Range Tes Disques est une rubrique dans laquelle nous demandons à un groupe ou un artiste de classer ses disques par ordre de préférence. Après Korn, on passe aujourd’hui à Slipknot, avec le chanteur Corey Taylor, qui nous présente les 5 albums de son groupe, de celui qu’il trouve le moins bon, à celui qu’il considère comme le meilleur.
5. All Hope Is Gone (2008)
Noisey : Pourquoi celui-ci en premier ?
Corey Taylor : All Hope Is Gone n’a pas été une expérience très agréable —rien à voir avec la musique qu’il y a dessus— et c’est clairement le disque de Slipknot que j’aime le moins. C’est d’autant plus bizarre que j’en étais plutôt fier au moment de sa sortie, je trouvais les morceaux particulièrement bons. Mais aujourd’hui, 7 ans plus tard, quand j’écoute ce disque, je n’entends justement qu’une compilation de morceaux et pas un véritable album. Alors, quand en plus, tu ajoutes la sale ambiance de l’époque… C’était vraiment l’enfer, une moitié du groupe voulait partir dans une direction, l’autre voulait faire quelque chose de complètement différent, et moi j’étais au milieu en train de me dire « Merde, on devrait pas être en train de s’amuser un peu, là ? » [Rires] Ça n’a pas été un album facile à faire, il a fallu se battre pour mettre tout le monde d’accord. On a passé deux années horribles dessus. Un des seuls points positifs, c’est que j’ai pu passer pas mal de temps avec Paulie [Paul Gray, le bassiste du groupe, décédé en 2010]. A part ça, c’était un foutu calvaire, et j’ai vraiment du mal à écouter ce disque sans me remémorer tous ces souvenirs horribles. Bref, c’est vraiment l’album que j’aime le moins.
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4. Vol. 3: The Subliminal Verses (2004)
OK, Vol.3…
Ça va sans doute surprendre pas mal de monde, mais ouais, j’ai un peu du mal avec celui là aussi.
Je m’y attendais un peu, bizarrement.
Une fois de plus, ce n’est pas à cause des morceaux, parce qu’ils sont solides, que la production est excellente et qu’on a pris pas mal de risques sur ce disque pour faire exactement ce qu’on voulait faire. On voulait vraiment élargir notre spectre sonore, sortir de notre routine, ne pas refaire un disque semblable aux précédents. Ça a été une étape importante, ça nous a permis de voir de quoi on était vraiment capables. En fait, mon souci avec ce disque, c’est ma voix. J’essayais de faire des trucs différents, j’expérimentais, mais je n’aime vraiment pas le résultat, surtout sur les morceaux les plus puissants. J’ai tenté de faire autre chose, mais ça n’a pas marché.
Tu penses à quels morceaux en particulier ?
« Welcome », je dirais. J’ai vraiment du mal à écouter ce morceau, parce qu’il n’est pas aussi agressif que je le souhaitais, comme pas mal d’autres titres sur ce disque d’ailleurs. Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont mauvais. Certains considèrent d’ailleurs « Duality » comme notre classique absolu, notre « Whole Lotta Love » ou « Stairway To Heaven » à nous. [Rires] Quand on la joue live, les gens pètent les plombs, mec. « Before I Forget » est aussi super morceau. Et même dans les trucs plus mélodiques, il y a « Vermillon » que j’adore, et on a pris pas mal de risques sur des morceaux comme « The Nameless ». Il y a tellement de trucs géniaux sur ce disque que je ne peux pas ne pas l’aimer. Mais je n’aime pas ma voix dessus, et puis c’était une sale période pour moi—j’ai arrêté de boire pendant l’enregistrement, j’essayais de me sortir de la merde dans laquelle j’étais, et ça m’a pris du temps. Du coup, j’étais moins confiant dans ce que je faisais, mes vocaux sont moins assurés, ça se sent vraiment. En fait, si tu veux, je suis fier de ce disque, mais je ne suis pas fier de ce que j’ai fait sur ce disque. Tous les autres ont été géniaux dessus, mais pas moi.
