« La France est ingouvernable. » « Il faut une 6ème République. » « François Hollande n’a aucune autorité. » Ces remarques, aussi insipides que récurrentes, sont là pour nous rappeler qu’une défiance généralisée s’est installée entre une partie de la population et le système politique en général.
D’après un sondage paru en janvier 2014, 73 % des Français font confiance à la police, alors qu’ils sont 78 % à déclarer que le système politique fonctionne mal. Certes, ils sont aussi 60 % à dire qu’ils préfèreraient que des experts décident à la place du gouvernement et 84 % que la France a besoin d’un vrai chef pour remettre de l’ordre, donc tout est à relativiser. Mais quand même, quelles solutions s’offrent à nous pour briser cette tendance ? La réponse est souvent la même : le Front National. Personnellement, cette perspective me fait légèrement peur – j’ai donc cherché des idées hors du cadre politique habituel.
Videos by VICE
Les élections sont souvent l’occasion pour de petits partis en tous genres de proposer des alternatives. Alors que le Parti du Plaisir est en état de mort cérébrale et que Chasse, Pêche, Nature et Traditions n’a toujours pas avoué que son existence n’était qu’une vaste blague, le temps est peut-être venu d’écouter les propositions de l’Alliance Royale.
Si le parti n’obtient que 0,02 % des voix habituellement, n’y a-t-il pas là une idée originale ? Ne vaudrait-il pas mieux avoir un roi séduisant au menton taillé dans l’airain qui œuvrerait pour l’unité nationale plutôt qu’un président dénué de charisme ? De l’autre côté de la Méditerranée, et face à l’incurie actuelle du gouvernement libyen, des voix se sont élevées pour appeler à un retour de la monarchie, qui existait avant le coup d’état de 1969. Les multiples crises constituent peut-être une occasion en or de redonner au château de Versailles sa fonction originelle.
Je me suis donc entretenu avec Baptiste Roger-Lacan, élève au département d’histoire de l’École Normale Supérieure et spécialiste du royalisme au XIXème siècle, afin de savoir ce qu’il pensait de cette hypothèse, mais aussi de la future lutte à mort entre Louis XX et Henri VII.
Des militantes de l’Alliance Royale. Photo via
VICE : Salut Baptiste. Pour commencer, est-ce qu’un roi pourrait être ré-installé à la tête de la France en toute légalité ?
Baptiste Roger-Lacan : Lorsqu’on lit la Constitution de 1958, la réponse est non. L’article 89 précise en effet que: « La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision. » Après, on peut imaginer une première modification de la Constitution qui ferait disparaître cet article, puis une deuxième, qui profiterait de ce tour de passe-passe pour rétablir la monarchie.
Penses-tu qu’un roi puisse permettre d’unir la France ?
Le roi incarnerait sans doute le consensus et l’union nationale. La monarchie garantirait une forme d’équilibre politique, parce que le chef de l’État n’aurait pas de pouvoir et ne serait pas élu par les citoyens. De plus, il me semble que les monarchies européennes – à l’exception de l’Espagne qui est un cas particulier à cause du long intermède franquiste – résistent mieux à la crise politique et institutionnelle que connait le continent que les républiques.
La France et sa forte tradition révolutionnaire accepterait-elle un roi, même sans pouvoir?
Je pense que la France a beaucoup plus une tradition d’émeutes et de barricades, une tradition frondeuse en somme, qu’une tradition révolutionnaire. Nous avons fait une grande révolution, certes, mais les autres moments insurrectionnels – 1830, 1848, 1871 – sont le plus souvent des « journées des barricades » qui concernent presque exclusivement la capitale.
En fait, la France souffre d’une énorme contradiction. Elle sait que son essence est profondément monarchique – l’image du leader est prépondérante – mais elle sait aussi qu’en décapitant Louis XVI, elle a définitivement tourné cette page de son histoire.
Photo via
Pourquoi la question du retour à la monarchie est-elle si peu crédible en France?
La Troisième République a réussi à trouver un compromis dans les années 1870, en adoucissant l’image révolutionnaire qui collait à la république depuis la Révolution de 1789, et à la rendre acceptable même pour les milieux les plus conservateurs. Ces 70 années de république ont cependant été mises à mal par la Seconde Guerre Mondiale. C’est là que réside le tour de force de de Gaulle. Il a réussi à faire croire que le régime de Vichy n’avait jamais été légitime ou légal et il a au final permis à la république de triompher.
Il faut aussi dire que la nullité d’un grand nombre des prétendants à la monarchie, notamment dans la famille de Bourbon, explique aussi que la monarchie n’ait jamais été une option très sérieuse.
Pourquoi associe-t-on souvent la monarchie avec une sorte de conservatisme, notamment sur les questions sociétales – par exemple l’homosexualité et le rôle de l’Église ?
Il n’y a pas de règle en la matière. Si les milieux monarchistes se sont rapprochés, en France, d’un catholicisme rigoureux et moralisant, ce n’est que parce que la Révolution avait voulu combattre le Roi et l’église. Auparavant, certains régimes monarchiques avaient donné l’image d’une grande liberté morale.
On pourrait aussi dire que la France républicaine est un régime bien plus conservateur sociétalement que de nombreuses monarchies européennes – Pays-Bas, Suède, Danemark, etc.
Le Sacre de Napoléon, peinture de Jacques-Louis David, Photo via
Quel serait le roi le plus légitime selon toi ? Louis XX ou Henri VII ?
La question relève plus du folklore politique que d’autre chose. Pendant longtemps, la question ne se posait pas puisque la continuité de la lignée a été assurée jusqu’à la Révolution – ce sont les Bourbons qui régnaient. Cette dynastie a été renversée en 1830, faisant émerger une branche concurrente au sein de la dynastie, les Orléans . La situation a beaucoup évolué depuis, on a aujourd’hui un nouvel héritier légitimiste – Louis XX – de la maison de Bourbon, face au comte de Paris – Henri VII – l’héritier orléaniste.
Dans tous les cas, les chances de restauration sont tellement infimes que la question n’a pas grand intérêt pour le moment.
Le retour d’un descendant de Bonaparte serait-il plus envisageable? Je crois savoir que Jean-Christophe Napoléon est sur le coup.
C’est difficile à dire. Le caractère plébiscitaire du régime napoléonien fait du bonapartisme une pratique de la politique qui se soucie moins de légitimité dynastique. C’est plutôt la question de savoir si l’Empire a plus de chances d’être restauré que la monarchie qui doit être posée.
Et selon toi, lequel de ces régimes a le plus de chances de réapparaitre ?
En temps de crise légère comme aujourd’hui, il est peu probable qu’un de ces deux régimes revienne sur le devant de la scène. Mais face à un possible effondrement futur des structures politiques, sociales et économiques du pays, qui sait ?
Merci beaucoup, Baptiste.
Suivez Romain sur Twitter.