Lundi 15 mai 2023, VICE Media LLC s’est placée sous la protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites américaines, une procédure qui devrait aboutir à la vente de l’entreprise à Fortress Investment Group et Soros Fund Management pour 225 millions de dollars. Toutes les branches de VICE, notamment VICE, VICE News, VICE TV, VICE Studios, Pulse Films, Virtue, Refinery29 et i-D, continueront à produire et à diffuser des contenus primés sur toutes les plateformes. La quasi-totalité des entités internationales de l’entreprise et la coentreprise VICE TV avec A&E ne sont pas concernées par le dépôt de bilan au titre du chapitre 11. Cette nouvelle intervient quelques semaines après la fermeture de VICE World News et l’annulation de VICE News Tonight, son émission phare d’information télévisée, ce qui a entraîné plus de 100 licenciements.
Les documents de dépôt du chapitre 11, consultés par Motherboard, montrent que VICE Media LLC et 31 entreprises associées doivent 474,6 millions de dollars à Fortress.
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« VICE Media Group a annoncé que le groupe a accepté les termes d’un accord d’achat d’actifs avec un consortium de ses prêteurs », a déclaré l’entreprise dans un communiqué de presse.
Ce recours est le dernier d’une série de décisions portées par l’entreprise qui, dans le passé, a été valorisée à 5,7 milliards de dollars. En 2019, la société avait levé 250 millions de dollars pour recouvrir des dettes auprès d’investisseurs tels que Fortress et Soros Fund Management de George Soros.
Le dépôt du chapitre 11 indique que la direction de VICE « a déterminé qu’il était souhaitable, et dans le meilleur intérêt des sociétés du groupe Vice, de conclure un accord de stalking horse pour la vente de la quasi-totalité des actifs et des procédures de vente aux enchères connexes. » On parle donc de stalking horse dès lors qu’un acheteur potentiel s’est prononcé pour le rachat d’une entreprise avant le dépôt d’une demande de mise en faillite.
« Ce processus accéléré de vente, supervisé par le tribunal, renforcera la société et positionnera VICE vers une croissance à long terme, préservant ainsi le style journalistique authentique et la création de contenu qui font de VICE une marque de confiance pour les jeunes ainsi qu’un partenaire précieux pour les marques, les agences et les plateformes digitales », ont déclaré dans un communiqué Hozefa Lokhandwala et Bruce Dixon, les CEO de VICE. « Nous aurons un nouveau propriétaire, une structure de capital simplifiée et la capacité d’opérer sans les dettes héritées qui ont jadis pesé sur notre entreprise. Nous sommes impatient·es d’achever le processus de vente dans les deux ou trois prochains mois et d’ouvrir un nouveau chapitre sain et fructueux pour VICE. »
VICE a réalisé une série d’investissements de grande envergure à des valorisations élevées au fil des ans. Ces investissements ont permis à l’entreprise de se développer, mais ont fini par créer tout un lot de sociétés qui attendaient un retour sur investissement. Parmi ces sociétés, on retrouve notamment le fonds d’investissement TPG, qui a accordé 450 millions de dollars à l’entreprise en 2017 pour développer ses offres de VICE TV et se développer à l’international. La société a également reçu des investissements de grande envergure de la part d’A&E Networks, Disney et Fox.
Ces investissements ont conduit à une structure d’entreprise très complexe ainsi qu’à une série de dettes qui, selon Frank Pometti, de la société de conseil AlixPartners, qui a été nommé directeur de la restructuration de VICE, ont finalement abouti à la faillite de l’entreprise. Dans un document déposé auprès du tribunal, Pometti écrit : « VICE s’est appuyé sur un financement externe, levant à la fois des dettes et des capitaux propres pour alimenter sa croissance rapide mais également pour financer les dépenses d’une partie de ses activités. Bien que ces efforts de collecte de fonds aient contribué à financer la croissance de VICE, ils ont finalement conduit à une structure de capital hautement endettée et exceptionnellement complexe pour l’entreprise. »
Selon les déclarations de Pometti, ces investissements ont laissé VICE incapable de payer ses dettes ; s’en est suivi une situation en cascade où VICE a dû continuellement repousser les remboursements de prêts ou obtenir davantage de financement pour poursuivre ses activités.
