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Le guide Noisey d’Electric Wizard

Depuis maintenant plus de deux décennies, une titanesque vague de goudron fait gronder les terres du comté du Dorset. Son nom : Electric Wizard, le plus grand groupe de doom metal contemporain et un des meilleurs groupes de sa génération, tous genres confondus. Musicalement parlant, le Wiz’ était à la base une congrégation de disciples de Sabbath enamourachés à la fois de la première vague de doom US (Saint Vitus, Pentagram et Trouble), de rock de Detroit (Alice Cooper, Stooges, MC5) et des patrons de la NWOBHM comme Venom et Witchfinder General. Mais le groupe est aussi et surtout un gigantesque réservoir à pop-culture, louant dans un même souffle des figures comme l’acteur Reggie Nalder (l’inoubliable tronche des Vampires de Salem), l’inoxydable réalisateur Jess Franco ou Susan George, la vedette des Chiens de Paille de Sam Peckinpah.

À quelques mois de la sortie de leur nouvel album sur leur label Witchfinder Records—avec un nouveau line-up, qui marque l’arrivée de Clayton Burgess le bassiste de Satan’s Satyrs et le retour du batteur originel Mark Greening—Electric Wizard est plus remonté que jamais, comme l’a prouvé le leader Jus Oborn en déclarant récemment : « Le programme est simple : du metal, du vrai metal ! Nous sommes avec les kids. On se bat, on dégueule, on fume de l’herbe. » Au vu de ce planning, nous avons donc décidé d’établir un abécédaire complet du groupe, en collaboration avec Oborn, qui a pris un peu de son temps pour réagir à certaines entrées et aborder avec nous des sujets tels que la disparition de Soho, les innondations dans le Somerset, le génie de Satan’s Satyrs, ou les sessions du groupes aux légendaires studios Toerag.


A comme Alice Cooper : Au début des années 70, personne ne pouvait se mesurer à Alice Cooper. Il avait un groupe génial, des mélodies à la fois imparables et complètement bizarres, des paroles ultra-flippantes, des guillotines sur scène et un maquillage reconnaissable entre mille. Cooper a réussi à mélanger mieux que personne deux éléments a priori antinomiques : le macabre et le grand cirque du rock ‘n’ roll. « Le groupe d’origine était fabuleux, se souvient Jus. Tous leurs disques étaient incroyables. Jusqu’à ce que Bob Ezrin vienne tout foutre par terre. L’influence de ce type, c’est ce qu’il pouvait leur arriver de pire… Tout a commencé à merder avec les plans comédie musicale sur School’s Out, et le groupe était visiblement trop défoncé pour s’en soucier. C’est le schéma classique du super groupe qui se fait bouffer par l’industrie (et ça n’a pas vraiment changé depuis…) Mais les quatre premiers disques d’Alice Cooper sont juste indispensables. Le meilleur étant évidemment Killer, qui est une synthèse de tout ce qu’ils pouvaient faire de mieux à l’époque. Je veux dire, écoutez « Halo of Flies » c’est du pur génie ! Et à partir de là, remontez jusqu’à Pretties For You. Tout est incroyable. »

B comme Black Flag : Si l’influence de Black Sabbath est évidente chez Electric Wizard, celle de Black Flag n’est pas à négliger pour autant, que ce soit pour la rage et la haine sourde qui habite chaque morceau de Dopethrone et Let Us Prey, pour la connexion entre Black Flag et St Vitus (dont les disques sortiront sur SST, le label de Greg Ginn, le guitariste du groupe) et, fatalement, pour la face B de My War, élément fondateur de tout la scène doom/sludge/stoner contemporaine.

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C comme Corruption : Acteur fétiche de la Hammer, Peter Cushing a également eu son nom à l’affiche d’un poignée de films plus gratinés. Corruption en fait partie. Jus : « Corruption a été réalisé par Robert Hartford-Davies en 1968… C’est le film le plus trash et le plus dingue dans lequel ait joué Peter Cushing. Il joue un chirurgien esthétique qui tue des prostituées afin de prélever des glandes pituitaires qui lui permettront de sauver sa femme top-model, défigurée dans un accident. Tout ça se passe dans le Soho des années 60 et se termine avec l’irruption d’un gang de mods sous LSD qui se fait décimer à coups de laser. Génial. »

