L’encyclopédie visuelle des tatouages des prisonniers russes

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L’encyclopédie visuelle des tatouages des prisonniers russes

Entre 1965 et 1985, Arkady Bronnikov a compilé des centaines de photos de détenus et des symboles qu'ils arborent.

Les têtes de mortsur les épaules du détenu indiquent qu'il purge une peine à vie, et la fille qui « attrape » sa robe avec une canne à pêche sur son avant-bras gauche est un tatouage répandu chez les violeurs. (Toutes les photos sont d'Arkady Bronnikov/ FUEL)

Les tatouages ont tendance à avoir une signification plus importante en prison. Je veux bien croire que le dragon de Komodo que vous arborez sur votre cheville représente les deux jours « forts en émotions » que vous avez passé à boire de la Bintang dans une auberge de jeunesse indonésienne, mais est-ce-que ce tatouage vous définira jusqu'à la fin de votre vie ? J'en doute fortement.

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En prison, les tatouages peuvent devenir un élément symbolique de l'uniforme du détenu. Certains donnent quelques indices sur le crime qui les a envoyés derrière les barreaux, d'autres servent d'outil de communication. Par exemple, une dague placée sur la nuque sous-entend qu'un détenu a tué quelqu'un en prison et qu'il est prêt à recommencer.

Arkady Bronnikov, qui est considéré comme le principal expert russe de l'iconographie des tatouages, a récemment sorti une collection d'environ 180 photos de criminels incarcérés dans des instituts pénitenciers soviétiques. Russian Criminal Tattoo Police Files, publié chez FUEL, est composé de 256 pages et est probablement la plus importante collection de photographies de tatouages de prisonniers.

J'ai contacté Damon Murray, co-fondateur de FUEL, pour discuter du livre.

VICE : Salut Damon. Pourquoi vouliez-vous publier ce livre ?
Damon Murray : Chez FUEL, on a déjà publié la série Russian Criminal Tattoo Encyclopaedia, mais aussi Drawings from the Gulag et Soviets - donc le thème que nous avons choisi est évident. Ces livres sont basés sur les dessins de Danzig Baldaev, un gardien de prison qui a étudié le phénomène des tatouages des criminels russes pendant sa carrière.

Pendant que nous faisions des recherches pour Soviets, nous sommes tombés sur un article qui parlait d'un policier à la retraite, Arkady Bronnikov. Cet expert en criminalistique a travaillé au Ministère Intérieur de l'URSS pendant plus de 30 ans, ce qui l'a mené à visiter des institutions pénitentiaires dans l'Oural et en Sibérie. Entre 1965 et 1985, il a interviewé, photographié et recueilli des informations sur les détenus et leurs tatouages. Il a donc créé l'une des archives les plus complètes à ce jour.

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Nous savions que cette collection de documents uniques ferait un livre fascinant et constituerait une suite parfaite à nos publications antérieures. Il traite du même sujet, mais de manière plus viscérale.

Combien de temps vous a-t-il fallu pour collecter toutes ces photos ?
J'ai rendu visite à M. Bronnikov dans sa maison dans la région de l'Oural en Russie. Nous avions déjà discuté de la possibilité de faire un livre, et il a très gentiment accepté de me parler des documents et des personnes photographiées. Après quelques jours, il est devenu évident qu'il y avait assez de matière et d'informations pour faire un livre qui se suffirait à lui-même, à côté de la série des Encyclopaedia. J'ai ensuite ramené les photos à Londres pour les scanner.

Quel genre d'outils utilisaient-ils pour se tatouer eux-mêmes ?Vous avez des informations sur les prisonniers qui ont été photographiés ?
Mis à part une petite partie au tout début du livre, qui reproduit de véritables documents policiers, toutes les informations rassemblées sur les détenus ont été déduites grâce à leurs tatouages. Leurs crimes varient entre de très graves affaires comme des meurtres ou des viols, à des délits « moins graves » comme du vol et des cambriolages.

Chaque image est accompagnée d'une légende détaillée qui explique comment les tatouages individuels racontent des crimes spécifiques - par exemple, une femme nue qui se fait brûler sur une croix symbolise une accusation pour le meurtre d'une femme. Le nombre de bûches désigne le nombre d'années que dure la peine.

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La majeure partie des tatouage a été réalisée de manière sauvage et douloureuse. Le processus peut prendre plusieurs années, mais une petit forme peut être tatouée en 4 à 6 heures de travail ininterrompu. L'instrument de choix est un rasoir électrique adapté, auquel les prisonniers accrochent des aiguilles et une ampoule de teinture liquide.