« En 2019, l’entreprise a levé des capitaux supplémentaires pour financer ses opérations en cours, ses dépenses non opérationnelles, ses passifs et les restructurations opérationnelles, écrit Pometti. La situation financière de la société était compliquée par le fait qu’elle ne générait pas suffisamment de flux de trésorerie disponible pour payer ses dettes et qu’elle a continué à fonctionner à perte pendant plusieurs années avant la date finale de la requête. »
Entre-temps, la société a essayé de se vendre à plusieurs reprises, sans jamais conclure d’accord. Elle a également tenté de s’introduire en bourse par l’intermédiaire d’une SPAC en 2021, mais a finalement dû abandonner ce projet, écrit Pometti.
Deux événements récents semblaient rendre la faillite inévitable, selon le dossier de Pometti : En janvier, VICE devait recevoir un paiement trimestriel de 34 millions de dollars de la part de la société mère d’Antenna, la société grecque, l’un des partenaires fondateurs de VICE World News (VWN). Ce paiement était censé financer les opérations de VWN. Ce paiement n’a jamais été versé, au lieu de cela, VICE a reçu une notification indiquant que la société mettrait fin à son partenariat avec VWN. L’accord avec VWN avait rapporté 134 millions de dollars en 2022, selon la déclaration de Pometti.
Le déficit de financement a conduit VICE à demander des avances sur d’autres prêts afin de poursuivre ses activités.
« L’impact qu’a eu la fermeture de VWN sur l’ensemble des activités de VICE a été substantiel », a écrit Pometti, notant que cela a finalement conduit à la fin de VWN, de VICE News Tonight et à une restructuration fondamentale de la rédaction. VICE a dû à plusieurs reprises demander une suspension de ses prêts.
Puis, au début du mois, un médiateur a déterminé que VICE devait 9,9 millions de dollars à une société informatique appelée WiPro. WiPro a demandé une ordonnance restrictive qui a temporairement gelé de nombreux comptes bancaires de VICE, selon Pometti : « Le gel des comptes [bancaires] de Vice Media a essentiellement coupé une grande partie des liquidités des débiteurs. »
Les documents relatifs au chapitre 11 montrent que VICE doit de l’argent à divers créanciers. La société doit 20 millions de dollars aux fondateurs de Pulse Films, avec qui elle a travaillé pendant des années et qu’elle a acquis en 2022. Elle doit près de 10 millions de dollars à WiPro, 3,8 millions de dollars à CNN pour des services de production tiers et au moins 6 millions de dollars à Antenna. VICE doit aussi de l’argent à des sociétés qui lui fournissent des services de logiciels d’entreprise, notamment Workday, Adobe, Ranker, Getty Images, Amazon Web Services, Piano Software, Salesforce, Wolftech, Asana et Oracle. Le groupe a également une dette de 539 732 dollars auprès de la société ConEdison pour des services publics.
VICE Media a été fondée en 1994 et est passée d’un petit magazine basé à Montréal à un conglomérat international de médias orienté vers la jeunesse, avec une chaîne de télévision phare, plusieurs studios de cinéma, une variété de marques de médias numériques (dont Motherboard), une division d’information avec des émissions sur HBO et Showtime, une agence de publicité et de création et, plus récemment, VICE World News.
« Nous transformons VICE News pour mieux résister aux réalités du marché et nous aligner plus étroitement sur la façon dont notre public s’intéresse le plus à notre contenu », ont déclaré les CEO Bruce Dixon et Hozefa Lokhandwala dans une note adressée au personnel et rapportée par le Wall Street Journal. Le dépôt de bilan intervient deux semaines après ces restructurations.