D comme Detroit : Pas forcément la première ville qui vous viendra à l’esprit à l’écoute des disques d’Electric Wizard, et pourtant une influence majeure pour le groupe : MC5, les Stooges, Alice Cooper—et même les premiers Ted Nugent—ont tous joué un rôle prédominant dans la mise en place du son et de l’identité du groupe. « Ces groupes étaient tous très abrasifs, très agressifs, raconte Jus. Et ils étaient tous influencés par des groupes anglais, des groupes R&B comme les Pretty Things ou les Yardbirds—mais également des trucs comme Pink Floyd. La tournée américaine de Pink Floyd en 1968 a eu un énorme impact sur la scène underground US. Le groupe a même squatté chez Alice Cooper pendant plusieurs semaines… Je crois que ça les a pas mal influencé. Le rock de Detroit en gros, c’est un mélange de blues, de soul, d’agression et de violence urbaine. D’ailleurs, ils ont souvent été décrits à l’époque comme des groupes ‘heavy metal’, ce qui est assez logique finalement. »

E comme Erotic Rights of Frankenstein : « Réalisé par Jess Franco en 1973 pour Robert DeNesle, qui était un énorme fan de films d’horreur… Du pur Fumetti Erotici sur pellicule, on se croirait dans les pages d’Oltretomba, Terror ou I Sanguinari. Un chef d’oeuvre de sexe et de sang qui est à ce jour toujours inédit en DVD dans sa version intégrale (tout comme Les Démons de Ken Russel). Reste l’édion VHS anglaise d’origine… Si l’un(e) d’entre vous en possède une copie, qu’il me fasse signe ! »

F comme Flux : Cette année, le Somerset a été le théâtre d’importantes innondations, mettant en péril le QG du groupe. « C’était atroce, raconte Jus. Nous avons eu de la chance, parce que nous sommes situés en hauteur, mais on est restés bloqués pendant plusieurs jours. Et aujourd’hui, on sait que notre gouvernement a favorisé cette catastrophe en refusant de draguer les rivières et les lagons. Quelle bande de pourritures. Ils détruisent toutes ces régions pour appliquer les directives de l’Union Européenne et nous parquer dans des ‘zones de concentration urbaine’. Mais on va résister. Maintenant, c’est la guerre. »

G comme Susan George : L’actrice principale des Chiens de Paille a beau être devenue éleveuse de pur-sangs, elle demeurera toujours pour Osborn et des milliers d’autres le symbole de la violence rurale au cinéma : « Il y a une vibe très Chiens De Paille dans le Dorset et le Somerset. Mon père aurait pu être dans le gang qu’on voit dans le film, dans les années 60. Susan George était une de mes actrices préférées quand j’étais gamin… Elle l’est toujours aujourd’hui, d’ailleurs. »

H comme H.P Lovecraft : De très loin, l’auteur de romans fantastiques le plus influent de tout le XXème siècle. Electric Wizard a rendu hommage au créateur du mythe Cthulhu a plusieurs reprises, notamment sur le morceau « Dunwich », référence directe à la nouvelle The Dunwich Horror, qui sonne comme une jam entre Captain Beefheart et Pentagram dans une brownstone New-Yorkaise enfumée, circa 1972.

I comme Indica : Si vous ne savez pas de quoi on parle, vous pouvez prendre un cour de rattrapage express ici. Pour les autres, vous avez juste à appuyer sur play.

J comme Jess Franco : Le Maître. Plus de 160 films au compteur, de l’horreur gothique au soft porn imbitable en passant par l’exploitation la plus éhontée. Rageur, obsessionnel, et littéralement possédé par son art.

K comme Kentish Town Forum : Le 31 mars 2012, Electric Wizard a vendu l’intégralité des places du Kentish Town Forum, une des salles les plus prestigieuses de Londres, sans aucune promotion, juste par le bouche à oreille. Le rang des fidèles grossit chaque jour un peu plus.

L comme Long Island Cannibal Massacre: « Long Island Cannibal Massacre, réalisé par Nathan Schiff en 1979—j’ai mis la main dessus récemment et ça m’a complètement retourné. C’est totalement amateur, filmé en Super 8, mais c’est hyper bien et ça a vraiment l’air d’un ‘vrai film’. C’est totalement cramé, druggy et tellement gore que ça en devient surréaliste—ça m’a fait le même effet que quand j’ai vu Bad Taste de Peter Jackson pour la première fois. »

M comme « Mad » Myron Fass : Éditeur d’un nombre incalculable de magazines trashOutlaw Biker Gangs, Occult Sex, Brute, Groupies—Fass a régné en maître sur les kiosques à journaux américains durant les années 70 et 80, déclarant « pouvoir monter du jour au lendemain un magazine sur les sièges de toilettes tant qu’on lui garantissait un tirage de 20 000 exemplaires. » Jus est un fan de longue date de l’excentrique entrepreneur : « Il est complètement taré… J’ai grandi avec tout un tas de magazines d’horreur : Weird, Terror Tales, Witches Tales, etc. Et les magazines de Myron Fass étaient les plus dingues et les plus tordus de tous. Quand j’étais gamin, j’avais un peu de mal avec Creepy ou Marvel Horror, qui étaient des titres plus ‘matures’, mais Eerie et les mags de Fass étaient nettement plus brutaux, et bien moins chers aussi—ce qui ne gâchait rien. Aujourd’hui, je les collectionne tous. Les trucs d’enquêtes policières sont complètement tarés—j’aime aussi beaucoup les séries de chez Stanley Publications : Ghoul Tales, Stark Terror... Ceux-là étaient encore plus cheap et dégueulasses, avec des couvertures bien sadiques et souvent franchement tendues—mais les histoires à l’intérieur étaient paradoxalement très soft. »

N comme Paul Naschy : Star incontournable des films de loup-garous espagnols des 70’s. Un des acteurs fétiches du groupe.

