Quand des personnes atteintes de dysmorphophobie ont recours à la chirurgie esthétique

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Santé

Quand des personnes atteintes de dysmorphophobie ont recours à la chirurgie esthétique

Ou comment des gens persuadés d’être laids s’enfoncent dans un cercle vicieux fait de rhinoplasties et de harcèlement.

Cet article a été initialement publié sur Broadly .

Les personnes atteintes de dysmorphophobie font des fixettes exagérées – et souvent infondées – sur leurs défauts physiques. La chirurgie esthétique peut donc leur apparaître comme une solution miracle. À la place, elle a tendance à aggraver les symptômes et à enfermer les patients dans une quête de la perfection qui s'avère interminable, frustrante et dangereuse. Après avoir exercé la chirurgie esthétique pendant près de dix ans, le Dr Beverly Fischer, chef du service de chirurgie à l'Advanced Center for Plastic Surgery du Maryland, aux États-Unis, a rencontré une patiente qui l'a durablement marquée. Une jeune femme d'une vingtaine d'années, qui venait de perdre du poids récemment, souhaitait une rhinoplastie. « Elle m'a dit : "Je ne veux pas d'un joli nez retroussé, je veux juste qu'il soit légèrement plus petit" », se rappelle le Dr Fischer. « Toutes ses demandes me paraissaient raisonnables. Je l'ai opérée et lorsqu'elle est revenue, la première fois, elle m'a dit : « Je ne sais pas s'il est assez petit. J'ai l'impression de ne pas voir de différences. » Je lui ai répondu qu'il fallait attendre près d'un an pour que ça dégonfle, et qu'il fallait qu'elle fasse preuve de patience. » Son mécontentement s'est soldé par de nombreuses visites au bureau du Dr Fischer. La patiente arrivait, avec ou sans rendez-vous, exigeait plus de chirurgies, expliquait sa contrariété face aux moqueries de sa famille et de ses amis, et s'inquiétait de ne plus pouvoir sortir la nuit, de peur qu'on la prenne pour une polytraumatisée. « Elle venait toutes les semaines, toujours pour se plaindre », se rappelle le Dr Fischer. « Elle en était presque arrivée au point où elle ne pouvait plus sortir de chez elle. » Après que le Dr Fischer lui a suggéré de consulter un psychiatre, la patiente, offensée, a continué à harceler la chirurgienne et son équipe, allant même jusqu'à venir avec son mari pour reprocher au Dr Fischer son avis médical. « C'est devenu un cauchemar », admet Beverly Fischer. « Je lui ai tout simplement rendu son argent, lui ai dit que je ne pouvais plus la recevoir et lui ai demandé de quitter les lieux. » Ce que le Dr Fischer ignorait à l'époque, c'est que sa patiente souffrait de dysmorphophobie – un trouble de l'image corporelle qui se caractérise par une peur maladive des imperfections et de la difformité physique. La dysmorphophobie provoque chez les patients une forte souffrance, et c'est une maladie compliquée à traiter. Elle est souvent définie comme un trouble obsessionnel-compulsif (TOC) – mais bien que ces maladies aient des symptômes communs, des chercheurs ont trouvé une différence de taille entre les deux : les personnes atteintes de dysmorphophobie ont tendance à avoir une vision d'eux-mêmes beaucoup plus négative et à être plus insensés que les patients atteints de TOC. Les psychologues ont trouvé différents traitements efficaces contre la dysmorphophobie, comme la thérapie cognitivo-comportementale, la psychothérapie et la pharmacothérapie. Cependant, beaucoup de patients atteints de dysmorphophobie ne pensent pas souffrir d'une maladie mentale et ne cherchent donc pas à la soigner ; à la place, certains se tournent vers la chirurgie esthétique pour soulager leurs symptômes. Les procédures de chirurgie esthétique les plus courantes sont la rhinoplastie, l'augmentation mammaire, la liposuccion et des traitements plus légers comme les injections de collagène, le peeling et les injections de fillers ; toutes ces procédures correspondent à des zones du corps sur lesquelles les patients de dysmorphophobie font leurs fixettes.

