J’ai demandé à mes parents de me parler de leur vote

Mettre un papier dans une caisse métallique équipée d’une fente pour obtenir le fameux « A voté » est un geste relativement simple – aussi simple que d’insérer une clé dans une porte ou de mettre une balayette au chiard du premier qui court tous les matins sur votre palier et cogne sa trottinette contre le mur. Pourtant, les 44 millions de votants français basent (normalement) un tel geste sur un raisonnement cohérent en lien avec leurs valeurs, leurs intérêts, leur bagage social et culturel ainsi qu’une once de pensée pour le bien commun. Une réflexion mûrie, en somme. Mais le vote peut tout aussi bien se décider à l’issue d’un spectaculaire retournement de veste reposant sur un costume trop grand porté par un candidat lors d’un débat télévisé. C’est là tout le charme, et l’absurdité, du vote.

La première fois que j’ai voté, c’était en 2007. À l’époque, je ne connaissais rien à la politique puisque j’avais 18 ans. Les manifs contre le CPE n’étaient évidemment qu’un moyen pour moi de ne pas aller en cours. Néanmoins, on m’octroyait un nouveau droit, il était donc normal que je l’utilise. Depuis, mon regard sur le vote a évolué, puisque j’ai décidé ne plus voter – pour l’instant, du moins.

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Mais ce n’est pas le cas de mes parents. Âgés tous les deux d’une soixantaine d’années, ils n’ont jamais manqué une seule élection. Je me suis donc demandé si mon père, architecte, et ma mère, qui bossait dans une cour d’appel, avaient changé de bord au cours de leur longue vie de citoyen. Avaient-ils les mêmes réflexions que moi à mon âge ? Qu’est-ce qui guidait leur choix dans les années 1970 ? J’ai donc discuté avec eux au sujet de l’évolution de leur vote, et de leur rapport à la politique.

VICE : Est-ce que vous pouvez me parler de votre première élection ?
Papa : C’était en 1977, j’avais tout juste 21 ans. C’était pour les municipales. On y allait en famille, tous bien habillés. Bien sûr, on y allait avant de se rendre à la messe – avec le vison pour ma mère si c’était en hiver. À l’époque, on votait à droite. Mon père, un conseiller municipal, avait dû arrêter cette activité car elle n’était pas compatible avec sa charge de travail de médecin. Il était tout de même resté aux côtés de l’équipe en place. Il était choyé par la municipalité car, étant médecin du village, il faisait venir tous les vieux de la région en car scolaire pour qu’ils votent ! « Mais Docteur, dites-nous pour qui il faut voter, on vous fait confiance », et dans le car, il leur disait : « Il faut voter pour M. Machin. »

Maman : De mon côté, je me souviens que j’étais à la fac de droit et que j’aidais des copains à coller des affiches pour Giscard en 1974. Moi, je n’avais pas encore le droit de vote car la majorité est passée de 21 à 18 ans après l’élection de Giscard. J’ai donc été majeure à 20 ans, si l’on peut dire.

J’ai dû voter pour la première fois lors des législatives de mars 1978. J’étais à l’école des greffes de Dijon, donc encore étudiante, et je n’ai pas plus de souvenirs que ça.

Que recherchiez-vous à cette époque ? Qu’est-ce qui influençait votre choix ?
Papa : À 18 ans, on ne sait rien. J’étais donc du côté du pouvoir, du côté de mes parents – je n’avais pas d’alternative. Les parents représentaient la réussite, voilà tout. En ce temps-là, l’objectif était de faire passer ceux qui avaient de l’expérience, qui travaillaient, qui avaient des valeurs et qui réussissaient. En gros, surtout pas les post-soixante-huitards. Oui, ce n’est pas glorieux, mais c’était comme ça à 18 ans.