Je sais que la collaboration avec Rick Rubin était assez…spéciale.
C’est pas compliqué : il n’était jamais là ! Il se pointait pendant trois quarts d’heure, chaque mercredi. Il s’asseyait et écoutait, et puis il faisait : « OK, il faut que vous fassiez ça, ça et ça » et il se barrait. C’est Greg Fidelman qui a quasiment fait tout le boulot. Sans lui, on n’y serait pas arrivés. Rick Rubin a notamment essayé de me faire changer le refrain de « Before I Forget », qu’il ne trouvait pas assez bon, mais j’ai refusé. Je l’ai toujours écouté et j’ai souvent été d’accord avec ce qu’il disait, mais là, je savais que ça fonctionnerait avec mon refrain. Et on a fini par gagner un Grammy pour ce morceau, donc bon. Mais c’était bizarre, vraiment bizarre. Il se passait des trucs pas clairs en coulisses, avec notre management. On n’était au courant de rien. C’était vraiment tendu. Avec le recul, c’est dingue qu’on ait pu boucler ce disque en si peu de temps. Ça n’a pris que 7 mois.
Vous avez cartonné dès votre premier album, mais selon moi, Vol.3 est le disque qui vous a vraiment imposé comme un des groupes les plus importants de votre génération.
Je te remercie. Oui, c’est le disque à partir duquel les gens ont commencé à vraiment nous prendre au sérieux et à ne plus juste nous voir comme « le groupe nu-metal déguisé en clowns » – qu’on a jamais été, d’ailleurs. On a toujours pris notre musique au sérieux, on n’étais pas là juste pour balancer des « Kill Kill Kill » tout le temps. Mais sur les deux premiers disques, on se laissait souvent emporter et dépasser par le truc. Là, on s’est vraiment dit qu’il fallait qu’on ait l’air plus sérieux, histoire que les gens nous prennent, justement, plus au sérieux.
3. Iowa (2001)
Je ne m’attendais pas à Iowa en 3ème, en revanche.
Ma vie était devenue un enfer, à cause de tout ce qu’il nous arrivait. Du jour au lendemain, on est devenus énormes, on nous invitait partout, et il fallait qu’on sorte un nouveau disque capable de confirmer tout ce succès. On savait qu’on allait faire un truc dingue. Mais on ne pensait pas péter les plombs à ce point. On était défoncés du matin au soir, tout ce disque a été enregistré dans un état second. Mais le résultat est tellement sombre et viscéral, complètement taré. Il ne sonne comme aucun autre disque. La production est tellement directe, agressive, tout te saute à la figure, c’est sans pitié. C’est un moment important : tu vois d’où on vient, ce dont on est capables et tu peux déjà capter ce vers quoi on va se diriger par la suite. Je me souviens, quand on a fini Iowa, j’ai eu ce sentiment de lucidité totale. Je me sentais totalement présent, là. On l’a écouté et j’ai halluciné sur la puissance du truc. Genre « putain, merde ».
Très franchement, je pense que ce disque aurait eu encore plus d’impact s’il était sorti à un autre moment. Iowa est sorti une semaine avant le 11 septembre et un jour avant God Hates Us All, le nouvel album de Slayer qui était, lui aussi, très attendu. Il faut se souvenir que c’était une période vraiment atroce. Tout le monde perdait les pédales. On pointait du doigt tous les gens qui sortaient de la norme. On nous a mis à l’écart, accusés de tous les maux. Idem pour Slayer. Idem pour Rage Against The Machine. Seuls les groupes les plus inoffensifs s’en sont sortis durant cette période. Personne n’est venu faire chier ces raclures de Linkin Park. Mais on a fait vivre ce disque malgré tout. On a tourné pendant un an et demi. Et c’est devenu un classique. Il a beau être hyper sombre, il n’y a que des tubes dessus. On en joue toujours une grande partie sur scène. Ça a montré à quel point on était capables d’assumer ce qu’on faisait.
Je n’ai jamais compris pourquoi les groupes comme Slipknot étaient systématiquement accusés d’inciter à la violence. A l’inverse, je pense plutôt que votre musique aide les gens à se défaire de leur agressivité.