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« Après ma rhinoplastie, mon nez était un peu plus joli, mais mon ventre a commencé à poser problème. »

Le patient type atteint de dysmorphophobie est perfectionniste et se concentre à l'excès sur de minuscules détails, ce qui signifie que la chirurgie esthétique a un inconvénient considérable : les attentes irréalistes des patients peuvent aboutir à du désarroi, du mécontentement et d'autres troubles obsessionnels quant à leur nouvelle apparence. Certains patients décident tout simplement de « remplacer » leur zone d'obsession par une autre après l'opération. Dans une étude publiée en 2011, par exemple, un des patients a déclaré aux chercheurs : « Après ma rhinoplastie, mon nez était un peu plus joli, mais mon ventre a commencé à poser problème. » D'après la docteure Katharine Phillips, spécialiste éminente de la dysmorphophobie depuis le milieu des années 1990 et auteure de nombreux ouvrages dont The Broken Mirror, le premier livre traitant de dysmorphophobie, les gens atteints de cette maladie ont une vision déformée de leur propre corps. Les chercheurs ont appris que les patients atteints de dysmorphophobie ont des défauts de vision, notamment dans leur manière de percevoir les visages et les objets. « Ils ont également tendance à faire des fixettes et à s'inquiéter », explique Katharine Phillips, « et quand on mélange toutes ces caractéristiques, il semble logique que les troubles ne s'arrangent pas sur le long terme avec la chirurgie. » C'est le cas de Lindsay*, une maquilleuse de Londres, qui a souffert pendant des années de dysmorphophobie avant de décider que la chirurgie était le seul moyen de remédier à ses symptômes. « J'ai longtemps détesté mon ventre », a-t-elle raconté dans un mail à Broadly. « Je voulais faire quelque chose pour y remédier. Je suis allée voir un psychiatre, un psychologue et un infirmier en psychiatrie : ils ont tous appuyé ma décision de me faire opérer. » Dans la plupart des cas, les patients atteints de dysmorphophobie devraient éviter la chirurgie, selon plusieurs experts. Bien qu'une infime quantité de patients puisse constater une amélioration de leurs symptômes, beaucoup de chirurgiens plastiques pensent qu'un diagnostic de dysmorphophobie est une contre-indication à la chirurgie ; d'après eux, les patients qui ont recours à la chirurgie esthétique sont généralement perturbés par le résultat final, très éloigné de leurs attentes. Souvent, lorsque les patients atteints de dysmorphophobie pensent avoir recours à la chirurgie, ils s'imaginent qu'un changement dans leur apparence les aidera à résoudre leurs problèmes – avant de se rendre compte que leurs problèmes ne font qu'empirer.

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« J'ai pensé que ma deuxième opération allait résoudre tous les problèmes de la première ; j'ai été satisfaite pendant deux jours avant l'apparition de nouveaux problèmes. »

Suite à son abdominoplastie, Lindsay était loin d'être satisfaite. « Après la première opération, je me sentais super bien. Mais quelques semaines plus tard, j'ai commencé à remarquer des petites choses que je n'aimais pas, comme une cicatrice irrégulière, de la peau qui pendait et de la graisse en trop au niveau des hanches », se souvient-elle. « J'étais persuadée que si je me faisais à nouveau opérer pour enlever l'excédent de peau et de graisse, je serais heureuse. J'ai pensé que ma deuxième opération allait résoudre tous les problèmes de la première ; j'ai été satisfaite pendant deux jours avant l'apparition de nouveaux problèmes. J'avais l'impression que mes hanches étaient asymétriques et me donnaient l'air difforme. »

Tyler*, 24 ans, a vécu une expérience similaire. Après sa liposuccion et sa réduction mammaire, il est devenu obsédé par ses cheveux, une préoccupation courante chez les hommes. « Après l'opération, j'ai commencé à croire que je perdais mes cheveux », raconte Tyler. « J'ai eu une période où je me pesais peut-être 15 à 20 fois par jour. J'allais aux toilettes, sur mon lieu de travail, et je soulevais mon tee-shirt pour examiner mon corps. J'ai aussi commencé à porter des chapeaux pour recouvrir mon crâne. Je suis toujours en train de me recoiffer pour cacher d'éventuelles traces de calvitie. »

