne. Et 10 artistes à contacter. C’est très pratique.


Revenons en arrière parce que, pour ne rien vous cacher, c’est surtout ça qui m’intéresse. Votre début de carrière puis les albums pop Z, l’album proto électronique et l’hymne disco intemporelle. Qu’est-ce qui s’est passé pour vous entre 1973 et 75, soit entre Spinash et « Love to Love You » ?
Spinash devait Einzelgänger Einzelgänger Einzelgänger Pourtant, votre disco est blindé d’électronique…

Pas tant que ça quand on y pense. « Love To Love You » ne l’est pas, ensuite, c’était plutôt mesuré. Non, à part « I Feel Love », je me suis limité. À la base, avec Donna Summer, je voulais faire un album 50’s qui fasse futuriste. Le son des synthés me plaisait, mais c’était surtout par rapport au côté inédit du mélange que je m’y suis intéressé. Kraftwerk s’était déjà amusé avec ça, mais c’était du tout-électronique. Ça m’intéressait plus de mettre une vraie batterie avec des machines. Et puis il fallait que ce soit dansant, parce que Kraftwerk, j’adore, mais pour danser, il y a mieux.

Je ne vais pas vous cacher que
« I Feel Love » est dans mon top 10 des morceaux les plus apocalyptiques de tous les temps. Pourquoi ne pas avoir fait plus de morceaux électroniques avec Donna Summer ensuite ?

Je ne crois pas être un fainéant, mais c’était un enfer à programmer à l’époque. Je ne suis pas ingé-son et je me retrouvais devant un mur de synthés modulaires avec des potards et des jacks. Heureusement, j’avais un mec avec moi à qui je demandais de me trouver un son de basse. Ensuite, je pouvais commencer à jouer. Mais ce n’était que le début du calvaire. Pour composer la mélodie et tout le reste, il fallait compter les temps de manière ultra mécanique, c’était encore très mathématique à l’époque, du 3-2-4-2-3 à tout bout de champ pour réussir à caler chaque séquence. Quelle note allait tomber sur quelle note… Horrible. Donna Summer avait du mal à chanter en concert parfois, parce si elle comptait mal, il n’y avait pas moyen de rattraper quoi que ce soit. C’est pour ça qu’on a commencé à lui mettre une oreillette, elle avait un métronome qui faisait le boulot pour elle.

Kyle Minogue et Giorgio Moroder en 2015.

Quand j’entends « I Feel Love » et « Life in Tokyo » de Japan, c’est à dire régulièrement depuis plus de 20 ans, des images de Nuremberg, d’éruption solaire et de fonte de la calotte glaciaire me viennent en tête. Vous pensiez à quoi, vous ? dark

Je pense plus à moiteur, déliquescence, déclin, autoroute du gouffre, annihilation et suicide. Mais ce n’est pas péjoratif.
C’est bien la première fois que j’entends ça. En fait, ce qui m’intéressait surtout, c’était de faire se confronter les machines à la voix de Donna Summer. Si un mec avait chanté ce truc, ça aurait été très différent. Mais la voix de Donna avec les « Tung ! Tung ! Tung ! » dans le fond, et les nappes, c’est ce qui rend ce morceau magique.

J’ai l’impression que tout est en mineur, qu’il a été fait pour se mettre une corde au cou alors qu’on est en pleine extase…

Ah… Pourtant, tout est en majeur…

Ok, perdu, un mythe s’effondre. Je trouvais pourtant ça parfaitement cohérent avec le boulot que vous avez fait ensuite sur les bandes originales, notamment avec Paul Schrader. Vous n’allez pas me dire que la B.O. de Cat People (La Féline) respire la joie de vivre ? dark dark American Gigolo
Oui, enfin le film n’est pas très amusant non plus…
C’est pour ça que vous n’avez pas bossé sur Mishima, probablement son meilleur film ? Mishima La Féline dark

À propos de regrets, je me demandais si vous auriez aimé bosser sur Tron à la place de Wendy Carlos ?
Un peu, mais je me suis rattrapé depuis. Je me suis servi de Tron quand j’ai fait la B.O. de Metropolis, et plus récemment, j’ai fait la musique du prochain jeu vidéo de Tron. Ils sont contents de ce que j’ai fait, alors peut-être qu’ils me proposeront de faire la musique du prochain film, mais c’est possible qu’ils demandent aux Daft Punk avant. Enfin, je suis pas sûr qu’ils acceptent…

Pour en finir avec cette histoire de musique des ténèbres, parlez-moi de « Chase » dans Midnight Express, votre premier pas dans le cinéma.
Puis la bande-son est devenue votre gagne pain dans les années 80… Midnight Express

Vous feriez un album exclusivement instrumental aujourd’hui ?
Non ça ne m’inspire pas du tout. Le problème quand on fait un album instrumental électronique, c’est qu’il faut savoir programmer un synthé. C’est toujours quelqu’un qui s’est occupé de ça pour moi. Aujourd’hui, avec les ordinateurs, c’est pire. Si on ne s’appelle pas Skrillex ou qu’on n’est pas un génie, ça ne sert à rien de se lancer là-dedans. En tous cas, je ne le fais pas. J’ai une équipe qui cartonne et me trouve des sons. Par ailleurs, même faire du clavier aujourd’hui ça devient difficile parce que j’ai deux doigts morts.

C’est un peu ce que vous avez fait en 2000 sur l’ultime film de Leni Riefenstahl, un choix particulièrement audacieux. Comment ça s’est passé ?

Je vais vous raconter. Un jour je reçois un coup de fil. C ‘est une vieille femme à l’autre bout : « Bonjour M. Moroder, c’est Leni Riefenstahl à l’appareil. J’ai réalisé un joli petit film sous-marin, sans dialogue, avec que des poissons, est-ce que vous voudriez faire la musique ? ». Elle avait 98 ans… Vous imaginez ? J’ai la dernière nazie au bout du fil… Ok, c’était un peu pervers, mais j’ai pas pu refuser… Quel compositeur a eu l’occasion de travailler avec la dernière nazie ??? Bon, il se trouve en plus que le film était plutôt pas mal dans le genre. Mais rien que de l’imaginer à 80 ans en train de tourner sous l’eau…

François de Roubaix aurait adoré… Pour finir, des centaines de samples qui ont été tirés de vos morceaux, il y en a un que vous aimez particulièrement ? Scarface Mercy Scarface Scarface
Virigile Iscan mate trop de films pour avoir le temps de tweeter.