Culture

Bob Odenkirk pense que l’humanité est foutue

Après avoir passé quatre années à New York – quatre années au cours desquelles il aura écrit de multiples sketches pour le Saturday Night Live – Bob Odenkirk a choisi de s’exiler en Californie en 1991. Lorsqu’il me répond au téléphone, il est d’ailleurs chez lui, à Los Angeles. « Ici, ça ressemble plus à une immense banlieue qu’à New York, me dit-il. Vous savez, moi qui ai grandi à Naperville près de Chicago, j’ai toujours apprécié les immenses avenues, les voitures, un genre de calme suffocant. »

Depuis l’époque de Mr. Show with Bob and David – une série comique diffusée de 1995 à 1998 sur HBO – Odenkirk a varié les registres, allant jusqu’à réaliser Les Frères Solomon, une comédie pas forcément appréciée de l’ensemble de la critique. Aujourd’hui, il est principalement connu pour son rôle de Jimmy McGill/Saul Goodman dans Breaking Bad et, bien évidemment, pour être l’acteur principal du spin-off de cette dernière, Better Call Saul – série pour laquelle il a reçu trois nominations consécutives aux Emmy dans la catégorie « meilleur acteur dans une série dramatique ». J’ai eu l’opportunité d’échanger longuement avec Bob Odenkirk, pour parler de choses et d’autres.

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VICE : Pas mal de comiques américains viennent de l’Illinois. Pourquoi selon vous ?
Bob Odenkirk :
J’imagine que ça a à voir avec le côté terre à terre des gens de là-bas, qui demeurent modestes quoi qu’il arrive. Lorsque vous grandissez à New York – comme Donald Trump, pour prendre un exemple au hasard – vous êtes tout de suite dans le grand bain, avec les grands noms. Ça peut vous monter à la tête. Pour être drôle, il faut savoir relativiser, prendre de la distance.

Vous avez vécu à New York, dans le Midwest, à Los Angeles – vous connaissez donc différentes facettes de l’Amérique. En quoi Breaking Bad et Better Call Saul sont-elles des séries qui en disent long sur ce que sont les États-Unis d’aujourd’hui ?
Aux États-Unis, on nous incite à constamment nous réinventer. Jimmy essaie de se réinventer, de se débarrasser de son étiquette d’arnaqueur pour embrasser la carrière d’un avocat respecté. Il a le sentiment qu’il en a tout à fait le droit – mais son frère Chuck y est opposé et tente constamment de mettre à mal sa nouvelle respectabilité. Better Call Saul interroge donc directement le mythe du self-made-man : peut-on, aujourd’hui en Amérique, se réinventer constamment, ou s’agit-il d’une légende ?

Le fait de se réinventer peut également être évoqué lorsque l’on observe votre carrière : vous êtes passé de la comédie la plus potache à un registre dramatique.
La question qu’il faut se poser est la suivante : suis-je incroyablement doué, ou m’étais-je trompé de voie étant plus jeune ? Je penche évidemment pour la seconde explication ! Je suis plus à l’aise dans le registre dramatique, j’ai plus de « présence » – même si j’adore toujours la comédie. Aujourd’hui, je suis à ma place.

Les familles jouent un rôle important dans Better Call Saul ainsi que dans Breaking Bad. Quel regard portez-vous là-dessus ?
Je suis membre d’une fratrie de sept gamins, mais ça n’a que peu d’influence sur mon jeu d’acteur. J’adore Jimmy McGill, mais il n’est en rien le miroir de mes émotions. Dans mes proches, personne ne ressemble au personnage de Chuck. En tout cas, je n’ai pas l’impression de transposer mon existence dans ma vie professionnelle.

Et votre famille, qu’en pense-t-elle ?
Ma mère est extrêmement pieuse, et elle n’a jamais pu regarder les comédies et les émissions pour lesquelles j’ai bossé – trop crues, vulgaires, critiques de la religion et des conservateurs. Ça ne me dérange absolument pas. Un jour, après la diffusion d’un épisode du Saturday Night Live, elle m’a appelé pour me dire qu’elle avait essayé de regarder mais qu’elle n’avait pas pu. Je lui ai dit : « Mais personne ne t’a demandé de le faire ! Ce n’est pas pour toi. »

Au début, pas mal de gens se sont lancés dans Better Call Saul en pensant que Jimmy allait être le grand méchant de l’histoire – un truand, comme dans Breaking Bad. Ce n’est pourtant pas du tout le cas.
La transformation de Jimmy en Saul n’est pas de mon ressort : je laisse ça à Vince Gilligan et Peter Gould. Après, dans Breaking Bad, vous ne voyez jamais Jimmy en dehors de son bureau. Logiquement, vous avez l’impression qu’il n’est rien de plus qu’un petit avocat véreux de bas étage, et ne pensez jamais à sa vie personnelle, à ses relations avec ses proches. Il en va de même dans la vie réelle : ce n’est pas en me regardant à la télévision que vous allez comprendre qui je suis.