Oui, c’est un moyen de relâcher la pression. C’est particulièrement dur pour quelqu’un comme Marilyn Manson, car tout le monde se concentre sur lui, alors que nous, on est un groupe, on encaisse à 9. Mais c’est dingue. Dès qu’un sale truc se passe, tu peux être sûr qu’on va voir notre nom surgir quelque part. C’est comme si, après avoir bossé comme des dingues pendant des mois, on venait tout te ruiner en quelques secondes. Ruiner non seulement ton boulot, mais aussi le plaisir que prennent les gens à écouter ta musique. La violence, tu peux la canaliser, tu peux en faire quelque chose de positif. Notre musique est un exutoire pour des tas de gens. Alors, quand on essaie de la traîner dans la boue, forcément, ça me rend dingue. Ça me donne envie de devenir vraiment violent, pour le coup. Du coup, j’écoute ma musique, pour me calmer. [Rires]
Quelle influence a eu l’Iowa sur ce disque et sur votre musique en général ?
On a formé Slipknot parce qu’on ne trouvait aucun groupe qui faisait la musique qu’on voulait entendre. On a attendu, attendu. Et puis on en a eu marre d’attendre et on s’est dit « OK, faisons-le nous-mêmes ». On voulait un groupe qui ait l’intensité de Slayer, la puissance de Ministry, le groove de Korn, et qui soit capable de faire des trucs dingues sur scène, comme GG Allin ou les Butthole Surfers du début. Un truc radical, mais avec des mélodies, des morceaux accrocheurs, et la liberté de faire tout ce qu’il te passait par la tête. Et si on l’a fait, c’est parce qu’on vivait dans l’Iowa. Parce que personne ne venait jouer ici ! [Rires] Personne. Il y avait bien un concert cool, de temps en temps, mais le public était tellement taré que les groupes n’osaient pas revenir.
2. .5: The Gray Chapter (2014)
Votre dernier album. Dès le titre, on sentait que ça n’allait pas vraiment rigoler.
Oui, il a quelque chose de mélancolique. Il y a eu le décès de Paul, le départ de Joey [Jordison], et on s’est dit : « OK, on fait quoi maintenant ? » Mais on y est arrivés. C’était assez jubilatoire de sortir ce disque et de fermer le clapet à tous ceux qui disaient qu’on allait se ramasser. Les fans attendaient le disque mais on aurait dit que nos détracteurs l’attendaient encore plus. Alors revenir en leur mettant une telle beigne, c’était cool, mec. Surtout que c’est le disque d’un bande de mecs qui se retrouvent après un décès et qui essayent d’en parler et d’exorciser ça. C’est un disque brutal mais aussi très profond, très intime.
J’adore le morceau « Goodbye ». Il a quelque chose de très particulier, d’assez vulnérable.
J’ai écrit ce morceau le jour où Paul est mort. On était tous chez moi et c’était la première fois qu’on se retrouvait tous ensemble, sans Paul. On était dans mon sous-sol, où on répétait, on se regardait, le silence était pesant. On a fini par renouer la communication, d’abord en pleurant, puis en rigolant, en rigolant sans plus pouvoir s’arrêter. Ça a duré comme ça pendant des jours, même pendant la conférence de presse qu’on a donné, c’était infernal. J’ai revu les images il y a quelques jours. Je n’arrive même pas à réaliser que j’y étais. On est très fiers d’avoir pu faire de toute cette expérience un disque qui a, je crois, pas mal touché les fans.
1. Slipknot (1999)
Vous étiez dans quel état d’esprit au moment de sortir ce premier album ?
