Un ado cryoniste

Matthew Deutsch n’est pas un adolescent comme les autres. Certes, comme tout le monde, il a peur de mourir, mais pour pouvoir revenir à la vie dans le futur, il a prévu de se faire congeler le cerveau. À 17 ans, il est le plus jeune candidat à la cryogénisation au monde. Nous l’avons rencontré en plein dans son élément, en octobre dernier, au Sommet de la Singularité à New York. Là-bas, lui et des centaines d’experts ou d’amateurs de technologie côtoyaient des visionnaires tels que Ray Kurzweil, l’entrepreneur Peter Thiel, le journaliste Jason Silva et Aubrey de Grey, le biologiste et philosophe qui voit le vieillissement comme une maladie. Matthew Deutsch nous a raconté que c’était de Grey, dans le documentaire Do You Want to Live Forever, qui l’a poussé à devenir membre de la fondation Alcor pour l’extension de la vie – ou plutôt, qui l’a poussé à demander à ses parents de l’inscrire. « Je ne me rappelle plus comment je leur en ai parlé la première fois, mais ma mère me soutient à 100 %. Elle aussi est devenue membre, tout comme mes chiens. Mon père pense que je suis taré, mais il a signé les contrats. »

Fondé dans les années 1970 par Fred et Linda Chamberlain, pionniers de la cryogénisation, Alcor, une association à but non lucratif basée à Scottsdale, dans l’Arizona, compte maintenant 968 membres et 111 patients en cryopréservation, dont 76 ont choisi de ne conserver que leur cerveau. C’est l’option la moins chère, mais également, comme nous l’a fait remarquer Matthew, parfaitement sensée. Si un jour nous sommes capables de ranimer un cerveau humain, nous n’aurons probablement plus besoin de corps (on vivra dans des ordinateurs) ou bien nous aurons la technologie nécessaire pour en fabriquer de toutes pièces. Tout ce qu’il reste à faire, c’est avoir confiance en la capacité d’Alcor à conserver un cerveau congelé suffisamment longtemps.

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Les chambres Dewar d’Alcor sont fabriquées sur mesure pour pouvoir contenir 4 corps et 6 cerveaux à une température de – 196 °C, dans de l’azote liquide. C’est un choix qui occupe maintenant une grosse partie de la vie du jeune Matthew. Il participe activement à toutes les conférences sur la cryogénisation, et a voulu un moment devenir technicien ambulancier spécialisé dans la congélation des patients.

La préservation n’est pas toujours possible – un membre d’Alcor est mort dans les attaques du World Trade Center – et même après cryogénisation, les corps et les cerveaux sont toujours soumis à des risques. La technologie et les protocoles se sont affinés depuis le fameux cas de Bob Nelson, le réparateur de télévisions devenu cryogénisateur qui avait accidentellement laissé des corps fondre dans le désert californien, mais même la technologie la plus pointue ne peut prémunir de l’erreur humaine. En 2003, Larry Johnson, l’ex-PDG d’Alcor, a laissé entendre que des employés de la société avaient maltraité la tête du joueur de baseball Ted Williams, et l’avaient accidentellement craquelée. Réfutant ces accusations, Alcor a expliqué que des craquelures microscopiques pouvaient apparaître lors de la congélation, et qu’on pourrait sûrement les réparer dans le futur. Des décennies entières de doutes n’ont pas ralenti l’intérêt de plein de gens pour cette idée. Parmi les candidats à la cryogénisation qui ont signé chez Alcor, on trouve Kim Eric Drexler, un pionnier des nanotechnologies, Ralph Merkle, pionnier d’Internet, le mathématicien Edward O. Thorpe, Don Laughlin, le propriétaire de casinos, le professeur Marvin Minsky, Ray Kurzweil, l’homme de la Singularité, et Aubrey de Grey, le philosophe-biologiste.

Et dans le reste du monde, les rangs des patients augmentent aussi. Pendant la conférence, nous avons rencontré Danila Medvedev, femme politique et fondatrice de KrioRus, la première entreprise de cryogénisation hors des frontières des États-Unis, qui s’occupe en ce moment de 17 humains (ou de leurs cerveaux), de 2 chats, 4 chiens, et 2 oiseaux en cryopréservation. Matthew, qui a aussi signé pour que ses chiens soient congelés avec lui, essaie encore de convaincre ses grands-parents, et milite en faveur des technologies émergentes. « Si les nanotechnologies et la nanorobotique n’évoluent pas rapidement, mes chiens resteront à vie des eskimos vanille. »