À l’automne dernier, Arnaud a posté une photo de son visage tuméfié sur Instagram suite à une agression homophobe. La veille, en sortant d’un théâtre parisien en compagnie de son copain, ce comédien avait été frappé à coups de casque de scooter. Bilan : un traumatisme facial et 7 points de suture. Pour « un câlin », précise-t-il dans son post. Avant et après lui, les photos d’autres victimes aux visages esquintés sont apparues sur le Net, corroborant l’idée selon laquelle les agressions contre les personnes LGBT augmentent, ou sont encore largement répandues en France.
Les réseaux sociaux fonctionnant en trompe l’œil, il est cependant difficile de trancher en faveur d’une hausse de ces violences. A Paris, le nombre de victimes aurait même diminué (passant de 129 à 76 entre 2017 et 2018) rapporte la préfecture de police de Paris. La progression qui ne se discute pas est celle des signalements. Dans le prolongement des constats des acteurs de terrain, le ministère de l’intérieur a enregistré entre janvier et septembre 2018 une augmentation de 15% des dépôts de plainte où apparaît le caractère homophobe, par rapport à la même période en 2017.
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Si les signalements grimpent, ceux concernant les différentes formes de rejet au sein de la famille tendent à diminuer depuis au moins deux années. C’est ce qui ressort du rapport annuel 2018 de l’association SOS Homophobie. Est-ce le signe d’un apaisement ? Pas vraiment semble-t-il. « Les échanges et messages reçus démontrent le maintien de situations tendues, voire très violentes, subies par les appelant.e.s au sein de leur famille », précise le rapport. Une expérience vécue par Mehdi, 28 ans.
Cet ancien aide-soignant en reprise d’études a grandi à Lyon avec sa mère et sa sœur. En juin 2012, alors que la mère questionne sa fille sur l’absence de conquêtes féminines de son frère Mehdi, celui-ci décide de faire son coming out. « De but en blanc je lui annonce que je suis gay, un soir, dans la cuisine », se souvient l’intéressé. Son annonce a l’effet d’un « cataclysme » pour cette femme de confession musulmane. Sa réaction est violente : « Elle me crache dessus et m’insulte en me disant que je suis quelqu’un de sale, que je suis le démon. » Le jeune homme est ensuite tiré par les cheveux, reçoit des gifles puis est frappé à coups de balai. « C’était un déchaînement de haine face auquel je ne me suis pas défendu », relate-t-il. Mehdi s’enfuit. Il n’a jamais revu sa mère depuis.
« Les fonctionnaires de police ne m’ont pas pris au sérieux et m’ont à peine écouté » – Romain, 18 ans
Romain, un Marseillais de 18 ans, a également coupé les ponts avec ses parents. Son calvaire a démarré au mois d’août 2017. Alors qu’il passe l’été chez les parents de sa mère au Havre, il est « outé » par un ami de son grand-père, un soir de beuverie. En apprenant la nouvelle, le grand-père le plaque au mur et le traite de « femme ». Après quelques jours chez son oncle où il fête seul ses 17 ans, l’adolescent rentre au domicile familial à Marseille. S’il ne subit pas de violences physiques, il y est « séquestré » jusqu’à la rentrée. Au cours de l’année scolaire, le climat devenant intenable à la maison, il se réfugie chez ses grands-parents paternels, sans leur expliquer les vraies raisons de cette fugue.
Ses parents finissent par le ramener de force à la maison, la veille du Bac. Sur le trajet, son père lui lance : « On va régler ça à ma manière. » Effrayé, Romain saute de la voiture en marche. Touché au bras, à la cheville et à la hanche, il parvient cependant à s’enfuir. « Quand il a dit ça je me suis souvenu des menaces de mort et de son inscription à un stand de tir quelques semaines après la rentrée », raconte aujourd’hui Romain depuis Strasbourg où il tente de se reconstruire. Le lendemain des faits, il décide de déposer plainte, accompagné d’un ami « dont la mère est tolérante. » Mais il déchante vite devant l’attitude des fonctionnaires du commissariat du 8e arrondissement. « Ils ne m’ont pas pris au sérieux et m’ont à peine écouté » explique-t-il. Le contact passe mieux dans les locaux de la Brigade des mineurs où les policiers l’invitent à repasser pour une déposition en bonne et due forme. Trop perturbé, l’adolescent ne donnera pas suite.