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Bien que Tyler sache, plus ou moins, que son apparence actuelle se rapproche de son physique idéal, il a peine à l'accepter. « Je sais que j'ai perdu beaucoup de poids et que j'ai meilleure mine, mais mon esprit ne le comprend pas », explique-t-il. « Mes yeux voient la différence, mais pas mon cerveau. »

Les patients atteints de dysmorphophobie et insatisfaits des résultats de leurs opérations peuvent devenir dépressifs et voir leurs symptômes empirer, selon l'International OCD Foundation ; d'autres vont avoir recours à des opérations à répétition. L'acteur Reid Ewing, vu notamment dans la série américaine Modern Family, a écrit un article pour le Huffington Post en 2015, dans lequel il raconte son combat contre la dysmorphophobie et la chirurgie plastique, exprimant son regret d'avoir eu recours à tant d'opérations pour soulager ses symptômes. « Je suis retourné voir mon docteur plusieurs fois, surexcité », écrit Reid Ewing, « mais il refusait toujours de m'opérer pour les six prochains mois, il me disait que je finirai par m'habituer au changement. Je refusais que l'on me voie ainsi, alors je suis resté enfermé chez moi. Quand je sortais, les gens dans la rue me fixaient, et quand j'allais voir mes parents, ils pensaient que j'avais attrapé une maladie bizarre. »

Jessica*, une enseignante australienne de 31 ans, a également pensé que des opérations à outrance pourraient l'embellir. Après plusieurs chirurgies à l'âge de 18 ans, dont une augmentation mammaire et une otoplastie [la chirurgie des oreilles décollées], elle restait persuadée que sa poitrine était asymétrique et partit donc à la recherche d'un nouveau docteur. « J'ai vu un chirurgien plastique à Perth, en Australie, mais il a refusé de m'opérer à cause de ma dysmorphophobie et parce que j'avais déjà eu des opérations à un jeune âge », se rappelle-t-elle. « J'étais désespérée, je suis allée voir un autre chirurgien en cachette et j'ai pris le risque d'une opération « bâclée » pour avoir ma poitrine de rêve. »

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Après sa seconde opération, l'état de Jessica a empiré. Elle est devenue dépressive et sa haine envers elle-même s'est décuplée : « J'ai eu l'impression que tout le bonheur que m'a apporté mon augmentation mammaire a disparu juste après l'opération. » Les chercheurs ont découvert que les patients mécontents de leurs chirurgies plastiques peuvent être sujets à l'isolement social, aux problèmes de famille, aux comportements autodestructeurs et à la violence envers leur chirurgien et son équipe.