De nombreux sketches de Mr. Show sont toujours d’actualité – « Worthington’s Law » rappelle évidemment Donald Trump. Ça vous fait plaisir ?
Oui ! Même si je n’aime pas forcément quand la réalité se transforme en farce. Je préférerais de la complexité dans la réalité – que celle-ci ne soit pas à l’image de ce qui se passe dans la tête de quelques comiques. Le problème, ce n’est pas vraiment que Trump suive les pas de ce sketch. Ce qui m’ennuie, c’est de constater que de nombreux Américains souscrivent à la théorie : « Les gens riches sont plus intelligents. » Ils pensent sincèrement que c’est vrai.

Après, Mr. Show avait cela de particulier qu’il s’agissait d’un programme enregistré longtemps avant sa diffusion, qu’il fallait donc rendre « intemporel » – nous ne pouvions pas nous permettre d’évoquer des questions trop particulières. Ça a donné à Mr. Show un petit côté « méta », tout en ne s’éloignant pas trop de ce qui faisait notre force : les sketches absurdes, drôles et simples, qui rient du quotidien. Ce sont généralement les plus complexes à imaginer, et c’est de ceux-là dont je suis le plus fier.

Depuis plus d’un an, la comédie américaine s’est emparée de l’actualité de manière très directe. Comment l’expliquez-vous ?
Disons que la situation l’exigeait. Le SNL n’a jamais été aussi drôle qu’au cours des 18 derniers mois, tout en s’éloignant un peu du simple commentaire de ce qui se produisait au quotidien pour évoquer plus largement les thématiques qui intéressent les Américains.

Vous avez été l’un des mentors de Tim & Eric. Vous reconnaissez-vous dans leurs sketches ?
Complètement. Ils sont uniques, capables de s’amuser de leurs expériences universitaires comme aucun autre. Ils ont créé un univers rien qu’à eux – un peu à l’image de David Lynch, qui a donné naissance à tout un tas de moments mêlant absurdité et rêve, moments auxquels on peut se rattacher. Tim & Eric font la même chose.

Vous partagez une vision très pessimiste de l’Amérique. Vous définiriez-vous comme quelqu’un de cynique ?
La plupart des gens que l’on juge cyniques ne le sont pas – ce sont des idéalistes, que l’on juge cyniques parce qu’ils attendent énormément de choses du monde et qu’ils sont constamment déçus. Un vrai cynique est un égoïste, quelqu’un qui ne ressent rien.

Je crois être idéaliste, même si ça me fait bizarre de dire ça parce que je crois qu’il n’y a aucun espoir pour l’humanité ! Je reste persuadé que les êtres humains sont condamnés à la damnation. Après, je suis un simple acteur, rien de plus ! Je ne sais peut-être rien de l’état du monde. Je sais simplement qu’en vieillissant, j’ai compris que nous faisions tout pour nous autodétruire.

Certaines des sketches dans lesquelles vous avez joué dans les années 1990 pourraient choquer aujourd’hui. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Voici ce qui a changé, et je trouve ça fascinant et merveilleux : une opinion n’est plus considérée comme un truc de niche. Mr. Show était une émission de niche, et nos spectateurs étaient un petit groupe de gens qui avaient conscience de leur faible nombre.

Avant, quand on faisait de la comédie, on restait dans notre zone de confort. Nos spectateurs étaient les seuls à nous comprendre, et ils savaient que nos remarques cruelles, stupides ou rétrogrades étaient de simples blagues. Aujourd’hui, tout le monde a accès à tout. Les commentaires sont désormais présentés comme de l’information, et plus personne ne sait faire la différence. Nous vivons dans un monde de commentateurs, et les gens donnent leur avis sur tout. C’est comme ça.

Larry est sur Twitter.