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Giorgio Moroder nous raconte comment il a composé « I Feel Love »

À 74 ans, Giorgio Moroder n’a jamais été aussi demandé en tant que DJ. Ce soir, Giorgio Moroder est la tête d’affiche de la deuxième journée du Moogfest, festival célébrant la Toute-Puissance de la chose synthétique à travers les âges. Sur la scène en plein air d’Asheville, en Caroline du Nord, le vieil homme aux cheveux blancs s’acharne sur Ableton Live avec une ferveur et une passion à des lieues de l’auto-satisfaction blasée et de la mégalomanie des DJs superstars du moment. On a pourtant affaire à un type qui -comme certains de ses contemporains, à commencer par Kraftwerk- a su plonger au plus profond du coeur de l’électronique pour atteindre l’âme même de l’instrument, l’esprit de la machine, faisant jaillir l’émotion des entrailles électriques.

On s’est assis un instant avec Giorgio pour discuter de son tube « I Feel Love ». Sorti en pleine apogée du disco, le morceau chanté par Donna Summer réussit aujourd’hui encore à capturer à la perfection l’ambiance de ces heures avancées de la nuit, où la brume synthétique s’empare des coeurs moites, battant à l’unison. Une page d’Histoire de la disco, entièrement créée sur un Moog Modular, instrument qui vient tout juste de voir sa réédition présentée au Moogfest.


Noisey : Merci de me consacrer un peu de ton temps.
Giorgio Moroder : Quelle journée ! J’ai passé ma journée à raconter la même histoire, encore et encore…

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Bon, on va essayer de te faire raconter autre chose alors. On peut éviter tout ce dont tu as déjà parlé aujourd’hui.
Non, non, non ! Tu sais, ce sont les questions habituelles, mais peu importe. Pose tes questions, et je te donnerai peut-être des réponses différentes.

J’ai vu ta conférence tout à l’heure…
Oh, donc tu sais déjà tout.

Pas tout à fait ! Est-ce qu’on peut parler plus en détail de « I Feel Love » ?
Tu as fait toutes les percussions dessus ? il le mime en train de taper uniquement sur la grosse caisse La technologie qui est accessible aux musiciens d’aujourd’hui est tellement avancée, par rapport à ce que vous aviez à l’époque.
Penses-tu justement que le fait que ç’ait été à ce point difficile a joué un rôle important au final ? Ok, maintenant je fais les pistes Giorgio Moroder chante la ligne de basse de « I Feel Love ». Une avalanche de bonheur s’ensuit.

Ça me fait penser aux trucs que trouvaient les Beatles et George Martin pour contourner les difficultés, et qui les poussaient, au final, à faire des choses incroyables et des disques géniaux. On dirait qu’aujourd’hui, tout est devenu trop facile, et que du coup, les gens ne sont plus capables de faire des disques aussi profonds.
C’est clair… Tu n’as pas besoin d’être un génie pour faire de la musique aujourd’hui. En fait, j’ai même un gars qui bosse pour moi qui ne sait même pas jouer de clavier. Il met des numéros dessus. On a foncitonné de la même façon pour « E=MC2 », parce qu’on avait un ordinateur appelé le Composer, sur lequel tu avais, comme sur un téléphone, les touches « do-ré-mi-fa-sol-la-si-do ». Du coup, tu tapais « ding-ding-ding-ding » et puis ça le jouait. C’était juste trop mécanique. Composer « I Feel Love » a été incroyable parce que c’était le premier morceau du genre, mais ensuite j’ai remarqué que dans « E=MC2 », tout était un peu trop précis, trop mécanique. Maintenant, quand tu enregistres en digital, disons que tu joues. Tu fais des erreurs. Tu choisis le timing que tu veux pour que ça soit plus naturel. Ce Composer était si précis que c’en était devenu presque trop froid.

Tu as mentionné le JP8 (1981) – quand cette nouvelle technologie est sortie, t’étais impatient de l’essayer ?
Oui, surtout que le Moog avait toujours le même problème : j’avais toujours besoin d’un gars – à l’époque, je vivais à Munich et je devais à chaque fois rentrer parce que ce gars était l’un des seuls que je connaissais qui avait la machine pour tout faire fonctionner. Mais ensuite, le Minimoog est sorti, et le JP8, le JP2 et le Prophet. Et puis plus tard, j’ai acheté un très bon instrument appelé le Synclavier, qui était alors le meilleur truc sur le marché.


Le Synclavier

Et le plus cher.
Oh mon dieu. Ca valait plus de 100 000 dollars, je crois [100 000 dollars en 1977 équivalent à 379 151 dollars en 2013] J’ai un ami qui l’utilise toujours, parce qu’il a un tas de bons sons. Celui qui l’a conçu avait des sons incroyablement géniaux.

Qu’est-ce que tu utilises aujourd’hui ?
J’utilise juste des sons internes comme… comment ça s’appelle ? Stylus X-quelque-chose.

Est-ce que tu utilises Logic ou Ableton ?
Oh non, j’utilise Pro Tools. C’est facile, l’enregistrement est parfait. Tout le monde mixe sur Pro Tools, donc pourquoi ne pas enregistrer dessus ? Certaines personnes enregistrent sur Logic et puis transfèrent, ce qui d’après moi, est toujours un peu le bordel. Mais en même temps, je trouve que tous ces programmes sont très bons.

Tu vas utiliser Ableton ce soir ?
Oui.

Ça doit être différent de tes premiers pas de DJ dans les années 60.
On jouait avec des 45 tours, c’était très différent. Mais je l’ai très peu fait à l’époque. J’ai fait un peu de DJing, mais pendant un an, pas plus. Peut-être une fois par semaine, pour me faire un peu d’argent.

Qu’est-ce que tu penses de la musique de 2014. C’est futuriste pour toi ?
Oui, ça l’est. Les sons sont tellement bons, les effets sont géniaux. Il y a certains effets que je n’aurais même pas imaginé en rêve. Et je pense que bon nombre de ces effets sont apparus dans l’EDM par erreur. Je discutais avec cet italien, Benny Benassi, qui était l’un des créateurs du « uumph-shaa » [ce qu’on appelle le side-chaining]. Et il m’a avoué que c’était une pure coïncidence. Un de ses compresseurs est devenu fou et a tout à coup sorti ce son.

Merci Giorgio.
Tout le plaisir était pour moi.


Davo a demandé à Giorgio, en le regardant droit dans les yeux, de l’adopter. Il est sur Twitter – @battery_licker