Si le chemin est encore long pour faire comparaître les auteurs de violences à caractère homophobe, les lignes commencent à bouger. Dans les colonnes du journal Le Progrès récemment, on apprenait qu’un Stéphanois de 46 ans a été condamné à six mois de prison avec sursis pour avoir cassé le nez de sa fille, âgée de 17 ans, parce qu’elle est lesbienne. Devant la présidente du tribunal qui l’interrogeait sur son geste, l’homme a répondu : « Quand votre fille vous cache qu’elle est lesbienne depuis deux ans, ça mérite bien une claque. »
« “Tu n’es plus mon enfant“ est la première phrase rapportée par les jeunes au sujet de leurs parents quand ils arrivent ici. Il y a une volonté de supprimer symboliquement ce lien » – Frédéric Gal, directeur général de l’association Le Refuge
À Nantes, le 29 novembre dernier, les magistrats du tribunal correctionnel se sont penchés sur une affaire similaire. Un homme de 51 ans était poursuivi pour différents épisodes de violences sur son fils de 15 ans. Un soir d’avril 2017, Mathis avait sauté par la fenêtre de l’appartement familial, situé au troisième étage d’un immeuble, pour échapper à son père. Celui-ci était devenu « comme un lion » après avoir découvert « des sites un peu bizarres » consultés par Mathis sur la tablette. Heureusement pour le jeune garçon, sa chute avait été amortie par la pelouse. Pris de vertiges, il s’était réfugié chez un copain, avant que sa sœur ne le ramène, le soir-même. Son père l’avait alors menacé de lui enfoncer un balai dans l’anus puis cassé le manche en le frappant sur le dos. Mathis avait ensuite été enfermé dans un placard pour éviter la « contagion » avec le frère dont il partageait la chambre.
Le lendemain, le père de famille décida de raser à vif le crâne de son fils, occasionnant plusieurs coupures. Le calvaire pris fin le jour suivant quand Mathis arriva au collège avec un chapeau sur la tête. Interloqués, les enseignants le questionnèrent avant d’effectuer un signalement auprès de la justice. Désormais hébergé en famille d’accueil, Mathis attendait avec impatience l’audience. C’était la première fois qu’il revoyait son père depuis les faits. Le prévenu a minimisé les violences et redit son incapacité à accepter l’homosexualité de son enfant. « C’est interdit dans mon foyer, il y a une place chez moi mais pas homosexuelle », a déclaré cet agent d’entretien se disant « très catholique. » Inconnu de la justice, il a été condamné à trois mois de prison avec sursis. Prostré et mutique à l’audience, l’adolescent avait confié à son avocat pendant l’instruction qu’il était « prêt à demander pardon ou à essayer d’aimer les filles. »
Dans de nombreux cas, aux coups succèdent d’autres types de violences comme l’explique Frédéric Gal, directeur général de l’association Le Refuge : « Tu n’es plus mon enfant est la première phrase rapportée par les jeunes au sujet de leurs parents quand ils arrivent ici. Il y a une volonté de supprimer symboliquement ce lien. Ça passe par déchirer les photos de son enfant quand il était petit ou enlever les cadres pour montrer qu’il n’a plus sa place dans la famille. Des actes qui peuvent être plus violents qu’une paire de tartes car ils nient jusqu’à l’existence même du jeune. » C’est ce qui est arrivé à Mehdi. Passé le déferlement de haine, sa mère était partie chercher le livret de famille pour arracher les pages concernant son fils. Puis elle a récupéré sa carte d’identité pour la déchirer.
Si vous subissez des violences homophobes, vous pouvez contacter SOS Homophobie.
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