Selon David Sarwer, psychologue clinicien et directeur du Centre de recherche et de médecine contre l'obésité (Center of Obesity Research and Education) au College of Public Health de l'université Temple, des sources non confirmées suggèrent que les patients ayant un ressenti négatif après une opération ont plus de risques de porter plainte contre le chirurgien esthétique ou pire, de menacer ou d'agresser leur chirurgien ou son équipe. Le docteur Ira Papel, chef du service de chirurgie esthétique au Facial Plastic Surgicenter de Baltimore, a raconté à Broadly s'être retrouvé dans plusieurs situations effrayantes avec d'anciens patients. À la suite d'une rhinoplastie qui semblait réussie, un patient a été dérangé par le résultat final. « Il n'arrivait plus à vivre normalement », raconte Ira Papel. « Il a perdu son travail, il a divorcé, tout ça à cause de quelque chose que personne ne pouvait voir. » Un autre patient a tenté de mettre fin à ses jours dans le hall d'entrée. Pour empêcher de telles situations de se reproduire, le Dr Papel encourage désormais les chirurgiens à utiliser des outils de dépistage dans les cliniques de chirurgie esthétique, dans le but de dépister les patients atteints de dysmorphophobie. « La responsabilité du chirurgien est d'au moins essayer d'identifier ces personnes », explique Ira Papel. Une étude datant de décembre 2016 et publiée dans le Journal of American Medicine révèle que la distribution régulière de questionnaires portant sur la dysmorphophobie parmi les patients en attente de chirurgie plastique peut améliorer les soins prodigués. Lors d'une interview avec la chaîne américaine CBS en janvier, la docteure Lisa Ishii, à l'origine de l'étude, a annoncé être surprise du grand nombre de personnes atteintes de dysmorphophobie parmi les patients de chirurgie esthétique. « L'autre surprise a été de se rendre compte à quel point nous sommes médiocres, en tant que chirurgiens, lorsqu'il s'agit de la détecter », rajoute-t-elle. « Je pense qu'il peut être compliqué, et éprouvant, de diagnostiquer des patients atteints de dysmorphophobie dans un contexte chirurgical », explique Katharine Phillips. « Le chirurgien a juste besoin de poser les bonnes questions, et elles sont assez directes et simples. » David Sarwer a quelques suggestions : en plus des outils de dépistage de la dysmorphophobie, il existe d'autres signes révélateurs que les chirurgiens peuvent remarquer. « Si un patient arrive et vous dit : « je n'aime pas cette bosse sur mon nez » mais que vous n'arrivez pas à voir ladite bosse », explique le Dr Sawrer, « ou si quelqu'un vous dit : « je n'aime pas ces imperfections sur ma peau » mais que ces imperfections sont presque invisibles, voilà certains signes. Parfois, il s'agit même du premier signe. »

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« Il n'arrivait plus à vivre normalement. Il a perdu son travail, il a divorcé, tout ça à cause de quelque chose que personne ne pouvait voir. »

Mais d'autres experts pensent que trop se fier à ces questionnaires peut se révéler inefficace. Le docteur Rodney Rohrich, éditeur en chef du journal Plastic and Reconstructive Surgery, a expliqué à la chaîne CBS que beaucoup de personnes atteintes de dysmorphophobie vont tenter de duper les experts médicaux : « une des caractéristiques principales des patients atteints de dysmorphophobie est qu'ils cachent leur état. Si on le découvre, ils partent. Ces patients sont très intelligents, la plupart ne souhaitent d'ailleurs pas remplir ce questionnaire (sur la dysmorphophobie) car ils sont malins. »

Lindsay affirme que son docteur ne lui a jamais rien demandé sur ses symptômes de dysmorphophobie et ne lui a jamais donné de questionnaire à remplir ; de son côté, elle n'était pas pressée de lui avouer sa lutte contre cette maladie. « Mon médecin traitant et le chirurgien qui m'a opéré n'étaient pas au courant de ma dysmorphophobie », raconte Lindsay. « Je savais qu'ils n'opéraient pas les gens atteints de cette maladie, et j'étais persuadée que je serais ravie de n'importe quel résultat, tant que c'était une amélioration par rapport à mon état actuel ; du coup, je ne leur ai rien dit. »

Tandis que la plupart des experts s'accordent à dire que la chirurgie esthétique n'est pas une solution contre la dysmorphophobie, Katharine Phillips insiste sur le fait qu'il existe des traitements efficaces contre cette maladie. « La très bonne nouvelle est que nous avons développé deux sortes de traitements », explique le Dr Phillips, « les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (Serotonin Reuptake Inhibitors, ou SRIs en anglais) et les thérapies cognitivo-comportementales (ou TCC). Ces soins médicamenteux et thérapeutiques sont le plus souvent efficaces avec les patients atteints de dysmorphophobie. Et si un médicament ne marche pas, on peut en essayer un autre. La plupart des patients atteints de dysmorphophobie voient leur état s'améliorer avec ces traitements. »

Pour Jessica, la vie s'est améliorée depuis sa deuxième augmentation mammaire, il y a neuf mois. Elle a entamé une thérapie, prend régulièrement des SRIs et l'image qu'elle a de son corps s'est améliorée. « J'ai toujours des symptômes liés à la dysmorphophobie, avoue-t-elle, « mais je suis tellement plus heureuse maintenant. La TCC et les médicaments m'ont fait plus de bien que toutes mes opérations réunies. »

*Les prénoms ont été modifiés.