O comme « The Outsider » : Chef d’oeuvre de l’album Let Us Prey. Jouez-moi ça et faites trembler l’open space.

P comme Psychomania : Le meilleur film de bikers anglais de tous les temps et un des films de chevet du groupe. Le pitch : Tom, un jeune délinquant charismatique, est à la tête d’un gang de motards baptisés les « Morts Vivants ». Adepte de séances de spiritisme, il fait un soir un pacte avec le diable qui lui promet de faire revenir son gang d’entre les morts. Les membres du groupe se suicident alors les uns après les autres -avec plus ou moins de mal- pour accéder à l’immortalité et errer en moto à travers l’Angleterre profonde pour l’éternité. À noter dans la bande-son le morceau « Riding Free », étrange ballade folk qui aurait largement eu sa place sur le soundtrack de Wicker Man.

Q comme Queen of the Night : Un des meilleurs morceaux de l’album Black Masses, basé sur la Vénus à la fourrure -roman érotique de Leopold von Sacher-Masoch- et pour lequel Jus a signé des lyrics sublimes : « Queen of the night swathed in Saturn black, your ivory flesh upon my torture rack… to your leather boots I offer prayer, you rise like a Cobra, evil, dressed in furs. »

R comme Reggie Nalder : Un des visages les plus célèbres du cinéma fantastique. Principalement connu pour son rôle dans Les Vampires de Salem, il a joué dans près d’une soixantaine de films, et a même fait une apparition dans Star Trek. Son nom est mentionné sur la pochette de Dopethrone.

S comme Satan’s Satyrs : Des riffs 60’s noyés dans douze tonnes de fuzz, des vocaux psychotiques, et des paroles qui parlent essentiellement de magie noire, de bikers et de bondage : il est techniquement impossible de résister aux Satan’s Satyrs, trio de Washington D.C. dont on vous avait présenté le nouvel album en avril dernier et dont le chanteur Clayton Burgess est également le nouveau bassiste d’Electric Wizard. « Ils défoncent, s’exclame Jus. Honnêtement, j’ai entendu peu de groupes aussi mordants et déterminés qu’eux ces dernières années. Quand tu joues leurs disques, il y a toujours 2 ou 3 personnes pour te dire ‘Mec, c’est quoi cette merde ? Arrête ça tout de suite’. Pour moi, c’est un très bon signe. Satan’s Satyrs sonne comme un croisement entre Davie Allen, Black Flag et Venom… C’est totalement ma came. »

T comme Toerag Studios: Les Toerag Studios, à Hackney, le paradis du son analogique. Un endroit devenu célèbre au début des années 2000 grâce aux White Stripes, où Electric Wizard ont enregistré Black Masses et leur nouvel album. « On a enregistré la majeure partie de notre nouveau disque à Toerag—et quelques trucs à Skyhammer dans le Cheshire, avec Chris Fielding, qui est un vieil ami du groupe… On l’a également mixé à Skyhammer. Black Masses est un pur disque d’acid metal. On voulait faire quelque chose de complètement hallucinatoire… Le nouveau est différent, plus direct—plus metal—j’ai bossé avec Chris Fielding plusieurs fois par le passé—je savais exactement ce que je voulais et ce qu’il pouvait nous apporter. »

U comme Underground : Le quartier de Soho à Londres n’a désormais plus rien à voir avec ce qu’il était durant les années 80. « Il ne reste plus un seul cinéma valable, déplore Jus. Quand je vivais dans le coin, en 88-89, ça avait déjà beaucoup changé, il ne restait plus grand chose du quartier d’origine… Mais c’était génial quand même… Tout le porno que tu trouvais était censuré, ou très soft. Mais si tu cherchais bien, tu trouvais… Ils gardaient tous les trucs plus hard planqués sous le comptoir. Il y avait des types qui en vendaient à la sauvette aussi, dans le coffre de leur voiture. Il restait même quelques clubs de strip-tease, très discrets, et l’entrée ne coûtait qu’une Livre ! La Reeperbahn à Hamburg est toujours bien craignos, et il reste quelques trucs à Amsterdam—mais tous les super spots de Stockholm et Copenhague ont disparu, eux aussi. Les seuls endroits où tu peux retrouver cette vibe, c’est dans certaines petites villes des USA, bien paumées… À Osaka et Tokyo aussi, tu trouves encore pas mal de porno 70’s. »