On était ultra-excités, super positifs, il n’y avait absolument aucune attente – ni de notre part, ni de celle du public ou du label. Personne ne s’attendait à ce que ça marche, surtout pas nous, mec ! On était déjà tellement contents d’enregistrer un album. On a terminé le disque, et durant les six mois qui ont suivi, il ne s’est rien passé. Et puis on a été ajoutés à l’affiche du Ozzfest ’99 à la toute dernière seconde. Véridique. Et nous voilà, quelques jours plus tard, à Malibu, au sommet de la montagne. 9 trous de balle de l’Iowa qui n’avaient pas la moindre idée de ce qu’ils foutaient là. [Rires] De tous les groupes Roadrunner de l’époque, on était vraiment la dernière des priorités. Machine Head venait de sortir un nouvel album. Amen sortaient de studio à Indigo Ranch juste qu’on y est entrés pour notre album, avec ce taré de Ross Robinson. J’étais persuadé qu’Amen allaient devenir énormissimes. J’adore leurs deux premiers albums. C’était un groupe génial. Nous, on était juste 9 gamins qui portaient des masques et des combinaisons et on s’attendait à vendre à peine 200 000 exemplaires de notre disque. Ce qui, à l’époque, suffisait à te faire tourner, et c’était le principal.
« À peine 200 000 », c’est dingue de se dire ça aujourd’hui.
Tu m’étonnes ! Enfin, on fait le Ozzfest ’99 et on a vite senti qu’il se passait un truc. Que les choses devenaient dingues. Et les gens ne connaissaient pas encore l’album, vu qu’il n’est sorti qu’au milieu de la tournée. Personne ne nous attendait. Après le Ozzfest, on a eu 3 jours off et on a enchaîné avec la tournée de Coal Chamber, où on jouait à l’ouverture des portes, juste avant Machine Head qui, eux, faisaient la première partie. Et à mi-chemin, on nous a demandé de switcher avec Machine Head. Parce que, tous les soirs, la moitié du public se barrait après notre set. Sans rire. On n’avait rien à faire après notre concert, alors on allait dans le public, on regardait les autres groupes, et on voyait tous les gamins acheter notre merch et se barrer. C’en est arrivé à un point où personne ne voulait plus nous prendre en première partie. On a du passer en tête d’affiche par nécessité.
Pendant tout ce temps, on n’avait absolument pas réalisé que l’album était devenu disque d’or. On n’a eu la confirmation avec la plaque et tout, que le 2 février 2000. Et au moment où nous a remis le truc, on nous a dit que l’album serait disque de platine dans deux mois. Après quoi il a été deux fois platine. Les gens ne se rendent pas compte à quel point tout ça était dingue. Du jour au lendemain, on est devenu le plus gros groupe de chez Roadrunner et personne ne s’était préparé à ça. On n’a rien compris à ce qu’il se passait. On avait un mangement de merde à l’époque, c’était le bordel en permanence. Et le disque n’a pas été facile à faire non plus. On a dû refaire le mixage trois fois !
Je ne sais pas si on a déjà raconté cette histoire, mais un soir, Clown, Joey et Ross Robinson sont entrés par effraction dans le studio où était le master, parce qu’ils n’aimaient pas le mixage. Du coup, ils sont aller voler les bandes et ont refait le mixage eux-mêmes ! [Rires] Je crois que Paul en était aussi. Moi, j’étais retourné dans l’Iowa pour le boulot, et Clown m’a passé un coup de fil : « Au fait, on a cambriolé le studio pour récupérer les bandes de l’album ». Et ils ont donc refait tout le mixage. Parce que le mec qui l’avait fait ne comprenait rien au groupe. Normal, il n’y avait aucun autre groupe comme le notre ! Il n’y avait pas de modèle auquel se référer. Le mixage ne collait jamais. Soit on avait un tout petit son, soit il y avait trop de basses. Du coup, on l’a fait nous-mêmes. Il y a tellement d’histoires dingues autour de ce premier album. Ça me fait rigoler quand j’y repense aujourd’hui. Tout ce bordel a commencé avec ce disque. A vivre avec 20 $ par semaine, à planquer tes paquets de ramen pour que les mecs du groupe ne viennent pas te les taper. Trouver 30 façons différentes d’assaisonner les ramen pour ne pas devenir dingue. On vivait comme ça. C’était dingue. Mais c’était génial. Finis les projets. Finies les rêveries. On y était. Il était temps de se sortir les doigts et de bosser. Et tu connais la suite, mec.
John Hill est sur Twitter – @johnxhill