Maman : À l’époque je me préoccupais plus de mon avenir professionnel que des élections. Pendant cette période, il y avait très peu de chômage et après les années De Gaulle et Pompidou, Giscard avait quelque peu dépoussiéré la vie de tous les jours. Mon choix était sans doute dicté par ce que me disait mon père, car il ne me semble pas que nous parlions énormément de politique entre étudiants, malgré mes quelques collages d’affiches. Nous étions privilégiés : nos aînés avaient fait 1968, et nous en récoltions les fruits.

Est-ce que votre vote a changé au fil des années ?
Maman : Je ne pense pas. Autant que je m’en souvienne, j’ai toujours été de gauche, même si je distribuais quelques tracts pour Giscard en 1974. Je pense que je suivais simplement le mouvement de mes copains de la fac de droit. C’était plus pour ne pas rester en rade que par une quelconque conscience politique !

Papa : Quand je suis rentré aux beaux-arts de Paris, l’horizon se dégageait mais j’évoluais toujours au sein de la même classe sociale : je côtoyais des fils et filles de bonnes familles, d’architectes réputés, d’ambassadeurs, etc. Et puis un jour, il y a eu un grain de sable dans ma vie. Un grain de sable qui lisait Le Nouvel Obs, adorait les histoires de Claire Bretécher et ne jurait que par les livres de Laurence Pernoud pour élever ses enfants. Ta mère. Des confrontations d’idées ont affleuré, mais elles étaient tellement secondaires à côté de ce qui nous unissait.

Est-ce qu’on ne vote plus de la même façon une fois qu’on travaille ?
Maman : On réfléchit différemment, mais pas plus que ça, à mes yeux. On vote peut-être moins pour les extrêmes.

Papa : Lorsque l’on travaille, on recherche l’efficacité, la culture du résultat, du contrat. Alors on juge, on jauge, on sous-pèse et on fait le bilan. On grandit aussi, c’est certain. On se rend compte que les socialistes ne font pas du social et bouffe du caviar, et que la droite ne donne pas plus d’emplois à nos enfants. C’est avec le recul qu’on comprend tout ça.

Quelles élections restent dans votre mémoire ?
Maman : Celle de Mitterrand en 1981, bien sûr. La gauche passait enfin, il y aurait de l’alternance. On espérait beaucoup. Il y a eu des avancées certaines, ne serait-ce que l’abolition de la peine de mort, les radios libres…

Papa : Assurément l’élection de Mitterrand en 1981. Je revois encore sa tête apparaître à l’écran de télévision. C’était un cataclysme. Ta grand-mère me disait que nous n’aurions plus jamais de viande à manger. Il y a eu beaucoup de craintes. Le lendemain, je prenais le train pour rentrer à Paris et tout le monde chantait, c’était vraiment impressionnant. La suite, je ne sais pas si elle est aussi belle que ce à quoi certains s’attendaient.

Aujourd’hui, après plusieurs élections, espérez-vous toujours quelque chose ?
Maman : Non, là je crois que je n’espère plus grand-chose, comme beaucoup de monde. Il faudrait pourtant avoir de l’espoir pour ses enfants et petits-enfants. Je ne sais pas si les politiques sont pires qu’avant, mais on sait beaucoup plus de choses. Avant, tout était caché, seuls les initiés devaient être au courant des magouilles. Maintenant, tout sort en instantané.

Papa : Aujourd’hui, il n’y a que des gestionnaires qui briguent le trône. On a le sentiment qu’ils sont devant un pupitre de table de mixage à bouger un tout petit peu le curseur, puis un autre, sans prendre aucun risque. Quel pays merveilleux. Alors oui, j’en ai marre de voir que nous ne sommes pas tirés vers le haut par ceux qui nous dirigent, marre de voir des chômeurs, marre de voir mes enfants dans la difficulté. J’aimerais avoir un ministère du Service public et non un ministère de la Fonction publique. Les lauréats des primaires sont bafoués, les élus ne respectent plus les décisions des appareils politiques. Tout ça est usant.

Merci à vous deux.

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