V comme Venom : Le groupe le plus vicieux, sinistre et dégeulasse jamais sorti de Newcastle. Electric Wizard sont ultra-fans de Venom, et logiquement, vous aussi. Comme le racontait leur leader Cronos : « On voulait générer la panique. On a même enregistré des sifflets à ultrason pour que les animaux domestiques de nos fans pètent les plombs en entendant le disque. »

W comme Witchfinder Records : Le nouveau label d’Electric Wizard. « Witchfinder Records existe depuis les débuts du groupe, rappelle Jus. On s’en servait pour sortir nos démos ou des bootlegs sur CD-R qu’on vendait en concert et qui nous permettaient de joindre les deux bouts. Du coup, quand on a quitté notre label précédent, Rise Above, on s’est dit qu’on n’avait qu’à relancer Witchfinder et devenir totalement indépendants. Sauf qu’il était impossible qu’on gère le label nous-mêmes—on est vraiment trop défoncés pour ça. J’ai pas envie que nos fans nous en veuillent parce que leurs disques sont postés avec 3 mois de retard, tu vois ? Surtout qu’on a bossé avec un tas de labels hyper pros et hyper réglos avant ça. Alors on a décidé de tout produire via Witchfinder, mais de confier la promo et la distribution à un plus gros label, histoire que les choses soient faites correctement… Mais maintenant que Witchfinder est relancé, il est possible qu’on signe d’autres groupes, oui… Ou bien qu’on produise des films, ce genre de trucs… On verra ! »

X comme classé X : Jus Oborn n’est pas seulement un fervent amateur et un grand collectionneur de porno vintage : il travaille également sur un livre entièrement consacré au sujet. « On est de gros fanatiques de cinéma d’exploitation et de séries B. On aime les Giallos, les thrillers érotiques, les Women-In-Prison, les Rape & Revenge, les films d’action philippins… Je suis aussi un énorme collectionneur de porno des années 60 et 70. Pourquoi ? Parce que c’est bien meilleur que le porno actuel. Les acteurs, la mise en scène, tout est de bien meilleure qualité. Je bosse depuis quelques temps sur un livre exclusivement dédié au porno européen des années 60/70, mais c’est une tâche assez ardue. La plupart des gens qui ont bossé dans ce milieu à l’époque sont soit morts, soit introuvables. Et ceux qui ont survécu au Sida et aux campagnes de diffamation refusent de s’exprimer sur le sujet. Certains ont accepté de m’accorder un peu de leur temps, mais ce sont principalement des acteurs, ils sont très extravertis et pas super fiables. Il y a eu pas mal de livres sur le porno américain des années 60 et 70, mais on ne sait rien sur le porno anglais et européen de cette époque-là. Ceci dit, mes réalisateurs favoris se trouvent plutôt dans le cinéma fantastique : Jess Franco, Jean Rollin, Mario Bava, Jose Larraz, Robert Hartford-Davies, Andy Milligan, Paul Naschy. J’aime le macabre, le bizarre. On a d’ailleurs écrit un scénario pour un film avec Electric Wizard ! C’est un peu dans le même esprit que les films dans lesquels jouaient les Beatles… mais en plus sombre et morbide ! Je ne peux pas t’en dire plus… Il faut garder le secret ! En tout cas c’est nettement plus proche d’un Rape & Revenge que d’un film d’horreur classique. »

Y comme Yuggoth : Yuggoth est une planète inventée par H.P Lovecraft dans le mythe de Cthulhu- elle est censée se trouver à l’extrêmité du Système Solaire, comme Pluton, et est mentionnée pour la première fois dans Celui qui chuchotait dans les ténèbres. Elle apparaît chez Electric Wizard dans « Electric Frost », la première partie du gigantesque « Weird Tales », sur DopethroneFrom ancient Yuggoth / Black Rays emit. »)

Z comme, euh, wiZard : Il y a deux ans, Electric Wizard s’est vu confier la programmation d’une soirée cinéma au Roadburn Festival. Parmi les films présentés à cette occasion, figurait l’incroyable Simon, King of the Witches, que Jus avait présenté en déclarant que « Simon était la définition même de l’Electric Wizard, un mec complètement perché et flippant, évoluant dans un film complètement druggy et relativement difficile à suivre, qu’il est recommandé de regarder sous LSD. »


Comme à peu près tous les groupe de l’Univers connu, Electric Wizard sera ce week-end au Hellfest.


Harry Sword est sur Twitter – @HarrySword

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