Une dague dans le cou indique qu'un criminel a tué quelqu'un en prison et qu'il est prêt à recommencer. Les gouttes de sang peuvent indiquer le nombre de meurtres commis.

Où trouvent-ils la teinture ?
Du caoutchouc brûlé mélangé à de l'urine est utilisé comme pigment. Pour des raisons de santé, il vaut mieux utiliser l'urine de la personne qui se fait tatouer. Comme le fait de tatouer est interdit par les autorités, le processus se fait en secret et est souvent exécuté dans des conditions déplorables. Cela peut facilement entraîner des maladies sérieuses, comme la gangrène ou le tétanos. Mais le problème le plus courant est la lymphadénite - une inflammation des ganglions lymphatiques accompagnée de fièvre et de frissons.

Mais ils le font quand même ?
Dans la plupart des cas, les détenus interviewés par Bronnikov ont expliqué qu'ils avaient commencé à se faire des tatouages seulement après avoir commis un crime. Comme la durée de leur peine augmente et que les conditions d'incarcération deviennent plus rudes, les tatouages se multiplient. Dans les prisons de sécurité minimale, par exemple, 65 à 75 % des détenus ont des tatouages, ce pourcentage passe à 80 % dans les prisons de sécurité moyenne et de 95 à 98 % dans les prisons de sécurité maximale. Dans un établissement de correction féminin situé dans la région de Perm - à environ 1000 km au nord-est de Moscou - Bronnikov a expliqué que seulement 201 femmes sur les 962 détenues étaient tatouées, mais qu'environ 40 % des prisonnières étaient tatouées dans les prisons les plus sécurisées.

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La règle dit que les grands criminels ne doivent pas avoir un grand nombre de tatouages - seulement une paire d'étoiles à 7 ou 8 branches sur les clavicules. Les tatouages sont également réservés à un certain type de criminels - on n'en trouve pas chez les prisonniers qui sont incarcérés pour des crimes politiques, par exemple.

Un des nombreux prisonniers ayant attrapé la syphilis, le sida ou le tétanos

Quelle est votre opinion sur la culture des tatouages de prisonniers ?
Eh bien, c'est incroyable - il n'y a aucun autre endroit où les tatouages expriment un langage aussi unique. Chaque image est chargée de sens, un tatouage peut être littéralement une affaire de vie ou de mort pour celui qui le porte.

Quand un nouveau détenu arrive dans sa cellule, les autres lui demandent « Est-ce-que tu respectes tes tatouages ? » S'il est incapable de répondre - ou si les autres détenus ont entendu dire qu'il portait un « faux » tatouage - on lui donne un morceau de verre ou de brique et on lui demande de l'enlever, ou d'assumer les conséquences. Ça peut être une grosse raclée, un viol ou même la mort.

C'est pour cette raison que les tatouages sont devenus à la fois la chose la plus respectée et la plus crainte dans la société carcérale. Bien plus qu'un ornement personnel, les tatouages possèdent une forte signification et constituent une loi indélébile dans une société qui se trouve bien au-dessus des lois conventionnelles.

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Les étoiles sur les épaules de ce détenu indiquent qu'il est une « autorité » criminelle, alors que les médailles sont des trophées qui représentent la défiance contre le régime soviétique. Les yeux sur son ventre suggèrent qu'il est gay (son pénis forme le « nez » du visage).

Vous avez vu énormément de tatouages de prisonniers. Quels sont les plus communs ?
Il y a beaucoup d'idées et de thèmes récurrents. L'une des imageries les plus habituelles est la religion; la Vierge à l'Enfant, les églises russes et les croix - ce genre de choses. Cependant, dans le cas du système carcéral soviétique - ou la « zone » comme on peut parfois l'appeler - ces images n'ont absolument rien à voir avec des croyances religieuses ; leurs véritables significations sont ancrées dans les traditions criminelles et carcérales. Elles proviennent du désir de se montrer comme un marginal, comme quelqu'un qui a été incompris et qui est condamné à souffrir.

La Vierge à l'Enfant est l'un des tatouages les plus populaires chez les criminels, et il peut avoir beaucoup de significations. Il peut symboliser la loyauté envers un gang criminel, ça peut signifier que celui qui le porte croit que la Vierge va repousser le diable, ça peut indiquer que celui qui le porte a été dans le système carcéral et derrière les barreaux depuis son plus jeune âge…

Dans la « zone », une église ou un monastère sont interprétés comme le symbole du voleur, les nombres de coupoles de l'église signifiant le nombre de condamnations. Une croix est généralement tatouée sur la partie du corps la plus importante : le torse. Sa vocation est de montrer une dévotion aux traditions des voleurs et de prouver que son corps n'est pas sali par la trahison - qu'il est « réglo » envers ses associés. Toutes les croix indiquent que le détenu appartient au milieu des voleurs.