Dans un document déposé auprès du tribunal, VICE a déclaré : « Depuis leurs humbles débuts en tant que magazine de niche, les débiteurs et leurs affiliés non débiteurs (collectivement, “VICE”) sont devenus une société médiatique mondiale qui se concentre sur un contenu axé sur l’actualité et la culture, au service d’un public jeune et international. Aujourd’hui, VICE est une entreprise médiatique mondiale et multiplateforme, une marque puissante, un profil financier diversifié, un contenu de qualité supérieure et un engagement important auprès de son public. »
Jared Ellias, professeur à la Harvard Law School et expert en faillite d’entreprise, a déclaré que, sur base des rapports accessibles au public, le processus de faillite de VICE Media devrait être relativement rapide car il semble que quelqu’un soit déjà prêt à le racheter.
« En général, dans ce genre de situation, l’entreprise va déposer une demande de faillite et chercher immédiatement la permission du tribunal pour organiser une vente aux enchères », explique-t-il. L’acheteur qui se présentera sera ce qu’on appelle un « stalking-horse bidder », ce qui signifie que l’entreprise a accepté de se vendre à l’acheteur. Ellias a ajouté qu’il devait encore y avoir une procédure de vente aux enchères et qu’au cours de cette procédure, plusieurs choses pouvaient se produire.
« Je pense qu’il y aura une vente aux enchères probablement dans les deux semaines qui suivront le dépôt de la demande, a-t-il ajouté. Peut-être qu’un autre soumissionnaire va émerger, mais à la fin de la vente aux enchères, VICE aura un nouveau propriétaire, et la vente sera conclue assez rapidement. Je serais surpris que l’affaire dure plus de deux mois. »
Des rapports antérieurs ont suggéré à plusieurs reprises que VICE Media pourrait être vendu en plusieurs parties ; la société a pendant des années mis en avant une activité diversifiée comprenant VICE, VICE News, VICE TV, VICE Studios, Pulse Films, le magazine de mode i-D et Virtue, une agence de publicité et de création. VICE possède également le média Refinery29, que l’entreprise a acheté en 2019 pour un montant déclaré de 400 millions de dollars dans le cadre d’une transaction principalement sous forme d’actions.
Le conseil d’administration de VICE Media, et peut-être les tribunaux, décideront en fin de compte quelle offre accepter : « Le débiteur a l’obligation fiduciaire de maximiser la valeur de l’entreprise au profit de tous les créanciers. Le débiteur est, je suppose, très susceptible d’autoriser les enchères pour le tout ainsi que pour les morceaux, a-t-il déclaré. Mais si le débiteur estime que l’entreprise doit être vendue dans son ensemble, il sera très difficile d’imaginer qu’un groupe d’acquéreurs distincts puisse se disputer les différentes parties de l’entreprise. »
À son apogée, l’entreprise possédait 35 bureaux dans le monde. Elle en a fermé certains au cours des dernières années, en quête de rentabilité, en partie en réduisant ses coûts et en procédant à des licenciements de personnel.
VICE indique dans le dépôt qu’elle possède des actifs d’une valeur comprise entre 500 millions et 1 milliard de dollars.
Selon les documents relatifs à la faillite, la restructuration sera gérée par Frank Pometti et Mark Del Priore, de la société de conseil AlixPartners. Le mois dernier, Del Priore a été nommé directeur financier par intérim de l’entreprise.
Au début de l’année, l’ex-PDG Nancy Dubuc a quitté l’entreprise après cinq ans à la tête du groupe, succédant au cofondateur Shane Smith. En janvier, elle a déclaré au New York Times : « Quand je suis arrivée ici, on ne savait pas si l’entreprise pouvait survivre. » Dans son e-mail de départ, publié précédemment par Semafor, elle écrit : « Je suis fière de laisser derrière moi un Vice meilleur que celui que j’ai rejoint… Aujourd’hui, Vice a une opportunité incroyable entre les mains d’une nouvelle direction qui cherche à exploiter les entreprises que nous avons construites et développées et à jeter les bases de l’avenir. »
Note : Cet article a été rapporté et rédigé par Jason Koebler, rédacteur en chef de Motherboard, sur la base de documents accessibles au public et de rapports d’actualité. Il a été édité par Emanuel Maiberg, rédacteur en chef exécutif de Motherboard. Aucun cadre de VMG n’a revu cet article avant sa publication.