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Quel était l'objectif original en archivant ces photos ?
La collection de Bronnikov qui se trouve dans le livre est particulièrement intéressante, vu que son objectif était purement fonctionnel. Les photographies ont été prises pour un usage policier, pour améliorer la compréhension du langage de ces tatouages et pour aider le processus d'identification des criminels sur le terrain.

La seule considération de l'auteur était d'enregistrer les corps pour des raisons pratiques. Vu que les photos n'ont pas de vocation artistique, elles présentent une représentation franche de la société criminelle, en oubliant involontairement leur côté humain et en présentant leurs traits de caractère : aggressivité, vulnérabilité, mélancolie ou arrogance. Leurs corps expose une histoire non-officielle - racontée non seulement à travers les tatouages mais aussi à travers leurs cicatrices et leurs doigts manquants.

Les photos de la collection d'Arkady Bronnikov seront exposées à la galerie Grimaldi Gavin, au 27 Albemarle Street, à Londres, entre le 17 octobre et le 21 novembre 2014.

Les étoiles à huit branches sur les épaules de ce détenu indiquent qu'il s'agit d'un criminel.© Arkady Bronnikov / FUEL

Le serpent enroulé autour du cou est un signe d'addiction à la drogue.© Arkady Bronnikov / FUEL

Ce détenu n'est pas un voleur autoritaire, mais il a essayé de les imiter grâce à ses tatouages, afin d'avoir une « meilleure » réputation. Le phare désigne la poursuite de la liberté. Les menottes sur chaque poignet indiquent une peine de prison de plus de 5 ans.© Arkady Bronnikov / FUEL

Les lignes placées entre les branches des étoiles signifient qu'il a été appelé à servir l'armée et qu'il a déserté pour devenir criminel.© Arkady Bronnikov / FUEL

Un des nombreux prisonniers ayant attrapé la syphilis, le sida ou le tétanos.© Arkady Bronnikov / FUEL

Les diables sur les épaules de ce détenu symbolisent une haine de l'autorité et de la structure carcérale. Ce genre de tatouages est connu sous le nom d'oskal (rictus).© Arkady Bronnikov / FUEL

Une dague dans le cou indique qu’un criminel a tué quelqu’un en prison et qu’il est prêt à recommencer. Les gouttes de sang peuvent indiquer le nombre de meurtres commis.© Arkady Bronnikov / FUEL

Un tatouage de sirène peut représenter une condamnation pour le viol d'un mineur, ou une agression sexuelle envers un enfant.© Arkady Bronnikov / FUEL

Les têtes de mort sur les épaules du détenu indiquent qu’il purge une peine à vie, et la fille qui « attrape » sa robe avec une canne à pêche sur son avant-bras gauche est un tatouage répandu chez les violeurs.© Arkady Bronnikov / FUEL

Les dollars, les gratte-ciels et la mitraillette évoquent l'adoration du détenu pour le mode de vie de la mafia américaine. © Arkady Bronnikov / FUEL

L'aigle bicéphale est un symbole de l'État de Russie qui remonte au 15ème siècle. La Statue de la Liberté indique un désir de liberté , alors que le personnage qui tient un pistolet montre que le détenu est prêt à commettre des violences et des meurtres.© Arkady Bronnikov / FUEL

Sous les crânes, on peut lire : Dieu contre tous, tous contre Dieu. Le cowboy avec le pistolet indique que ce voleur est prêt à prendre des risques. La colombe qui transporte une branche (épaule gauche) est symbole de bonnes nouvelles et de délivrance.© Arkady Bronnikov / FUEL

La rose sur le torse de cet homme signifie qu'il a fêté ses 18 ans en prison.© Arkady Bronnikov / FUEL

Un tatouage de noeud-papillon au niveau du cou est souvent présent dans les colonies qui ont un régime strict. Le signe $ sur le noeud-papillon signifie que le détenu est soit un braqueur, soit un blanchisseur d'argent – ou qu'il a été condamné pour vol dans une propriété d'État.© Arkady Bronnikov / FUEL

Ce tatouage est une variante du mythe de Prométhée, qui, après avoir piégé Zeus, a été enchaîné à un rocher en guise de punition éternelle. Le voilier signifie que le détenu est un voleur nomade qui va tenter de s'échapper.© Arkady Bronnikov / FUEL